Military History – The Battle of the Marne between Joffre and Gallieni
Histoire militaire - La bataille de la Marne entre Joffre et Gallieni
La polémique sur les responsabilités réciproques de Joffre et de Gallieni, au sujet de la bataille de la Marne, semblait éteinte depuis longtemps, l’historiographie ayant tranché sur le rôle premier de Joffre, commandant en chef responsable de l’ensemble du théâtre, et de Gallieni, en sous-ordre. Mais, une biographie récente Joseph Gallieni par Pierre Montagnon (Via Romana, 2016) porte néanmoins toujours en sous-titre « Le vrai vainqueur de la Marne » ce qui incite, au regard de l’art de la guerre, de reconsidérer une nouvelle fois, « Joffre et Gallieni face à l’événement ».
Mais, auparavant, convient-il encore de bien préciser le niveau de responsabilité de chacun : Joffre commande l’ensemble des forces engagées sur le théâtre Nord-Est, c’est-à-dire le front occidental face à l’Allemagne, soit 7 armées et 2 corps de cavalerie, tout en assurant la liaison avec l’armée britannique ; quant à Gallieni, nommé gouverneur militaire de Paris le 15 août, en remplacement du général Michel, peu actif, il ne dispose que d’une armée à trois corps d’armée. Rien qu’à ce constat, il ressort que, tandis que l’action de Gallieni se situe au niveau tactique, celle de Joffre, au niveau du théâtre, relève de ce qu’on appellerait de nos jours le niveau opératif, à l’époque on disait stratégique ; pour faire court et un peu caricaturalement, comme le niveau interarmées n’existait pas, il n’y avait aucun niveau intermédiaire entre l’échelon tactique et le stratégique. En outre, Joffre devait conduire une bataille interalliée, et, même si formellement, la British Expeditionary Force (BEF) n’était pas placée sous ses ordres, elle était « associée » à la manœuvre, même si la notion de « contrôle opérationnel » actuelle était empirique à l’époque.
Ceci étant dit, qu’est-ce que la « Bataille de la Marne » ? C’est en fait, la reprise de l’initiative stratégique des mains de Moltke par celles de Joffre.
Comment ?
Par un gigantesque coup d’arrêt généralisé sur l’ensemble du front, suivi d’une contre-offensive de l’aile gauche, mais il serait fallacieux de réduire la bataille à cette seule manœuvre d’aile. Il ne faut jamais oublier en effet, que, depuis la mi-août, l’armée allemande attaquait partout, en marquant un net effort sur son aile marchante, à droite, visant à enrouler l’aile gauche française (1). Et ce retour offensif de Joffre n’a pu être réalisé que grâce à deux décisions anticipées, et prises très largement en amont de la décision même de livrer bataille le 6 septembre.
La première est la constitution d’une masse de manœuvre, la 6e Armée de Maunoury, par la ponction de grandes unités sur l’aile droite (le 7e Corps notamment par la dissolution de l’armée d’Alsace qui avait fait assez pâle figure dans l’affaire de Mulhouse) et déployée sur le flanc de l’aile marchante allemande, avant d’être mise à la disposition de Gallieni à Paris.
La seconde est l’ordre donné par Joffre à Lanrezac, de contre-attaquer localement, pour permettre de gagner les délais nécessaires pour franchir défensivement la Marne hors du contact de l’ennemi. C’est l’engagement de la 5e Armée à Guise le 29 août, sur deux directions divergentes, la même journée : un mouvement offensif vers Saint-Quentin le matin, suivi d’un coup d’arrêt sur l’Oise l’après-midi, avant de décrocher et de rompre le contact, le lendemain. Cette action de la 5e Armée a une conséquence capitale : Bülow demande à Kluck de progresser échelonné, par rapport à lui. Ce faisant, Kluck, commandant l’armée de l’aile marchante quitte le sillon de l’Oise pour soutenir Bülow, comme ordonné par ce dernier : au lieu de contourner Paris par l’Ouest, il va défiler à l’Est de la capitale, à hauteur de la Marne, ce qui constitue une remise en cause majeure de la planification de Schlieffen.
C’est cette manœuvre allemande, confirmée par les résultats d’une reconnaissance aérienne lancée par Gallieni, le 4 septembre, qui va décider Joffre à lancer la bataille. Mais, avant de lancer Maunoury, qui dépend de Gallieni qui le demande avec insistance, dans le flanc exposé de Kluck, Joffre doit s’assurer qu’il manœuvre en sûreté, à savoir, vérifier la cohérence de l’ensemble de son dispositif. Au Sud de la Marne, à hauteur de Sézanne, il demande à Franchet d’Espèrey, nouveau commandant de la 5e Armée depuis la veille, si celui-ci s’estime en mesure de contre-attaquer, et quand : réponse immédiate de Franchet, le 6 matin « si les Anglais marchent ». Il faut alors à Joffre, se porter au PC de French, maréchal, pour, avec les formes, le prier de bien vouloir participer à la contre-attaque. Réponse favorable de French.
Plus à l’Est, Moltke ayant basculé son effort de l’aile marchante sur son centre, la IIIe Armée de von Hausen, Joffre doit s’assurer que la nouvelle 9e Armée, commandée par Foch assure convenablement la liaison entre Franchet et de Langle, et surtout verrouille bien le fond de la nasse, à hauteur du camp de Mailly et de Fère Champenoise.
En Argonne, il confie à Sarrail, nouveau commandant de la 3e Armée, le rôle de pivot de sa manœuvre, en conservant la liaison avec de Langle aux débouchés de l’Argonne, tout en tenant la Woëvre, avec l’autorisation d’évacuer Verdun, si la situation l’exigeait, la liaison à la jointure des armées primant tout le reste.
Et, enfin, à l’Est de son dispositif, Joffre devait s’assurer de la bonne liaison (toujours !) entre Castelnau et Dubail, pour verrouiller la trouée de Charmes, en vue d’éviter un enveloppement, à partir du versant Ouest des Vosges.
C’est ainsi que, le 4 soir, Joffre put diffuser l’ordre d’arrêt général sur le front le 6 au matin, suivi d’une contre-attaque à l’aile gauche, bénéficiant des effets de l’attaque de flanc de Maunoury, à hauteur de l’Ourcq.
Et Gallieni ? Il avait juste à s’occuper de la contre-attaque de Maunoury, coordonnée avec des raids du Corps de cavalerie Sordet sur les arrières de la 1re Armée : savoir s’il attaquerait avec ses trois corps d’armée, au Sud ou au Nord de la Marne.
Finalement, s’il est vrai que la contre-attaque Maunoury a constitué le déclencheur tactique immédiat de la « bataille de la Marne », l’origine réelle tactiquement parlant, en demeurera Guise une semaine plus tôt, l’action de Gallieni n’avait qu’un rôle relevant du plus pur domaine tactique, attaquer avec trois corps d’armée au Nord ou au Sud de la Marne (il était partisan du Sud, mais Joffre le contraindra à attaquer au Nord). En revanche, le rôle de Joffre relevait, lui, du niveau du théâtre, coordonner l’ensemble des sept armées, et du niveau interallié : seule, la « présence » physique de Joffre au PC de French, « Monsieur le maréchal, il y va de l’honneur de l’Angleterre », pouvait enlever la décision de French de désobéir aux ordres de Kitchener de ne jamais se mettre sous les ordres d’un général français, et, le cas échéant, de décider seul, de la retraite vers les ports de réembarquement.
In fine, il apparaît bien que les rôles respectifs de Joffre et de Gallieni étaient disproportionnés, stratégique et interallié dans un cas, purement tactique dans le second. Mais, ce qui a faussé le jugement de beaucoup de commentateurs, sans parler de la lamentable querelle des entourages respectifs des deux chefs concernés, c’est l’appellation même de cette bataille, qui, c’est vrai, initialisée sur la Marne, s’est développée réellement depuis les bords de la Moselle et la trouée de Charmes, jusqu’au Sud de Paris, en passant par Verdun, le cours de l’Ornain, les hauteurs dominant Mailly et la région de Sézanne et de Nogent-sur-Seine. Objectivement, le rôle de Gallieni, important dans le déclenchement de la bataille, c’est la parade à sa contre-attaque qui a forcé Kluck à faire roquer, sous le feu, deux corps d’armée du Sud de son dispositif, jusqu’à son flanc droit, menacé (2), qui a créé la brèche entre les armées Bülow et Kluck, à l’origine du repli allemand, n’est, finalement au niveau du théâtre, que second : l’effort allemand n’étant plus prononcé par les armées d’aile droite, mais par celles du centre, c’est la résistance opiniâtre des armées Foch et de Langle, entre les marais de Saint-Gond au Nord de Sézanne et la région de Montier-en-Der, qui a brisé l’effort allemand avant la contre-attaque de Franchet, suivie d’une contre-offensive générale de toutes les armées à l’Ouest de la Meuse.
Finalement, si elle était passée à la postérité sous un autre nom que « bataille de la Marne », très réducteur de la réalité de l’engagement de l’intégralité des armées françaises entre les 6 et 13 septembre 1914, cette bataille n’aurait pas donné lieu à cette polémique stupide qui dure encore plus d’un siècle après son déroulement. Une nouvelle fois, pour juger des rôles respectifs de tel ou tel grand chef dans une action militaire, il convient toujours de se poser la seule question qui vaille : à quel niveau de responsabilité et de commandement se situent-ils ? C’est la réponse à cette question qui fournit les seuls éléments de réponse tangibles. ♦
(1) Ce qui, sans l’initiative heureuse de Lanrezac de décrocher de Charleroi le 24 août, a bien failli arriver !
(2) Ce qui illustre l’aisance manœuvrière des états-majors allemands.