L’idée d’une armée européenne semble prématurée mais pas totalement utopique. En effet, développer un concept de sécurité européenne est indispensable au regard de l’évolution des positions de Washington. Il conviendrait dès lors d’engager une « européanisation » de l’Otan en s’appuyant sur l’existant.
Nouveau monde et sécurité de l’Europe
The New World and European Security
The idea of a European army is perhaps premature, though not totally utopian. Nevertheless, it is essential to develop a concept of European security in the face of Washington’s changing positions. From now on we need to commit to Europeanisation of NATO, building on the existing structure.
Le serpent de mer de l’armée européenne est ressorti en novembre 2018 des profondeurs où il hibernait depuis des décennies. Longuement évoqué dans le discours programme (voir l’extrait in fine) sur l’Europe prononcé à la Sorbonne par le président de la République le 26 septembre 2017, le thème de la « défense européenne » a été repris et précisé par celui-ci le 9 novembre 2018 sous l’angle de la nécessité « d’une véritable armée européenne » pour se protéger de puissances envahissantes nommément désignées (Russie, Chine, États-Unis), ce qui avait provoqué la colère du président Trump, exprimée dans un tweet ravageur dès son arrivée en France pour la commémoration de l’armistice de 1918. Peu de temps après, le 13 novembre, devant le Parlement européen, la Chancelière allemande en avait repris les termes exacts en déclarant : « Nous devons travailler à la vision, un jour, de parvenir à une vraie armée européenne. Le temps où l’Europe pouvait s’en remettre à d’autres est passé. »
Tout en faisant la part des choses entre la gesticulation diplomatique, les réactions aux provocations du Président américain et les perspectives stratégiques des dirigeants français et allemand, on ne saurait sous-estimer un changement de ton et, en tout cas, les apparences d’une volonté politique, notamment du côté allemand. Concernant la République fédérale d’Allemagne, le chemin des paroles aux actes sera sans doute encore long tant les Allemands se sont « pacifiés » et vaccinés contre toute tentation de retour à une puissance militaire, sous quelque forme que ce soit. C’est pourquoi la dilution dans l’Otan et la soumission au champion occidental qu’étaient les États-Unis leur convenaient si bien, empêchant jusqu’alors en réalité toute avancée de perspective d’une Europe de la défense, surtout si elle devait se situer sous influence française. Mais les temps ont changé, le monde ancien s’est décomposé et, dans l’esquisse du monde en gestation, les Allemands comme bien d’autres Européens, se rendent maintenant compte que la protection en général, la défense et la sécurité en particulier, sont redevenues des enjeux vitaux, non seulement pour l’Union européenne, mais également pour chacun de nos États-nations.
Dans l’étude de cette question, plusieurs concepts sont invoqués, souvent dans le désordre et sans qu’on connaisse le champ de ce que chacun d’entre eux recouvre. Le maître mot est celui de « défense », mis d’ailleurs à plusieurs sauces : défense européenne, Europe de la défense, défense de l’Europe ; celui de « sécurité » est apparu plus récemment à la faveur, semble-t-il, de la lutte contre le terrorisme et de l’apparition de menaces « non-conventionnelles » comme celles qui proviennent de la révolution numérique ; enfin, dernièrement mais reprenant des idées anciennes, celui d’une « armée européenne ». Il est pour le moins surprenant que les dirigeants français et allemand aient tous deux choisi ce terme d’armée européenne, sur lequel ils avaient déjà buté dans les années 1950 et 1960, et dont la signification est très différente de l’un à l’autre ; sa perspective se situerait naturellement en bout de chaîne et, de ce fait, nécessairement repoussée à un avenir hypothétique et lointain, sauf à continuer de vouloir inverser les priorités et, donc, programmer son échec.
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