Éditorial
Ce mois de mai a été marqué par les élections au Parlement européen. Jamais, depuis des années, le contexte international n’avait été aussi tendu et crispé avec la remise en cause des fondamentaux qui sous-tendaient les relations internationales depuis la chute du Mur. Retour des États-puissance, imposition du rapport de force, affaiblissement du modèle démocratique et volonté de fragiliser l’Union européenne et sa cohésion tant par la Chine, la Russie et ce qui est nouveau par les États-Unis de Donald Trump. Paradoxalement, cette construction originale, et sans équivalent sur la planète, ayant eu comme premier objectif d’établir la paix sur un continent qui s’était déchiré, tel un somnambule, à deux reprises, a développé un « soft power » qui semble aujourd’hui de plus en plus fragile, étant même critiqué de l’intérieur comme l’a montré la campagne électorale dans les pays membres. Il y a bien un désarroi européen, avec une remise en question de ces acquis qui avaient permis de dépasser les haines, les préjugés et les antagonismes amenant le « Vieux Continent » à sa déchéance.
D’où le besoin de remettre cent fois sur le métier ce projet européen avec ses faiblesses, ses lacunes, mais aussi ses forces et ses avancées, avec le dossier de ce mois consacré aux travaux de la Chaire des grands enjeux stratégiques de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Avec une idée directrice, l’Europe doit s’affirmer stratégiquement et assumer clairement ses responsabilités. Cela ne signifie pas pour autant remettre en cause l’Otan et le lien transatlantique mais plutôt d’assurer pleinement son rôle et d’arrêter d’esquiver, avec de mauvais prétextes, les charges qui lui incombent. Certes, cela ne sera pas facile. D’un côté, le Brexit aux effets délétères, de l’autre, les difficultés de l’axe franco-allemand avec des approches divergentes aggravées par la question du leadership industriel sur la BITD européenne. Autant d’obstacles qu’il faudra surmonter comme le soulignait Florence Parly, ministre des Armées, avec sa remarque acerbe considérant que l’article V n’était pas l’article F-35.
Ce besoin d’Europe sera d’autant plus nécessaire que l’environnement stratégique s’accélère. Il en est ainsi de l’intelligence artificielle (IA) qui pénètre quasiment toutes les activités de défense et qui nécessite à la fois investissements et réflexions éthiques et juridiques pour conserver une véritable souveraineté numérique face aux géants comme les GAFAM mais aussi la Chine pour qui l’IA est très clairement un outil sécuritaire au service de l’État. Le paradoxe de ce numéro tient d’ailleurs dans la place que campe désormais Pékin sur la scène internationale, en devenant le premier compétiteur des États-Unis et dont le projet géopolitique ne se limite plus à développer de la coprospérité mais bien à s’affirmer comme la première puissance mondiale demain et en imposant peu à peu son modèle politique autoritaire. Le rôle de la Chine sur le grand puzzle mondial va notamment s’accroître de façon inexorable avec la fin de certains traités liés à l’Arms Control. Là encore, le nucléaire va retrouver une actualité, avec de fait une prolifération probable à partir de l’Asie et une Europe faisant l’autruche, en pensant que son « soft power » et sa morale la préserveront des tensions géopolitiques.
Alors que la trêve estivale va bientôt ralentir le rythme politique, l’Europe aura tout intérêt à proposer une nouvelle dynamique à ses membres et aux citoyens de l’UE car la rentrée sera loin d’être un long fleuve tranquille avec un Brexit qui sera alors désormais inéluctable et le début de la campagne électorale américaine pour laquelle Donald Trump part favori. Soit l’Europe prend ses responsabilités, soit elle sera condamnée à être la brebis au milieu d’une meute de loups composée de mâles dominants. ♦