Military History–The Position of French Communists with regard to National Defence (1936-1939)
Histoire militaire - La position des communistes français à l’égard de la défense nationale (1936-1939)
Par un amalgame anachronique, avec la situation post-pacte de non-agression germano-soviétique, il a parfois été fait état d’une position ultra-pacifiste des communistes français au cours de la période du Front populaire, position qui leur aurait permis de saper l’effort militaire français, face au péril allemand renaissant. En fait, c’est tout à fait l’inverse, dans les années 1936-1939, le Parti communiste français mettait l’accent sur ce qu’Édouard Bonnefous a appelé un « jacobinisme nationaliste » (1).
En effet, durant toute cette période, le PCF n’aura de cesse de diffuser des mots d’ordre nationalistes. Ce qui ne l’empêchera pas, étant schizophrène par construction, de poursuivre une agitation sociale dense après la signature des Accords de Matignon, de juin 1936, en encadrant notamment les grèves des dockers et de Marseille, tout au long de la législature.
Il ne faut pas perdre de vue que, durant toute cette période, et ce, depuis la signature du Pacte Laval-Staline en 1935, la France et l’URSS étaient alliées au plan international. Qui plus est, cherchant toujours « l’alliance de revers », lorsqu’il était vice-président du Conseil supérieur de la guerre (CSG) durant les négociations précédant la signature de ce Pacte, le général Weygand avait insisté pour que des clauses militaires y figurassent (2). C’est en vertu de ces dispositions que la 57e promotion de l’École supérieure de Guerre s’est rendue en voyage d’études de deux mois en Union soviétique, l’été 1936, effectué à la même période que le voyage d’André Gide, les conclusions en ont été un peu similaires… (3)
Ce changement de cap du PCF était motivé par une modification substantielle de la politique soviétique : la constitution soviétique de 1936 remettait la patrie russe à l’honneur, et, en octobre de la même année, l’anniversaire de la bataille de Borodino (la Moskowa pour la France) allait être célébré en grande pompe ; par ailleurs Staline pressentait qu’une guerre européenne serait inévitable et qu’elle opposerait, pour des raisons idéologiques, le Reich à l’URSS, la guerre d’Espagne n’en étant que le prélude. Il lui fallait gagner du temps et consolider des alliances.
C’est dans ce nouveau contexte que le PCF était donc devenu jacobin. Idéologique jusqu’au bout des ongles, pour le Parti, l’image comptait beaucoup : c’est la raison pour laquelle, en consultant la presse de l’époque, on ne peut qu’être frappé de la présence systématique du drapeau tricolore associé au drapeau rouge sur les estrades des meetings. Quant au discours, reflétant toujours la ligne politique du moment, il avait connu une inversion totale ; internationaliste et pacifiste hier, il devenait presque cocardier : les leaders du Parti réclamaient maintenant la mise sur pied d’une armée française forte, la défense des frontières et des communications impériales (!), le maintien de la solidité du franc et, au niveau international, le renforcement de la Société des Nations et de la sécurité collective. Comme le Parti demeure toujours monolithique, ce changement de ligne politique ne s’embarrasse d’aucune nuance et « ratisse large » : pour contrer l’essor d’un parti autonomiste – en fait, pro-allemand – en Alsace, le PCF lance un appel à l’union nationale aux… catholiques alsaciens (4) !
C’est dans ce nouveau contexte que le Parti appuie de toute la force dont est capable son appareil l’effort considérable de réarmement que lance le gouvernement de Front populaire : il n’a manqué aucune voix communiste ni à la Chambre, ni au Sénat, au vote d’approbation du « programme de 14 milliards » de septembre 1936, aux lois budgétaires correctives (augmentant ce que l’on nomme aujourd’hui les crédits de paiement au profit de la défense nationale), ni au mois de mars suivant, lors du lancement des deux tranches de l’emprunt de défense nationale, alors que des élus de droite s’abstenaient ostensiblement. Mieux, pour donner l’exemple à ses fédérations, la CGT souscrit à l’emprunt pour 250 000 francs (soit 2 500 coupons).
Ainsi, sur l’aide à apporter au gouvernement espagnol, sur l’extension des nationalisations aux domaines industriel, bancaire et de crédit, l’instauration de l’échelle mobile des salaires ou la retraite des vieux, les positions du Parti demeuraient intangibles. Et comme son appareil n’en était pas à une contradiction près, ses dirigeants encourageaient l’agitation sociale sur ces thèmes, alors que les grèves, parfois dures, que le Parti organisait et soutenait, ne pouvaient que contrevenir à une croissance régulière de la production qui devenait un impératif majeur.
Mais alors, comment se fait-il que, cherchant des alliances occidentales face à la menace allemande de plus en plus perceptible, Staline en soit arrivé à conclure un Pacte de non-agression avec le Reich ? Cette décision de Staline n’est pas à considérer sous l’angle idéologique, mais stratégique. Trois options s’offraient en effet à lui au cours de l’été 1939 : ne rien faire et maintenir le statu quo ante, s’allier plus formellement à Paris et à Londres ou chercher à s’entendre avec Hitler, ces trois options étant à considérer dans un contexte d’agression allemande imminente contre la Pologne.
Le maintien en l’état du statu quo ante était la pire solution, car Hitler s’emparait alors des régions polonaise, ukrainienne et biélorusse, la frontière orientale de la Pologne correspondant à cette époque à la « Ligne Curzon », ce qui lui donnait une excellente base de départ vers les pays baltes ou la Russie proprement dite.
L’alliance occidentale constituait la meilleure solution, car outre le fait qu’elle contraignait Hitler à conduire une guerre sur deux fronts, elle permettait à Staline d’aller prendre le contact avec la Wehrmacht en Silésie et en Prusse orientale, au plus loin de la frontière soviétique. Mais, en dépit des propositions de Moscou en ce sens au printemps 1939, cette solution était mort-née du fait du double refus polonais et roumain d’ouvrir leur frontière et d’accorder un droit de passage aux armées soviétiques (5).
Il ne demeurait donc plus que l’option allemande qui constituait un pis-aller et une solution d’attente, néanmoins avantageuse : Moscou contenait l’avance allemande en Prusse orientale et sur la rivière Boug, récupérait les territoires slaves biélorusses et ukrainiens perdus en 1920 au profit de la Pologne et voyait reconnaître son influence sur les trois pays baltes. Mais, à terme, ce nouveau partage de la Pologne était porteur des germes d’un nouveau conflit, car désormais, d’où qu’elle débouche, toute avance allemande vers l’Est se heurterait directement à la puissance soviétique.
Au bilan, en ce qui concerne les menées communistes au sein des armées françaises entre 1936 et 1939, non seulement, elles n’existaient pas, mais des initiatives en ce sens de la part de ses militants eussent été sévèrement sanctionnées. Indiscutablement, ces menées ont existé auparavant, il y en aura d’autres par la suite, notamment durant la guerre d’Indochine, la « sale guerre » dans la logorrhée du Parti, mais à l’époque où le chef de bataillon Loustanau-Lacau montait ses réseaux « Corvignolles », la menace communiste était des plus minces. ♦
(1) Édouard Bonnefous : Histoire politique de la Troisième République ; Paris, Presses Universitaires de France, 1986, Tome VI, p. 194.
(2) C’est un officier de son état-major, le lieutenant-colonel de Lattre de Tassigny, qui était chargé d’assurer la liaison avec le Quai d’Orsay en vue de l’établissement de ces clauses militaires.
(3) Pour le détail de ce voyage, se reporter à Philippe Sauzey : Des tranchées à la guerre de l’ombre, le général Sauzey, un espion français ; Paris, Éditions Ginkgo, 2018, p. 268 et suivantes. Ces pages sont savoureuses.
(4) Bonnefous, op. cit., p. 195.
(5) Se reporter aux « Souvenirs » du général Beaufre, membre de la mission Doumenc, chargée, avec les Britanniques, de conclure un accord militaire avec Vorochilov, in Beaufre, Mémoires, Paris, Plon, 1965, p. 109 à 172.