L’Europe s’est construite en trois phases depuis 1945. Mais la dernière avec l’absorption des pays de l’Est a échoué à cause du modèle d’intégration proposé visant à gommer les aspects nationaux, d’où un désarroi s’exprimant dans le populisme électoral. Il est nécessaire de réagir pour que cet échec ne soit pas définitif.
L’Europe vers l’échec ? L’âge de l’imitation et ses limites
Europe Facing Failure? The Age of Imitation and its Limits
Of the three phases of European construction since 1945 the last, which incorporated some former Eastern Bloc countries, has run into difficulty because of the proposed integration model that aimed at erasing a number of national aspects. The disarray rising from this, which has led to rising electoral populism, means there is a need to react to avoid this difficulty turning into a complete failure.
Aucun système politique n’est exactement semblable à l’image idéalisée que s’en font ses partisans. Aussi, la crise dont souffre actuellement l’Union européenne est-elle une crise normale, entretenue par l’écart constaté entre la réalité de l’UE et l’idée qu’en ont les citoyens, ou sommes-nous confrontés à un défi plus fondamental qui menace les fondements mêmes du projet européen ?
L’Europe d’aujourd’hui est la somme de trois Europe successives : l’Europe de l’après-guerre, l’Europe des droits de l’homme après 1968 et l’Europe unie qui a émergé à la fin de la guerre froide. L’Europe de l’après-guerre est à l’origine du projet européen. C’est l’Europe qui se souvient des horreurs et dévastations de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe qui a vécu dans la hantise de la prochaine guerre – forcément nucléaire et finale – et dans la détermination à l’empêcher. Les angles morts de cette Europe-là sont apparus au début des années 1990, quand la Yougoslavie a sombré dans le chaos alors que l’on croyait impossible un nouveau conflit majeur sur le continent. Cette Europe est aujourd’hui en crise parce qu’aux yeux des jeunes générations, la Seconde Guerre mondiale, c’est de l’histoire ancienne : le présent n’a plus à s’encombrer du passé. De surcroît, la génération des survivants n’est plus là pour entretenir une mémoire qui servait aussi de ciment. Et pour la plupart des migrants venus rejoindre les sociétés européennes, la Seconde Guerre mondiale n’est pas leur guerre : parlez de guerre aux réfugiés syriens, ils songeront à la destruction d’Alep, pas à Dresde ou Varsovie. L’Europe de l’après-guerre est aussi en crise parce que la majorité des Européens persiste à tenir la paix pour acquise cependant que le monde n’est plus sûr et qu’il n’est plus loisible d’attendre des États-Unis qu’ils protègent l’Europe comme ils avaient intérêt à le faire au temps de la guerre froide. La Russie annexe la Crimée, la course aux armements s’intensifie, mais Bruxelles prétend que la puissance militaire est obsolète et que seul importe désormais le « soft power » – une antienne qui sonne de plus en plus faux. En réalité, l’Europe de l’après-guerre n’évoque plus une puissance pacifique mais un continent incapable de se défendre.
Une autre Europe est en train de vaciller : l’Europe du projet post-1968 – l’Europe des droits de l’homme et notamment de ceux des minorités. L’âme européenne a été profondément marquée par la fièvre et les révolutions de l’année 1968, jusqu’à en conclure que l’État, dorénavant perçu par les yeux des groupes les plus fragiles et les plus persécutés, ne servait pas seulement à défendre les citoyens : il peut aussi les menacer. Ce revirement décisif dans l’idée que se font les Européens du monde et de leur rôle en son sein découle en grande partie du processus de décolonisation, mais aussi de l’expansion planétaire de l’imaginaire démocratique. Si un seul mot devait définir l’Europe d’après 1968, « inclusion » serait celui-ci. Pourtant, cette Europe est remise en question. Les spectaculaires transformations démographiques et sociales qu’ont connues les sociétés européennes au cours des dernières décennies ont mis en péril les majorités – celles qui ont tout, qui ont donc peur de tout et composent la force motrice de la politique européenne. Ces majorités menacées redoutent aujourd’hui d’être les perdantes de la mondialisation et d’abord de l’amplification des mouvements de population qui l’ont accompagnée. Au moment de voter, elles s’imaginent un avenir qui les verrait minoritaires dans leur propre pays, où seraient compromis leur culture et leur mode de vie. Alors que c’est leur droit, insistent-elles, de décider qui appartient à la communauté politique et de protéger la culture majoritaire qui est la leur. Les libéraux commettraient une grave erreur en se contentant d’ignorer ou de railler ces craintes ; dans le combat démocratique, les perceptions sont la seule réalité qui vaille. Les mouvements politiques en vogue sont précisément nombreux à se faire les défenseurs des droits de ces majorités, et en particulier de leurs droits culturels. En fait, la crise des migrants de 2015 a marqué un tournant dans la façon dont les Européens envisageaient la mondialisation. Elle a à la fois signé la fin de l’Europe de l’après 1968 et dévoilé les failles d’une certaine idée de l’Europe post-1989 : un consensus autrefois unificateur a volé en éclats. Les enquêtes, et c’est symptomatique, révèlent que si les jeunes générations se disent beaucoup plus tolérantes que leurs aînés sur le sujet des droits des minorités sexuelles, elles sont en revanche très proches de partager la même inquiétude à l’égard des migrants non européens, perçus comme une menace. Au demeurant, si les individus les mieux formés tendent à être plus tolérants en matière de différence religieuse, culturelle ou sexuelle, ils sont les moins accommodants envers qui ne partage pas leurs opinions politiques.
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