La Diplomatie n’est pas un dîner de gala - Mémoires d’un ambassadeur
Le titre des mémoires de Claude Martin renvoie à la célèbre citation de Mao Zedong (1) qui souligne la violence de la Révolution. De façon analogue, le lecteur s’apercevra à l’aune de la très riche expérience de l’auteur que la diplomatie ne fait pas toujours preuve d’élégance, de tranquillité et de délicatesse, ni de douceur, d’amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d’âme.
Repéré pour ses compétences en mandarin, Claude Martin est envoyé en Chine pour la première fois en 1964 par le ministère des Affaires étrangères, à une époque où l’ambassade de France à Pékin manquait justement de sinologues. Diplômé de Science Po et des Langues O, il venait de réussir le concours de l’ENA et devait effectuer son service militaire. Surtout, le général de Gaulle venait de reconnaître la Chine maoïste.
En arrivant en Chine, Claude Martin rencontre son destin et ne cessera plus de se passionner pour l’Empire du Milieu. Parcourant inlassablement le pays, il effectue de très nombreux voyages dans les différentes provinces et parvient à nouer des contacts privilégiés avec la population, ainsi que de nombreuses et solides amitiés. S’il n’est en poste en Chine qu’une dizaine d’années au cours de sa longue carrière de diplomate, les affaires chinoises n’ont jamais cessé de le préoccuper, et ce même lorsque durant ses passages au Quai d’Orsay ou pendant son affectation à la tête de l’ambassade de France à Berlin, il se consacrait davantage à la construction européenne et aux relations bilatérales avec l’Allemagne.
Grand témoin de l’Histoire, l’auteur livre autant d’anecdotes que de réflexions stratégiques, et jette un regard lucide, sans complaisance, sur les plus grands décideurs politiques avec lesquels il a collaboré. À l’heure où la Chine est susceptible de devenir la première puissance mondiale, la lecture de La diplomatie n’est pas un dîner de gala s’avère indispensable pour comprendre son histoire récente et pénétrer ses ressorts.
En se plongeant dans cet ouvrage très riche dont la lecture est aisée, chacun se trouve embarqué dans une épopée de plus de quarante ans sur les continents européens et asiatiques. On redécouvre de l’intérieur les grandes étapes de la révolution culturelle et de l’ouverture de l’économie chinoise, en passant par la répression de Tian’anmen et l’exfiltration des principaux opposants au régime. On suit également les nombreuses péripéties du processus de pacification du Cambodge, dont Claude Martin a été un habile et indispensable artisan, ainsi que les atermoiements de la diplomatie française dans la vente des frégates à Taïwan – et l’affaire qui en a découlé. En parallèle, le lecteur se trouve plongé dans les grandes étapes de la construction et de l’élargissement de l’Union européenne, et découvre l’envers des tractations bruxelloises auxquelles Claude Martin a participé.
Les mémoires de l’ambassadeur apportent une contribution salutaire à une nécessaire réflexion sur la façon de conduire les affaires internationales, entre hypocrisie et idéalisme. On retiendra ainsi que seule l’Europe est de taille à se mesurer avec la Chine, et que la diplomatie conduite par la France depuis la présidence de Nicolas Sarkozy ne s’inscrit plus désormais dans la tradition gaullienne des relations internationales. ♦
(1) « La révolution n’est pas un dîner de gala ; elle ne se fait pas comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie ; elle ne peut s’accomplir avec autant d’élégance, de tranquillité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d’amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d’âme. La révolution, c’est un soulèvement, un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre. », Le petit livre rouge, 1966.