Le retour des combattants de Syrie est un défi. Au-delà de la réponse judiciaire, il est nécessaire de mettre en place un accompagnement psychologique pour des individus marqués par la violence brutale. Ces « revenants » représentent un danger s’ils ne sont pas pris en charge. Il y a donc besoin d’anticiper ce mouvement inéluctable.
Le défi du retour des combattants de Syrie
The Challenge of Combatants Returning from Syria
The return of combatants from Syria poses some difficulty, since apart from the legal aspects there is a need to set up a form of psychological support for those individuals affected by brutality and violence. These returning people represent a danger if they are not taken in hand: there is therefore a need to keep a step ahead of this unavoidable movement.
À la fin du mois de mars 2019, le dernier réduit de Daech en Syrie, Baghouz, est repris par les Forces démocratiques syriennes (FDS), l’alliance arabo-kurde soutenue par les Occidentaux. La disparition de l’emprise territoriale de Daech dans l’espace irako-syrien s’accompagne d’interrogations sur la durée de l’engagement américain auprès des FDS, et donc de leur capacité à résister à une reconquête totale de son espace national par le régime de Bachar el-Assad. Tant que les FDS ont disposé d’une autonomie de fait dans l’administration d’une partie du territoire syrien et qu’ils collaboraient avec les autorités irakiennes, la France a prôné une gestion locale des jihadistes français arrêtés dans la région. Cette doctrine est remise en cause aujourd’hui.
À court ou à moyen terme (fin de l’autonomie arabo-kurde), se pose la question d’un retour de ces jihadistes sur le sol national après une peine de prison effectuée en Irak ou en Syrie. Depuis de longs mois, elle revient régulièrement dans l’actualité, occultant le sort d’autres combattants français partie prenante du conflit, du côté des FDS cette fois-ci. Ce relatif silence traduit une perception différente – positive – de ces volontaires armés ayant rejoint les rangs kurdes. Pour les premiers, cela tient aux mécanismes liant Daech à la recrudescence d’attentats islamistes dans le monde et singulièrement en France. Pour autant, les combattants qui ont rejoint la cause du « Califat » (selon le discours de Daech) s’inscrivent dans une longue chaîne historique de volontaires armés dans des conflits étrangers pour lesquels aucun traitement systématique n’a été vraiment mis en œuvre. Comparer différents engagements ne consiste ni à les mesurer sur une même échelle de valeurs, ni à exonérer les Français qui ont choisi d’aller « faire le jihad » en Syrie. Pour autant, tous les Français qui ont rejoint la Syrie l’ont-ils fait en sachant qu’ils devenaient complices d’un groupe terroriste ? Comment discriminer les jihadistes endurcis parmi eux ? Ceux qui ont rallié les forces arabo-kurdes ont également participé à une guerre hybride très dure en Syrie. La réinsertion d’hommes qui ont ainsi été confrontés à cette extrême violence ne doit-elle pas être interrogée ? Ce sont ces diverses difficultés que nous proposons ici d’explorer. Dans le cas des engagements jihadistes, le recul est suffisant pour tenter la comparaison avec les retours qui ont suivi la guerre de Bosnie. Sortir du jugement de valeur et appréhender le problème du retour sous un angle dépassionné permet sans doute de mieux évaluer les différentes menaces dont ces « revenants » (David Thomson) sont les vecteurs.
Le retour des jihadistes endurcis : un problème qui focalise l’attention
Une part des jihadistes pose particulièrement problème. Il s’agit des hommes qui ont assumé des responsabilités importantes dans la violence islamiste transnationale, notamment par le recours au terrorisme. Les Français qui sont restés dans les rangs de Daech jusqu’à la disparition de son emprise territoriale doivent certainement être classés dans cette catégorie, à l’instar de Thomas Barnouin et Thomas Collange (issus de la filière dite d’Artigat) ou encore d’Adrien Guihal, la voix par laquelle Daech a revendiqué les attentats de l’été 2016 en France. Pour envisager les approches par lesquelles il faudra les traiter à leur éventuel retour, la comparaison avec la Bosnie paraît plein de sens. Le « gang de Roubaix » a regroupé des jihadistes endurcis revenus de Bosnie. Au contact des « Afghans », Christophe Caze bascule en Bosnie dans une violence toujours croissante et mène le groupe à son retour (1). Il est abattu par la police après l’assaut de Roubaix. Condamné à une lourde peine d’emprisonnement, le second, Lionel Dumont, ne semble pas fléchir dans sa volonté tumultueuse d’en découdre. En 2017, alors qu’il est toujours derrière les barreaux, son nom apparaît dans un projet d’attentat terroriste dans le Nord (2). Comme d’autres, son cas pose l’enjeu des politiques publiques à mettre en place, tant en milieu carcéral qu’en amont et en aval. Le bilan négatif de la première expérience d’un centre de « déradicalisation » a conduit à sa fermeture en 2017. D’abord privilégié, le regroupement d’islamistes radicaux dans des unités dédiées en milieu carcéral est ensuite écarté pour les répartir entre 27 établissements dans des conditions de détention ordinaires, simplement soumis à des dispositifs de surveillance particuliers. Les décideurs semblent aujourd’hui dans une impasse. Pourtant, un autre Français parti faire le jihad en Bosnie, passé ensuite par des camps d’entraînement en Afghanistan, David Vallat, a réussi à se réinsérer. Après sa condamnation à cinq années de prison, il s’est marié et il est devenu cadre dans l’industrie (3). L’un des enjeux consiste donc bien à identifier les modalités de mise à l’écart des cas les plus difficiles parmi les « revenants » pour les isoler durablement (Lionel Dumont) et les bons mécanismes de « désembrigadement » pour d’autres (David Vallat).
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