La mémoire des guerres initiée après 1918 a profondément transformé le lien entre la Nation et ses armées. Les dimensions politiques ont créé des mythes parfois oublieux de la réalité des faits, entraînant des incompréhensions durables, voire des hostilités profondes. Il est nécessaire de retourner à l’histoire pour que ce devoir de mémoire ne soit pas une reconstruction idéologique.
La mémoire de la guerre 1918-2018 : entre mythes et réalité
Remembrance of War from 1918 to 2018: Myth and Reality
Remembrance of wars since 1918 has profoundly changed the link between the nation and its armed forces. Political overtones have created myths that sometimes suppress the reality of facts and which lead to long-lasting misunderstanding and even to deep hostility. We have to look back into history to ensure that the duty of remembrance does not become some ‘ideologically correct’ reconstruction.
La notion de mémoire correspond à un faisceau d’éléments divers, essentiellement d’ordre subjectif, qui se conjuguent entre eux pour former ce socle de référence mémorielle auquel il est souvent fait référence. Il s’agit d’abord d’un certain inconscient collectif national auquel d’autres facteurs viennent s’agréger, comme des souvenirs, des récits ou des témoignages, quand ce ne sont pas des mythes. C’est ainsi que la mémoire qui se construit peu à peu, peut escamoter l’objectivité du passé et prendre ses distances avec l’Histoire, et ainsi ouvrir la porte à toutes sortes de manipulations possibles. La mémoire militaire ne fait pas exception à la règle, et cet article se propose de dresser une fresque de la mémoire des guerres, en France, depuis 1918 jusqu’à nos jours.
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Fin 1918, début 1919, le souvenir de la guerre s’identifie avec la Victoire. La France a vaincu l’Allemagne et les provinces perdues sont revenues au sein du giron national. Très rapidement, au-delà du culte des morts et de l’édification dans chaque commune d’un monument qui leur est dédié, la situation va évoluer, en fonction notamment de la naissance d’un nouvel élément, le mouvement ancien combattant. C’est autour de ce mouvement, dual, l’Union nationale des combattants (UNC) du père Brottier, de tendance démocrate-chrétienne avec sa devise « Unis comme au front » et de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) de tendance très marquée à la gauche de la gauche de Dorgelès, l’auteur des Croix de Bois, que ce mouvement va se développer. Au-delà de ces clivages politiques et de leur souci commun de faire bénéficier le « monde combattant » – nouvelle expression – d’avantages pécuniaires, le mouvement se rejoint sur l’idée de la « Der des der », « Plus jamais ça », autrement dit, cette guerre, fondée sur la défense du Droit, aura été la dernière des grandes guerres de l’humanité. Par un glissement imperceptible, mais très réel, cette position « moralisatrice » de la mémoire de la guerre va très vite évoluer vers un pacifisme ouvertement revendiqué. Il arrive aussi que la formation de cette mémoire pacifiste débouche sur un résultat à l’opposé du but recherché. Le film de Renoir La Grande illusion est très révélateur à cet égard : alors que de nouveaux nuages s’annonçaient à la fin des années 1930, il voulut réaliser un film pacifiste, dénonçant les « valeurs guerrières » mais, par le jeu de Frenay dans le rôle de Boëldieu et de Stroheim dans celui de Rauffenstein, il aboutit à l’exaltation des valeurs militaires (1).
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