L’Honneur, pas les honneurs – Mémoires, tome I - Avec le 2e REP en Algérie
L’Honneur, pas les honneurs – Mémoires, tome I - Avec le 2e REP en Algérie
« Tout est perdu fors l’Honneur », s’écrie le roi de France, François Ier, au soir de la bataille de Pavie. Cette phrase, le capitaine Pierre Montagnon peut la faire sienne en ce soir du 20 juillet 1961 où le Haut tribunal militaire vient de le condamner à un an de prison avec sursis pour sa participation au putsch d’Alger. Ce verdict met un terme à sa carrière militaire : sept années passées dans les rangs de la Légion étrangère, au sein du prestigieux 2e Régiment étranger de parachutistes (REP).
Le jeune Pierre est au Prytanée militaire de La Flèche où il prépare le concours de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr qu’il intègre le 1er octobre 1951. Deux années à Coëtquidan : des cadres de qualité, les obsèques du maréchal de Lattre et une solide amitié avec un légionnaire d’exception, Pierre Francoville, alias Adhémar, dont une promotion (2008-2011) portera le nom, qui lui fera désirer la Légion. Suit une année à Saint-Maixent pour se spécialiser dans l’Arme qu’il a choisie : l’Infanterie. Mi-juin 1954, un mois après la chute de Diên Biên Phu, c’est le choix des affectations : en tant que major, il est le premier à s’exprimer : « 3e Bataillon étranger de parachutistes, Sétif ! ». Un passage à Pau pour obtenir les qualifications d’officier para et, le 18 septembre 1954, il débarque à Sétif. Il est affecté au Groupement d’instruction. Le 1er novembre 1954, c’est la Toussaint sanglante et le début de l’insurrection en Algérie. Jusqu’à mars 1955, c’est la vie de garnison mais le lieutenant Montagnon est désigné pour rejoindre le 2e BEP en Indochine. La guerre est terminée mais il y reste de nombreuses unités françaises. Le sous-lieutenant Montagnon découvre la richesse du recrutement légionnaire : des hommes aux parcours, aux origines sociales et aux passés très divers, tous unis par une expérience du combat acquise en Indochine, pour les plus jeunes, et, pour les plus anciens, sur les différents fronts et dans tous les camps de la Seconde Guerre mondiale. Il y découvre aussi la fraternité d’armes qui unit, par-delà grade, race ou religion, la grande communauté légionnaire. Mais le rapatriement s’accélère et le BEP doit rentrer en Algérie. Dans la nuit qui précède le départ, devant sa 7e compagnie rassemblée, le lieutenant Marce, rescapé de la RC 4, s’adresse à ses légionnaires : « Nous allons quitter à jamais cette Indochine où nous nous sommes tant battus depuis des années. Pensons à nos camarades qui [y] sont tombés [suit une longue liste de noms]… Nous rentrons. Un autre combat nous attend. L’Algérie, c’est la France. Elle ne doit pas tomber aux mains des Rouges. Oui, là-bas, nous allons avoir à nous battre à nouveau, mais là-bas nous gagnerons. Nous ne partirons pas. Le coup de l’Indo, on ne nous le fera plus ! ». Le drame de l’Algérie française est tout entier dans les paroles de cet officier de trente ans.
Le 1er décembre 1955, le 2e BEP devient 2e REP avec Philippeville comme garnison. C’est le début d’une vie opérationnelle qui ne s’arrêtera qu’en 1962. En novembre 1956, dans un thalweg du Djebel Zitoune, c’est le baptême du feu pour Montagnon et le premier mort de sa section, le caporal Haas. Quelques prisonniers, à l’issue, rapporteront : « On a entendu parler dans toutes les langues. On s’est dit : c’est la Légion ! On est foutus ! » En décembre suivant, il est grièvement blessé en donnant l’assaut contre une forte concentration rebelle. Après six mois d’interruption médicale en Métropole, c’est le retour au REP, en juin 1957, et la reprise des opérations. Les combats se succèdent : le Darmour, le Djebria, le Bou Djellal (119 rebelles tués), la table du Fedjouj où sa section dégage une unité d’appelés sous les vivats de ces derniers : « Bravo la Légion ! Allez la Légion ! » En décembre, retour à Philippeville, où le REP fêtera Noël.
Janvier 1958, départ pour El Milia : ratissages, accrochages et bons bilans. Le contact avec Pieds-noirs et Harkis au cours des déplacements forge l’amour du lieutenant pour l’Algérie française et donc son refus de l’abandonner, même s’il est conscient que beaucoup de choses doivent changer. Le 6 avril 1958, le colonel Lefort, dit « Toto », qui arrive des bureaux parisiens, prend le commandement après l’intérim du lieutenant-colonel Masselot qui devient le second. Le franc-parler de ce dernier ne convient pas à son nouveau chef qui le fait muter. Les opérations continuent, la journée du 13 mai à Alger passe inaperçue (« journée de dupes » note l’auteur), interrompues par un bref séjour parisien, le défilé du 14 juillet 1958. En octobre, arrive le légendaire commandant Cabiro, le « Cab », figure des paras-Légion : « ce guerrier voyait clair et était chanceux. Il portait bonheur au régiment ». En même temps, Montagnon reçoit la Légion d’Honneur : « au REP, un lieutenant sans la Rouge se sent nu ».
L’année 1959 débute à Souk Ahras, où, le 1er mars, un gros détachement fellaga (fell) est accroché, le capitaine Bourgin est tué au cours du combat. Il donnera son nom à une promotion de l’École militaire interarmes (EMIA). Après un grandiose Camerone, le REP retrouve Philippeville pour repartir, fin juin, anéantir une katiba qui s’était égarée dans la plaine de Bône. Le 14 juillet, le lieutenant Montagnon a l’honneur de porter le drapeau pour le défilé à Bône. À l’automne débute le plan Challe qui va ratisser l’Algérie d’Est en Ouest. Novembre et décembre dans le froid et la pluie : le fell est devenu gibier et est exsangue. Noël à Philippeville, permission en Métropole, l’auteur retrouve le REP fin janvier 1960 et y apprend l’affaire des « Barricades d’Alger » sur laquelle il porte un jugement négatif, estimant qu’elle crée une fissure entre l’armée et la population.
Mars 1960, c’est la « Tournée des popotes » du général de Gaulle, pour rassurer l’armée : « Moi vivant, le drapeau vert et blanc ne flottera jamais sur Alger ! » Et le 31 mars, c’est le départ du colonel Lefort, Toto : « hors l’affaire Masselot, il s’est montré courtois et généreux ». C’est le colonel Darmuzai, « Petit Pierre », qui lui succède : « contrairement à Toto, il n’est pas chanceux et il est méchant ». Le 8 avril, Montagnon est nommé capitaine, il quitte sa chère 2e section et la 2e compagnie pour suivre le cours des capitaines à Saint-Maixent et prend le commandement de la 4e compagnie, le 10 septembre 1960. Dans la foulée, départ dans les Aurès pour terminer le ratissage du plan Challe. Le 2 décembre, sous les ordres du Cab, réduction d’un très gros élément rebelle sur les hauts du Chélia. La 4e est héliportée sur l’objectif et c’est l’occasion d’un compliment : « Les pilotes d’hélicos sont des As, parfaitement rodés aux opérations héliportées. » Les combats seront très durs : 57 rebelles abattus, 9 tués au régiment et de nombreux blessés. Le 28 décembre, le régiment est envoyé aux confins marocains, zone d’action tout à fait inhabituelle mais qui s’explique par son éloignement de Philippeville car le 6 janvier 1961 aura lieu le référendum sur l’autodétermination et le REP, dont les opinions Algérie française sont connues, pourrait faire obstacle au « Oui » souhaité par le commandement.
Début 1961 : les fells ont quasiment disparu mais ceux qui restent sont des durs et la 4e aura perdu 13 des siens entre septembre 1960 et le 22 avril 1961. Car, ce jour-là à l’annonce du putsch d’Alger, le REP, dont « Petit Pierre » s’est mis prudemment en retrait, va entrer en rébellion, mené par ses capitaines et ses lieutenants, rejoints par Cabiro qui déclare : « C’est une connerie mais c’est sans doute le dernier moyen de sauver l’Algérie française. Je viens. » Il se déplace dans l’Algérois puis, le 25, après l’arrêt du général Challe, il rentre à Philippeville où le colonel Darmuzai convoque tous ses officiers à 18 heures. À la surprise générale, c’est un magnétophone, à ses côtés, qui débite son allocution. Il refuse le moindre contact avec eux et les commandera par l’intermédiaire du commandant en second. Le 28 avril, il conclura son rapport sur ces événements par ces mots qui, de la part d’un chef de corps, horrifient ses officiers : « Le 2e REP a trahi […] l’unité ne mérite pas de survivre ». Heureusement, il n’en sera rien. Puis ce sont les arrêts à Alger, aux forts de Nogent, de l’Est et la prison de Fresnes, dans l’attente du procès. Il a lieu le 20 juillet, verdict : un an avec sursis. Et, désormais, définitivement civil : « Mais pas question d’abandonner. Bien que civils, il y a encore à faire pour défendre l’Algérie française. »
Le tome II de ces Mémoires est à paraître : il racontera ce combat « civil » et nous en attendons la lecture avec impatience tant celle du premier nous a passionné : merci, mon capitaine ! Le tome I se concluait par cette profession de foi que cinquante-sept années n’ont en rien altérée : « Avoir servi à la Légion reste le grand moment d’une vie. » Après avoir fait appel au roi François Ier pour introduire cette recension, C’est à une reine de la Chanson, Édith Piaf, qu’il revient de conclure, avec ces paroles souvent chantées, en prison, par l’auteur : « Non rien de rien, non je ne regrette rien… » ♦