Le Conseil d'État
Tout le monde connaît l’existence du Conseil d’État, institution ancienne et illustre intimement mêlée à la vie publique de la France ; assez rares sont, en revanche, les personnes capables de dire avec précision quel est l’objet, quelles sont les attributions et occupations de ce corps puissant autant que vénérable. On sait, assez vaguement, qu’il participe plus ou moins au pouvoir législatif ou réglementaire, ainsi qu’il appert de la formule « le Conseil d’État entendu » figurant dans les visas des plus importants décrets ; on sait, sans beaucoup plus de précision, qu’il a le pouvoir d’annuler certaines décisions des autorités administratives même les plus élevées, jusqu’à des actes portant la signature du Président de la République ; mais là se bornent le plus souvent, en ce qui concerne la haute Assemblée siégeant au Palais Royal, les connaissances du Français moyen ne faisant pas partie des milieux politiques, administratifs ou juridiques. Je me propose, dans les pages qui suivent, de compléter quelque peu, aussi succinctement et clairement que possible, ces notions un peu bien sommaires et, surtout, de les préciser.
Je commencerai par une définition : le Conseil d’État est un corps administratif pourvu d’attributions consultatives et juridictionnelles. Il est un corps, c’est-à-dire une organisation échappant à l’autorité directe des ministres, ayant sa constitution et sa hiérarchie propres. Il est un corps administratif en ce sens, tout d’abord, qu’il n’est pas un corps judiciaire (ce à quoi s’opposerait le principe de la séparation des pouvoirs) et que, bien que distinct de l’administration proprement dite, il a un droit de regard et d’intervention dans les actes d’administration accomplis par la puissance publique. Il a des attributions consultatives en tant qu’habilité à donner des avis aux ministres ou à participer à l’élaboration des textes de loi ou de règlement, et ses attributions ne sont que consultatives sans quoi le Conseil d’État se substituerait au Gouvernement, ce qui est inconcevable. Il a, enfin, des attributions juridictionnelles en tant que cour souveraine appelée à trancher les différends d’ordre administratif pouvant opposer les unes aux autres les collectivités dépositaires de la puissance publique (État, départements, communes, colonies, etc., et établissements publics qui en dépendent), ou à se prononcer sur les litiges survenus entre les particuliers et ces mêmes collectivités publiques. Cette dualité d’attributions (consultatives, juridictionnelles) ne contribue pas peu à rendre floue l’idée que le public se fait du Conseil d’État ; un très bref historique va nous montrer que cette dualité résulte de la nature même des choses et n’est que l’aboutissant d’une longue évolution étroitement liée à celle de l’État français au cours des siècles.
Le Conseil d’État est issu des Conseils du roi. Dès le XIVe siècle existaient dans ces Conseils des conseillers titulaires spécialement attachés à leurs fonctions, prêtant serment et jouissant d’un traitement spécial. Parallèlement à ce personnel exista également de bonne heure l’institution des « maîtres des requêtes de l’hôtel » qui primitivement recueillaient les placets adressés au roi, puis furent chargés de faire le rapport des procès portés devant les Conseils. L’existence des conseillers d’État et des maîtres des requêtes remonte donc fort loin dans l’histoire de la monarchie ; ces titres figurent parmi les plus anciens encore en usage dans notre France contemporaine, attestant la continuité d’un vieux pays et d’un grand État. Les conseillers et les maîtres des requêtes ne constituèrent jamais, sous l’ancien régime, un Conseil unique qui leur fût exclusivement réservé, mais étaient répartis, d’ailleurs fort inégalement, dans les Conseils royaux, et encore pas dans tous. Au temps de Louis XIV, seul le « Conseil d’État privé ou des parties », chargé de prononcer sur les affaires contentieuses soumises à la justice royale, comprenait en principe parmi ses membres ou rapporteurs tous les conseillers d’État et maîtres des requêtes.
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