L’Iran et le détroit d’Ormuz – Stratégies et enjeux de puissance depuis les années 1970
L’Iran et le détroit d’Ormuz – Stratégies et enjeux de puissance depuis les années 1970
Il est rare qu’un mémoire de recherche de master 2 fasse l’objet d’une publication. Il est donc d’autant plus utile de le signaler et de le mettre en valeur quand le résultat est de qualité, ce qui est indéniablement le cas de l’ouvrage de Léa Michelis consacré au détroit d’Ormuz. Certes, le détroit d’Ormuz ne paraît pas connecté de prime abord à la thématique méditerranéenne, mais l’est pourtant par le biais de l’économie, des routes maritimes et des enjeux géopolitiques, l’Iran étant devenu un acteur du jeu méditerranéen. L’auteur, diplômée de Sciences Po Aix, a su éviter le piège du hors-sujet qui aurait constitué à ne traiter du détroit que de manière secondaire, privilégiant la géopolitique de l’Iran. Elle place au contraire ce détroit stratégique au cœur de sa problématique, décrivant cette zone et ses îles, l’analysant sous tous ses angles – notamment symbolique et économique – et montrant très bien comment elle est instrumentalisée à des fins stratégiques et politiques par l’ensemble des acteurs qui y transitent.
Le plan, en trois parties, est à la fois cohérent et bien équilibré. La première partie, résolument historique, retrace la place d’Ormuz au cœur des héritages et des ressources de la puissance régionale iranienne, quelle que soit son appellation. La deuxième, plus thématique, souligne le rôle du détroit comme fer de lance de la stratégie iranienne au sein d’un espace catalyseur de menaces. Les développements sur la sécurisation et la militarisation du détroit, de même que sur la modernisation de l’outil naval iranien, sont très intéressants. Léa Michelis montre ainsi très bien que l’intérêt du gouvernement iranien n’est pas de fermer le détroit – au-delà de la rhétorique des durs du régime – car cela reviendrait pour lui à s’asphyxier économiquement, mais à menacer de le faire s’il était attaqué. Le détroit d’Ormuz devient ainsi un outil de dissuasion et de rétorsion plus qu’un outil « offensif ». La troisième partie, plus géopolitique, montre comment le détroit d’Ormuz est perçu comme un outil de coopération par le régime iranien, notamment en direction des puissances asiatiques qui entretiennent toutes d’excellentes relations avec Téhéran (tout particulièrement l’Inde, la Chine, le Japon, les Corée, l’Indonésie et la Malaisie).
Outre qu’il est bien écrit et agréable à lire, cet essai bien documenté révèle quelques perles, notamment « l’affaire » qui défraya la chronique en 1975 (p. 54-56) et opposa la compagnie aérienne Air France au Chah d’Iran car elle avait retiré l’appellation « golfe Persique » de l’ensemble de ses cartes de bord et de navigation. En bonne historienne, Léa Michelis reste objective et équilibrée et ne tombe ni dans le travers de la stigmatisation, ni dans celui de l’approche idéologique. C’est d’autant plus méritoire s’agissant d’un sujet ayant trait à l’Iran dont l’évocation déchaîne les passions parmi certains diplomates, experts et dirigeants politiques.
Les développements sur le sultanat d’Oman – l’autre gardien du détroit – sont très pertinents, de même que l’analyse de la rivalité entre l’Iran et le Pakistan pour l’influence sur la région mitoyenne du Baloutchistan. Peut-être aurait-il fallu analyser davantage le rôle des Émirats arabes unis et de la Chine ? Seuls regrets, quelques formules maladroites et l’absence de cartes suffisamment grandes pour être exploitables, qui auraient utilement illustré les propos de l’auteure, de même qu’une bibliographie qui aurait gagné à être complétée ; on aurait notamment aimé y voir figurer Ormuz, de Jean Rolin (POL, 2013), qui constitue le récit de voyage d’une rive à l’autre du détroit.
Mais le bilan reste très positif et il convient de féliciter Léa Michelis qui, avec ce coup d’essai, a réussi un coup de maître. On lui souhaite de persévérer dans la recherche et de nous livrer d’autres ouvrages dans le futur. ♦