Military History–The Front Populaire Government’s Defence Effort
Histoire militaire – L’effort de défense du gouvernement de Front populaire
Alors que dans l’inconscient collectif militaire, le gouvernement de Front populaire est assimilé à un gouvernement au pacifisme exacerbé, et même pour certains, responsable, en tant que tel, de la défaite, c’est l’exact contraire qui se révèle conforme à la vérité historique (1).
C’est à ce titre que, lors du procès de Riom où il comparaissait en tant qu’accusé, le président Léon Blum, en assurant lui-même sa défense, a fait tourner ce procès en dérision vis-à-vis de l’accusation, à un point tel que les autorités d’occupation ont dû intervenir auprès de Vichy pour l’ajournement sine die de ce procès.
Quels sont les faits ?
En arrivant au pouvoir, en juin 1936, le président Léon Blum avait demandé à l’état-major de lui préparer une étude sur la politique militaire et de lui chiffrer les besoins de la France en matière d’armements. Le général Gamelin, reprenant une étude transmise à l’EMA l’année précédente lors du rétablissement de la conscription par l’Allemagne, chiffrait les besoins à 9 milliards (qu’il n’avait obtenus des gouvernements précédents) ; Daladier, ministre de la Guerre du gouvernement de Front populaire juge alors ce montant insuffisant et le porte à 14 milliards étalés sur quatre ans (2) Cet effort sera encore considérablement amplifié par la suite ; du 1er janvier 1937 à la guerre, ce seront 57 milliards qui seront affectés aux dépenses d’équipement. En effet, un gigantesque programme de plusieurs dizaines de milliards sur quatre ans a été voté en mars 1939 (dont un plan complet de rénovation de la Flotte) (3), suite à l’annexion de la Bohême-Moravie par l’Allemagne, annonçant la guerre prochaine.
À la suite de cette décision initiale, prise le 7 septembre 1936, ce sont 550 millions qui sont immédiatement débloqués (4) ; à la Chambre, les députés du parti communiste français votent pour ce programme (5), les députés de droite s’abstiennent (officiellement pour ne pas passer pour des bellicistes fauteurs de guerre, réellement pour ne pas à avoir à donner leurs voix à Blum !). Il convient de noter que, jusqu’à la chute du gouvernement Blum, et même au-delà, le parti communiste votera sans exception tous les budgets et crédits militaires, aériens et navals. En revanche, ses députés s’abstiendront lors des votes de politique étrangère en signe de protestation contre la décision de non-intervention en Espagne.
Pour ce qui est de ce plan de réarmement, de septembre 1936, un organe de presse de droite modérée, conservatrice et catholique bon teint, L’Illustration, pas forcément très favorable au gouvernement de Front populaire écrit néanmoins (6) : « (…) Dans un ordre d’idées analogue, c’est le même gouvernement de Front populaire qui a pris l’initiative de proposer les plus fortes dépenses militaires qui aient été offertes à la France depuis la guerre : 14 milliards de crédits supplémentaires répartis sur quatre années. C’est ainsi que les circonstances imposent parfois leurs nécessités aux doctrines. »
L’argument des lois sociales, notamment les « quarante heures », a également été mis en avant, lorsque les travailleurs allemands connaissaient des rythmes de soixante heures (dix heures de travail journalier durant six jours par semaine). Il convient quand même de considérer que la nature des deux régimes politiques n’était pas la même ! Par ailleurs, cet argument est à mettre en parallèle avec l’inadaptation et la vétusté de l’appareil de production d’armement français. Il était essentiellement constitué de petites entreprises et ateliers familiaux, en mesure de concevoir et de produire des prototypes, mais totalement inadaptés à la production de masse. C’est le cas notamment des ateliers blindés (7) et d’avions. Il fallait attendre les effets des grandes lois structurelles votées le 6 août 1936, visant à nationaliser l’industrie d’armement autour de grands groupes comme AMX (Ateliers d’Issy-les-Moulineaux), nés de la nationalisation de la composante « armement blindé » de Renault en 1936 (ou les ateliers de production de canons Schneider au Creusot, ou les ateliers de production de canons antichars et antiaériens Hotchkiss de Levallois, ou encore les ateliers Brandt de fabrication de mortiers, transformés en arsenaux d’État) et que l’État puisse y consacrer les investissements nécessaires à leur modernisation, gage de leur adaptation à la production de masse, et surtout standardisée (8). C’était chose faite début 1938, lorsque le gouvernement décida de surseoir à la loi de quarante heures dans l’industrie de la défense nationale.
Pour permettre la budgétisation de ces plans d’équipement, le gouvernement Blum a décidé de recourir à un grand emprunt dit de la « Défense nationale » en mars 1937. Dans son discours de présentation, Léon Blum, soulignant le libéralisme des dispositions prises dans l’ordre monétaire, formula le vœu que le rapatriement des capitaux, qui avaient fui à l’étranger en juin 1936, s’investisse dans l’emprunt national. Cet emprunt devait être émis en franc, en livre sterling et en dollar, c’est-à-dire les devises des pays signataires de l’accord monétaire de septembre 1936. Ainsi, le coupon émis devait-il se trouver à l’abri des fluctuations de la parité de ces monnaies entre elles.
L’Union nationale des combattants, dont on sait le rôle qu’elle a joué dans les affaires de février 1934, approuva ces mesures, ainsi que diverses personnalités du monde politique, notamment, le président de la République, et les présidents des Chambres ; même le cardinal Verdier, archevêque de Paris, donna publiquement son approbation. Mais il fallait que le Parlement votât en faveur de cet emprunt de la défense nationale, ce qui fut effectif, par 402 voix contre 32. Lors du débat, Jacques Duclos apporta le soutien du Parti communiste. L’opposition des voix « contre » ne vint que de la part d’individualités de la droite. Quant au Sénat, il adopta le projet à la quasiunanimité des votants, à l’exception notable d’un sénateur pacifiste, Pierre Laval, qui vota contre. L’ouverture de la souscription fut fixée au 12 mars 1937, avec un taux d’intérêt de 4,5 %, le prix d’émission à 98 francs et la première tranche limitée à 5 milliards.
Le résultat dépassa toutes les espérances : l’émission fut couverte dans la journée et la clôture prononcée le soir même. Même la CGT avait souscrit pour un montant de 250 000 francs, ce qui était considéré comme un exemple donné à ses fédérations. Le mardi suivant, le 16 mars, la deuxième tranche d’un montant de 3 milliards fut couverte dans la journée.
Les seules oppositions à cet emprunt de défense nationale sont venues des néo-socialistes de Déat et Marquet – dont l’organe de presse L’Œuvre titrera au moment de l’entrée en guerre « Mourir pour Dantzig » – et d’organes presse extrémistes de la droite de la droite dont l’opposition à Léon Blum était plus de nature antisémite que politique.
Ainsi, l’idée selon laquelle le gouvernement de Front populaire aurait été le fossoyeur de la défaite en négligeant la défense nationale par une priorité exclusive à la question sociale ne résiste pas à l’analyse. En matière de définition de la politique suivie, les meilleurs indicateurs en ont toujours été les votes budgétaires et ceux de politique étrangère. ♦
(1) Outre les sources référencées, voir Georges Bonnefous : L’Histoire politique de la IIIe République ; Paris, PUF, 1986, Tome VI, p. 98 et suivantes.
(2) Général Gamelin : Servir ; Paris, Plon, 1948, Tome II, p. 246. Ce différentiel entre les 9 milliards exprimés par l’EMA et les 14 alloués par le ministre, venait des besoins des Directions d’armes qui n’étaient pas subordonnées au chef d’état-major, mais directement au ministre.
(3) Deux porte-avions, deux « sister-ships » des Richelieu et Jean Bart. Ce plan ne verra jamais le jour.
(4) Pour employer des termes modernes, ces 550 millions de francs correspondent à des crédits de paiement (CP), tandis que les 14 milliards correspondent eux, à des autorisations de programme (AP).
(5) Qui s’identifie un peu aux actuelles lois de programmation, puisqu’il s’agit d’arrêter, dans un cadre quadriennal, les investissements au titre de l’équipement des forces.
(6) L’Illustration, n° 4882, 20 septembre 1936, p. 93.
(7) L’inadaptation des ateliers français était telle, qu’une image de propagande a circulé, montrant une double chaîne de production de chars B1 bis, alors que la chaîne était unique.
(8) C’est ainsi, qu’en matière de blindés (infanterie et cavalerie confondues), entre 1935 et 1939, l’armée est passée d’un parc articulé autour de 13 modèles en 1935 à 7 en 1939.