Le président de la République a présenté, à l’École militaire, devant les autorités de l’État et les stagiaires de l’École de guerre les enjeux stratégiques actuels et de demain autour de la dissuasion nucléaire. La France doit rester déterminée à assumer ses responsabilités pour maîtriser son destin au sein d’une Europe plus unie.
Préambule - Stratégie de défense et de dissuasion
Preamble—Defence Strategy and Deterrence
Speaking to an audience at the École Militaire of national authorities and students of the French War College, the President of the Republic presented the current and future strategic challenges of nuclear deterrence. France must remain determined to assume its responsibilities in order to control its future within a more united Europe.
C’est un réel plaisir pour moi de me trouver aujourd’hui parmi vous au sein de cette prestigieuse École de Guerre qui a formé tant de nos chefs militaires *. Aussi curieux que cela puisse paraître, aucun chef de l’État n’est revenu ici depuis Charles de Gaulle. C’est d’ailleurs devant vos lointains prédécesseurs, aux premiers jours de la Ve République, dans un discours resté fameux, que le général de Gaulle avait annoncé le 3 novembre 1959, il y a maintenant soixante ans, la création de ce qu’il avait alors appelé la « force de frappe ».
Le contexte stratégique a évidemment depuis profondément évolué et il me paraît important de venir partager avec vous, qui allez être appelés dans les prochaines années aux plus hauts postes de nos armées, quelques réflexions sur les fondamentaux de notre stratégie de défense.
Il n’est pas besoin ici de rappeler que « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » comme le disait un auteur dont la fréquentation est recommandée sur ces bancs. C’est donc, pour reprendre votre dialectique militaire, à une analyse de situation, c’est-à-dire l’analyse du monde tel qu’il est et non du monde tel qu’on aimerait qu’il soit, que je voudrais aujourd’hui procéder avec vous, avant de vous exposer mon idée de manœuvre en tant que chef des armées.
L’état du monde, je l’ai à plusieurs reprises déjà décrit tel que je le vois, et je dois dire que je partage avec l’écrivain Amin Maalouf le constat d’un dérèglement du monde et, je le cite : « l’inquiétude d’un adepte des Lumières, qui les voit vaciller, faiblir, et, en certains pays, sur le point de s’éteindre ». La dernière décennie que nous venons de vivre a vu les équilibres stratégiques, politiques, économiques, technologiques, énergétiques et militaires, largement remis en cause et nous voyons aujourd’hui poindre à nouveau ce qui pourrait mettre à mal la paix acquise après tant de drames sur notre continent. Alors que les défis globaux auxquels notre planète est confrontée devraient exiger un regain de coopération et de solidarité, nous faisons face à un délitement accéléré de l’ordre juridique international et des institutions qui organisent les relations pacifiques entre États. Ces phénomènes ébranlent le cadre de sécurité global et affectent, directement ou indirectement, notre stratégie de défense. Les risques, les menaces, se sont accrus et diversifiés. Leurs effets se sont accélérés, rapprochés de nous, jusqu’à nous toucher directement pour certains.
Au lendemain de mon élection, la lutte contre le terrorisme a été ma première priorité. Elle le restera, car un certain nombre de groupes terroristes se sont déclarés eux-mêmes comme nos ennemis. L’ennemi, c’est une menace qui se concrétise. Le califat territorial de Daech a depuis été détruit, mais les réseaux et l’idéologie terroriste djihadiste, alimentés au terreau des États faillis, continuent à chercher des failles dans nos sociétés, matérialisant l’existence d’un continuum entre la défense et la sécurité. Pourtant, il serait naïf et inconséquent de notre part de limiter l’ensemble des problématiques de défense et de sécurité à une seule menace, si prégnante soit-elle. En réalité, alors que nos concitoyens et nous-mêmes nous focalisons à juste titre sur la lutte antiterroriste, dans le même temps, le cours du monde continue de changer sous nos yeux. Nous sommes ainsi chaque jour confrontés aux conséquences de la mondialisation, directes ou indirectes, sur notre souveraineté et notre sécurité.
La maîtrise des ressources et des flux, qu’ils soient matériels ou immatériels, constitue le ferment de nouvelles stratégies de puissance. La haute mer, les espaces aériens et exo-atmosphériques, le numérique, ces espaces communs qui s’interpénètrent et complexifient notre compréhension des enjeux, deviennent ou redeviennent des terrains de rapports de force et parfois de confrontation. Par leur dispersion géographique, leur simultanéité, leur complexité, ces évolutions étendent de facto le champ et les modalités des confrontations interétatiques possibles. Elles sont les symptômes au fond d’une époque de profondes ruptures que nous sommes en train de vivre.
La première rupture est d’ordre stratégique. Une nouvelle hiérarchie des puissances se dessine, au prix d’une compétition stratégique globale, désinhibée, porteuse pour l’avenir de risques d’incidents et d’escalade militaire non maîtrisée. Plusieurs tendances lourdes, prévisibles, sont à l’œuvre.
• D’abord, la compétition globale engagée entre les États-Unis et la Chine est aujourd’hui un fait stratégique avéré, qui structure et structurera dorénavant les relations internationales.
• Ensuite, la stabilité stratégique en Europe nécessite davantage que le confort d’une convergence transatlantique acquise avec les États-Unis. Notre sécurité dépend donc de notre capacité à nous investir de manière plus autonome à l’égard de notre voisinage à l’Est comme au Sud.
• Enfin, la frontière entre compétition et confrontation, qui nous permettait de distinguer le temps de paix du temps de crise ou de la guerre, est aujourd’hui profondément diluée. Elle laisse place à de multiples zones grises où, sous couvert d’asymétrie ou d’hybridité, se déploient des actions d’influence, de nuisance voire d’intimidation, qui pourraient dégénérer.
Ces tendances lourdes ne peuvent être ignorées, par nous-mêmes, par l’ensemble des Européens, alors même que d’autres puissances sont engagées dans des programmes de réarmement, y compris nucléaire, et que ces dernières années ont été marquées par une accélération de ces programmes. Dans ce domaine, la multipolarité nucléaire actuelle n’a rien de comparable avec la logique qui prévalait lors de la guerre froide. Contrairement à la France et à ses alliés, certains États optent sciemment pour des postures nucléaires opaques, voire agressives, incluant une dimension de chantage ou de recherche du fait accompli. Les équilibres dissuasifs entre puissances sont ainsi devenus plus instables.
Avec la prolifération des missiles aux technologies plus avancées, nous sommes également confrontés à une situation inédite où des puissances régionales sont, ou vont être, en mesure de toucher directement le territoire de l’Europe. Enfin, le tabou de l’usage des armes chimiques a été brisé à de multiples reprises en Syrie, en Malaisie et jusqu’en Europe même. À l’évidence, cette rupture stratégique rendra encore plus exigeantes les conditions de nos engagements militaires futurs. En particulier, lorsqu’elles seront engagées pour décourager des agresseurs potentiels ou pour augmenter le coût de leurs actions, nos armées devront faire face à un durcissement sensible de leur environnement opérationnel.
La deuxième rupture est d’ordre politique et juridique. Je l’évoquais il y a un instant en creux dans mon introduction : c’est la crise du multilatéralisme et le recul du droit face aux rapports de force. L’idée même d’un ordre multilatéral fondé sur le droit, où le recours à la force est régulé, où les engagements sont respectés, où les droits créent des obligations qui s’appliquent à tous, cette idée-là est profondément remise en cause aujourd’hui. Cette déconstruction des normes internationales s’inscrit dans une logique assumée de compétition, où seules primeraient la loi du plus fort, la réalité du rapport de force. Les plus cyniques vont jusqu’à se draper dans la légalité et un attachement de façade à l’ordre international, pour mieux les violer en toute impunité.
Ces attitudes posent évidemment des questions fondamentales à nos démocraties. Pouvons-nous être les seuls à accepter de respecter les règles du jeu, les seuls dont la signature sur les engagements internationaux aurait encore une valeur ? Serait-ce aujourd’hui devenu une coupable naïveté ? La réalité c’est que ces enjeux restent essentiels pour l’immense majorité des États-membres des Nations unies, pour lesquels le droit est protecteur et stabilisateur et qui aspirent à un ordre international qui renforce la sécurité et la paix. Aucun peuple ne peut trouver son intérêt dans l’affaiblissement du caractère universel des droits de l’Homme. Aucun peuple ne peut trouver son intérêt dans la remise en cause de l’autorité du droit international humanitaire, ou celle des différents régimes de non-prolifération, ou de la convention sur le droit de la mer ou encore du traité de l’espace.
L’Europe elle-même est directement exposée aux conséquences de cette déconstruction. Regardons la situation actuelle : depuis le début des années 2000, c’est en effet l’ensemble de l’architecture de sécurité en Europe, difficilement bâtie après 1945 durant la guerre froide, qui s’est trouvé progressivement fissuré, puis sciemment déconstruit brique par brique. Après le blocage des négociations sur les armements conventionnels, la fin, en 2019, du traité sur les forces nucléaires intermédiaires est le symbole de ce délitement. Les Européens doivent aujourd’hui collectivement prendre conscience que, faute de cadre juridique, ils pourraient rapidement se trouver exposés à la reprise d’une course aux armements conventionnels, voire nucléaires, sur leur sol. Ils ne peuvent pas se cantonner à un rôle de spectateurs. Redevenir le terrain de la confrontation des puissances nucléaires non européennes ne serait pas acceptable. En tout cas, je ne l’accepte pas.
Enfin, la troisième rupture est technologique. La technologie est en effet à la fois un enjeu, un perturbateur et un arbitre des équilibres stratégiques. Le déploiement de la 5G, le cloud pour stocker les données, ainsi que les systèmes d’exploitation sont aujourd’hui des infrastructures stratégiques dans le monde contemporain. Nous avons sans doute ces dernières années trop souvent considéré qu’il s’agissait là de solutions commerciales, de sujets simplement industriels ou marchands, alors que nous parlons là d’infrastructures stratégiques pour nos économies évidemment et pour nos armées.
L’émergence de nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, les applications de la physique quantique ou encore la biologie de synthèse, est porteuse de nombreuses opportunités, mais également source de futures instabilités. Porteur d’innovations sans limite, le numérique innerve tous les milieux physiques. Devenu lui-même un champ de confrontation à part entière, sa maîtrise exacerbe les rivalités entre puissances, qui y voient un moyen d’acquérir la supériorité stratégique. Il offre également des possibilités inédites de surveillance de masse des populations, d’exercice d’un autoritarisme numérique. En temps de crise, ces ruptures technologiques mettront davantage sous tension nos capacités d’analyse, de décision, tiraillées entre exhaustivité, véracité et réactivité. En ce sens, elles augmentent les risques de dérapage et appellent à la mise en place de mécanismes de déconfliction, robustes et transparents.
Vous le voyez, les grandes ruptures de ce monde nous obligent à penser sans tabou ce que pourraient être les guerres de demain, étant bien conscients qu’en ce début de XXIe siècle « ni les hommes ni les États n’ont dit adieu aux armes » pour reprendre les mots de Raymond Aron.
Il y a d’abord les conflits interétatiques où des États tiers, agissant en soutien des différents belligérants, peuvent se retrouver face à face. C’est le cas aujourd’hui en Libye, en Irak ou en Syrie. L’opération Hamilton conduite avec les États-Unis et le Royaume-Uni en 2018 pour sanctionner l’usage prohibé d’armes chimiques par le régime syrien, a illustré de manière concrète cette imbrication accrue, ces risques d’escalade et la nécessité de canaux permanents de dialogue afin de les limiter. Il y a également la multiplication des zones de friction entre puissances, lorsqu’elles sont engagées dans des activités de démonstration, parfois à la limite de l’épreuve de force. C’est le cas en mer dans plusieurs zones contestées, de la Méditerranée aux mers de Chine en passant par le golfe Arabo-Persique. C’est le cas sur terre lorsque s’y déploient des exercices massifs sans préavis. C’est le cas sous la mer, mais aussi dans les airs qui voient le retour des bombardiers stratégiques testant les défenses aériennes. C’est enfin le cas dans l’espace, devenu à son tour un milieu de confrontation, plus ou moins visible, mais tout à fait réelle et, dans l’espace numérique, de manière de plus en plus claire. L’escalade de début janvier en Irak montre bien à cet égard que ces diverses situations « au contact » peuvent à tout moment déboucher sur une crise ouverte entre des États qui semblent avoir oublié la raison du « plus jamais la guerre ! » pour un hypothétique « pourquoi pas la guerre ? ».
Aujourd’hui, les théâtres de crise au Levant et en Libye sont aussi, et en raison de ces phénomènes que je viens de décrire, un véritable test pour la cohésion du P5, dont je souhaite qu’il puisse se réunir au Sommet et démontrer sa capacité à assumer pleinement son mandat pour le maintien de la paix et de la sécurité internationale, mais également un test pour la solidarité de l’Alliance atlantique. C’est pour cette raison, que j’ai eu des mots durs, qui ont sonné comme un réveil, et que nous avons pu ainsi, après le Sommet de décembre dernier, engager une revue stratégique de l’Otan, que je veux à la fois ambitieuse et opérationnelle.
Comme à chaque fois que nous sommes confrontés à des défis historiques, notre réaction doit être la même : l’audace et l’ambition renouvelée. Nous devons sur ce sujet prendre nos responsabilités. Le choix qui se pose à nous est en effet celui d’une reprise en main de notre destin ou celui, renonçant à toute stratégie propre, d’un alignement sur quelque puissance que ce soit. C’est pourquoi un sursaut est nécessaire et la refondation de l’ordre mondial au service de la paix doit être notre cap. La France et l’Europe y ont un rôle historique à jouer.
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Toute notre action doit être au service d’une ambition, celle de la paix, tirant parti d’un multilatéralisme fort et efficace fondé sur le droit. Au fond, il y a quatre piliers à cette stratégie, à mes yeux : la promotion du multilatéralisme qui fonctionne, le développement de partenariats stratégiques, la recherche d’autonomie européenne et la souveraineté nationale. Ces quatre éléments forment un tout, qui donne sa cohérence globale et son sens profond à notre stratégie de défense.
D’abord, je le disais, nous avons besoin d’un multilatéralisme qui fonctionne. C’est par le multilatéralisme que nous répondrons collectivement aux problèmes qui s’imposent à tous. La France ne menace personne. Elle veut la paix, une paix solide, une paix durable. Elle n’a nulle part de visée expansionniste. Sa sécurité et celle de l’Europe supposent que les rapports internationaux restent régis par le droit, un droit accepté et respecté par tous. À ce titre, nous attendons des grands partenaires de l’Europe qu’ils œuvrent à préserver et renforcer le droit international, et non à l’affaiblir. La transparence, la confiance, la réciprocité sont la base de la sécurité collective, car la stabilité stratégique, qui passe par la recherche de l’équilibre des forces au plus bas niveau possible, n’est plus aujourd’hui garantie. Derrière la crise des grands instruments de maîtrise des armements et de désarmement, ce sont bien la sécurité de la France et celle de l’Europe qui sont en jeu.
Ce débat crucial ne doit pas se dérouler au-dessus de la tête des Européens, dans une relation directe et exclusive entre les États-Unis, la Russie et la Chine. Et je vois bien que c’est la tentation de quelques-uns, parfois des principaux intéressés. Pour les Européens, un multilatéralisme repensé, au service de la sécurité collective, conforme à nos principes fondateurs, doit articuler deux exigences, qui ne sont pas contradictoires si nous voulons garantir la paix : celle, d’une part, de la promotion d’un agenda international renouvelé pour la maîtrise des armements, et celle, d’autre part, d’un réel investissement européen en matière de défense.
Ces exigences découlent directement de l’ambition de souveraineté et de liberté d’action que je porte pour l’Europe depuis mon élection. Elle est le pendant d’une relation transatlantique rééquilibrée, d’une alliance dans laquelle les Européens sont des partenaires crédibles, efficaces. Les Européens doivent pouvoir ensemble se protéger. Ils doivent pouvoir décider et agir seuls lorsque cela est nécessaire. Ils doivent le faire en n’oubliant jamais ce que l’Histoire leur a appris : la démocratie et le droit sans la force ne tiennent pas longtemps ! Ils doivent enfin utiliser de manière courante les mécanismes assurant leur solidarité.
C’est pour cela que je suis convaincu que les Européens doivent d’abord et avant tout définir ensemble ce que sont leurs intérêts de sécurité et décider souverainement de ce qui est bon pour l’Europe. Ainsi, il ne peut y avoir de projet de défense et de sécurité des citoyens européens sans vision politique cherchant à favoriser la reconstruction progressive de la confiance avec la Russie. Ce projet, je le conduis avec exigence. J’attends de la Russie qu’elle soit un acteur constructif de notre sécurité commune. Mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle, où le fossé s’accroît, le dialogue s’appauvrit, alors même que les enjeux de sécurité à traiter avec Moscou, eux, se multiplient.
L’objectif principal – j’y suis revenu à plusieurs reprises – de ma démarche à l’égard de la Russie, c’est l’amélioration des conditions de la sécurité collective et de la stabilité de l’Europe. Ce processus s’étalera sur plusieurs années. Il demandera patience et exigence, et il sera conduit avec nos partenaires européens. Mais nous n’avons aucun intérêt à déléguer un tel dialogue ou nous enfermer dans la situation actuelle. Dans ce cadre, les Européens doivent également pouvoir proposer ensemble un agenda international de maîtrise des armements. En effet, je l’évoquais à l’instant, la fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, les incertitudes sur l’avenir du traité New Start, la crise du régime de maîtrise des armes conventionnelles en Europe laissent entrevoir d’ici 2021 la possibilité d’une pure compétition militaire et nucléaire, sans contraintes, comme nous n’en avons plus connu depuis la fin des années 1960. Je ne décris pas là un impossible ou un futur lointain. Simplement ce qui est en train de se faire depuis plusieurs années sous nos yeux. Les Européens doivent à nouveau comprendre les dynamiques d’escalade et chercher à les prévenir ou les empêcher par des normes claires, vérifiables. Car le droit doit ici servir notre sécurité, en cherchant à contraindre et limiter les armes et les comportements les plus déstabilisateurs d’adversaires potentiels. Il nous faut sur ce sujet une position très claire de l’Europe, qui tienne compte à la fois de l’évolution des armements contemporains, notamment russes, qui pourraient impacter notre sol, et des intérêts des Européens – de tous les Européens, y compris au nord et au centre de l’Europe. Car il faut bien le dire, les traités même en vigueur encore il y a quelques années ne protégeaient plus certains de nos partenaires.
Il convient enfin de repenser les priorités du désarmement. Trop longtemps, les Européens ont pensé qu’il suffisait de donner l’exemple et qu’en se désarmant, les autres États nous suivraient. Il n’en est rien ! Le désarmement ne peut être en soi un objectif : il doit d’abord améliorer les conditions de la sécurité internationale. Sur ces questions, la France mobilisera les partenaires européens les plus concernés, afin de poser les bases d’une stratégie internationale commune que nous pourrons proposer dans toutes les enceintes où l’Europe est active. Et la France, puissance nucléaire reconnue par le traité de non-prolifération, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, prendra ses responsabilités, en particulier en matière de désarmement nucléaire, comme elle l’a toujours fait.
Dans la recherche de la paix, la France est attachée à la logique d’un désarmement qui serve la sécurité et la stabilité mondiale. Et elle a, à cet égard, un bilan unique au monde, conforme à ses responsabilités comme à ses intérêts, ayant démantelé de façon irréversible sa composante nucléaire terrestre, ses installations d’essais nucléaires, ses installations de production de matières fissiles pour les armes, et réduit la taille de son arsenal, aujourd’hui inférieure à 300 armes nucléaires. Toutes ces décisions sont cohérentes avec notre refus de toute course aux armements et le maintien du format de notre dissuasion nucléaire à un niveau de stricte suffisance. Ce bilan exemplaire donne à la France la légitimité pour réclamer aux autres puissances nucléaires des gestes concrets en direction d’un désarmement global, progressif, crédible et vérifiable. En matière de désarmement nucléaire, j’appelle ainsi tous les États à nous rejoindre autour d’un agenda simple, en application de l’article VI du TNP, autour de quatre points que nous connaissons.
• Le respect strict de la norme centrale que constituent le traité de non-prolifération nucléaire et la préservation de sa primauté à l’occasion de son 50e anniversaire en 2020. Le TNP est le traité le plus universel au monde. Il est le seul traité à permettre de prévenir la guerre nucléaire tout en apportant à chacun les bénéfices des usages pacifiques de l’énergie nucléaire.
• L’enclenchement à la Conférence du désarmement de la négociation d’un traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes, ainsi que la préservation et l’universalisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Nous y sommes engagés.
• La poursuite des travaux sur la vérification du désarmement nucléaire, que nous portons notamment avec l’Allemagne, car tout accord de désarmement n’est rien s’il ne peut pas être vérifié de façon robuste.
• Enfin, le lancement de travaux concrets pour la réduction des risques stratégiques, car l’escalade non contrôlée d’un conflit local en guerre majeure est l’un des scénarios les plus préoccupants aujourd’hui, qu’une série de mesures simples et de bon sens pourrait efficacement conjurer.
J’entends par ailleurs les appels à la « trilatéralisation » ou à la multilatéralisation des accords de maîtrise ou de réduction des arsenaux nucléaires. Les traités bilatéraux russo-américains correspondent à une histoire – celle de la guerre froide – mais aussi à une réalité toujours actuelle, celle de la taille considérable des arsenaux encore détenus par Moscou et Washington, sans commune mesure avec ceux des autres États dotés d’armes nucléaires. À cet égard, il est essentiel que le traité New Start soit prolongé au-delà de 2021. Mais après l’effondrement du traité FNI, la France souhaite, pour sa part, que des discussions élargies soient enclenchées, dans lesquelles l’Europe doit faire entendre sa voix et s’assurer que ses intérêts seront bien pris en compte dans une négociation sur un nouvel instrument à même d’assurer la stabilité stratégique sur notre continent. Soyons clairs, si une négociation et un traité plus large sont possibles, nous les souhaitons. S’il est bloqué par certains, nous ne saurions rester à l’arrêt. Et les Européens doivent être parties prenantes et signataires du prochain traité, car il s’agit de notre sol et d’une discussion qui ne doit pas passer par-dessus notre tête.
La France, au titre de ses responsabilités propres, est également prête à participer à des discussions qui rassembleraient les cinq États dotés d’armes nucléaires au sens du TNP, sur les priorités du désarmement nucléaire, le renforcement de la confiance et de la transparence sur les arsenaux et les stratégies nucléaires de chacun. Cette discussion devra viser à renforcer la stabilité entre États dotés et à réduire les risques d’escalade involontaire en cas de conflit.
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Cette ambition de la France, puissance d’équilibre, au service de la paix et de la sécurité, ne saurait par ailleurs être mise en œuvre sans un réseau dense d’amitiés, de partenariats stratégiques et d’alliances, et une capacité diplomatique globale, car nos responsabilités et nos intérêts de sécurité sont mondiaux. C’est pour moi le deuxième pilier, que j’évoquais à l’instant, sur lequel je veux rapidement revenir.
La France oui, est insérée dans un réseau de relations résultant de l’histoire et de la géographie. Dans ce cadre, elle continuera à développer et à approfondir des partenariats stratégiques sur tous les continents. Elle prend d’ailleurs aujourd’hui sa part dans toutes les grandes coalitions au Levant comme en Afrique. Mais nous avons aussi bâti ces dernières années des structures régionales nouvelles. Au Sahel, elle lutte avec détermination contre le terrorisme grâce à l’opération Barkhane avec ses partenaires internationaux et africains du G5. Le Sommet de Pau le 13 janvier dernier a permis de clarifier le cadre de nos opérations et de confirmer l’engagement de chacun. C’est pour cela que j’ai décidé d’envoyer 600 soldats supplémentaires pour renforcer l’engagement de la France au service de la paix et de la sécurité dans cette région. C’est une véritable coalition que nous avons bâtie à Pau, dont la force Barkhane et le partenariat avec le G5 Sahel sont l’armature. Mais nous allons progressivement engager les puissances amies pour la sécurité collective de la région. Nous sommes au cœur de cette coalition nouvelle. Elle est stratégique pour l’Afrique, comme pour notre sécurité.
Puissance riveraine de l’Indo-Pacifique, la France entretient aussi des liens privilégiés avec l’Australie, l’Inde et le Japon pour préserver les souverainetés et la liberté de navigation dans cet espace géographique. Elle fait vivre au quotidien ses coopérations de défense, sa solidarité avec ses partenaires du golfe Arabo-Persique, méditerranéens ou du Sud-Est asiatique. Cet axe Indo-Pacifique que nous avons, ces deux dernières années, posé, expliqué, développé, consacre notre géographie, la réalité d’engagements militaires multiples que nous prenons depuis plusieurs années, des exercices inédits que nous conduisons dans la région, mais aussi une lecture du monde qu’il nous faut avoir. Nous sommes aussi une puissance Indo-Pacifique, avec des ressortissants, des bases, des intérêts. Notre capacité à assurer cette liberté dans la région, à défendre nos intérêts, à protéger les grands axes énergétiques et technologiques passe aussi par ce nouvel axe et ces nouvelles coopérations.
Il est évident qu’au cœur de ce réseau mondial, l’ensemble de nos partenaires européens et nos alliés nord-américains ont une place toute particulière sur laquelle je reviendrai. Je veux enfin, quand je parle de ses alliances et de ses partenariats stratégiques, souligner notre responsabilité dans le cadre commun qui est le nôtre, celui des Nations unies, et le rôle primordial des opérations de maintien de la paix.
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Le troisième pilier de notre stratégie, en complément de la maîtrise des armements et des réseaux d’alliances, de partenariats et de relations diplomatiques, c’est l’ensemble des ambitions concrètes que nous voulons donner à la politique de sécurité et de défense de l’Europe.
Pour longtemps encore, l’Europe, en matière de défense, ne pourra tirer sa force que des armées nationales. C’est une certitude et le redressement des budgets et des capacités de ces armées nationales doit être la priorité. En revanche, nous avons commencé, entre Européens, à élaborer concrètement les outils qui nous permettent de faire émerger une conscience commune, de défendre des intérêts partagés, et d’agir de façon autonome et solidaire chaque fois que cela sera nécessaire. Cette voie, c’est celle de la construction d’une liberté d’action européenne qui complète et renforce les souverainetés nationales. Il faut à cet égard dissiper ici un malentendu : la question pour les Européens n’est pas de savoir s’ils doivent se défendre avec ou sans Washington ni de savoir si la sécurité des États-Unis se joue en Asie ou sur notre continent. La France participe naturellement à la communauté des nations alliées riveraines de l’océan Atlantique, dont elle partage les valeurs, les principes et les idéaux. Elle est fidèle à ses engagements dans l’Alliance atlantique, qui assure depuis soixante-dix ans la stabilité et la sécurité collective de ses membres et de l’Europe. Et à ce titre, j’entends parfois beaucoup de bruit. Mais je préfère regarder les faits : la France est un acteur militaire crédible, qui est présent au combat sur le terrain et qui paie le prix du sang. Elle l’a prouvé récemment au Sahel, une fois encore. La France est un allié fiable et solidaire, y compris dans les coups durs. Elle l’a prouvé encore récemment en Syrie et en Irak. La France, enfin, est convaincue que la sécurité à long terme de l’Europe passe par une alliance forte avec les États-Unis. Je l’ai redit lors du Sommet de l’Otan à Londres, et la France en fait chaque jour l’expérience dans ses opérations.
Mais notre sécurité passe aussi, inévitablement, par une plus grande capacité d’action autonome des Européens. Que le dire, l’assumer, le porter suscitent tant de réactions, tant de doutes, me surprend vraiment. Pour reprendre les mots du général de Gaulle, « aucune alliance ne peut être dissociée de l’effort entrepris par chacun de ses membres, pour son compte, à ses frais et en fonction des intérêts qui lui sont propres ». Oui, les vraies questions pour les Européens sont au fond plutôt les questions qu’ils doivent s’adresser à eux-mêmes, plutôt qu’aux Américains : pourquoi ont-ils diminué à ce point leur effort de défense depuis les années 1990 ? Pourquoi ne sont-ils plus prêts à inscrire la défense parmi leurs priorités budgétaires et à faire pour cela les sacrifices nécessaires, alors même que les risques s’accumulent ? Pourquoi avons-nous aujourd’hui des débats si compliqués sur les montants à allouer au Fonds européen de défense que nous venons de créer – parce que c’est une question accessoire, dont d’autres se chargeraient pour nous ? Pourquoi y a-t-il de tels écarts entre les budgets et les capacités de défense des États européens, alors que les menaces auxquelles nous sommes exposés nous sont très largement communes ?
Toutes ces questions, ce sont des questions à nous poser à nous, Européens. L’Europe doit se mettre en situation de pouvoir davantage garantir sa sécurité et agir dans son voisinage. Cet objectif d’action autonome, l’Union européenne se l’est, d’ailleurs, déjà fixé à elle-même. Imaginez, c’était au Conseil européen de Cologne, en… 1999 ! Il est, aujourd’hui comme il y a vingt ans, parfaitement compatible avec le souhait que les Européens se réengagent et soient plus crédibles et efficaces dans l’Otan. Ce rééquilibrage est d’ailleurs souhaité par les États-Unis.
C’est pourquoi, les Européens doivent aujourd’hui assumer davantage cette Europe de la défense, ce pilier européen au sein de l’Otan. Et je l’assume pleinement, sans état d’âme ! Je vous le dis très clairement : je considère que l’une de mes responsabilités est bien que cela ne reste pas lettre morte, comme ce fut le cas après 1999. L’Otan et l’Europe de la défense sont les deux piliers de la sécurité collective européenne. Assumons-le ! Regardons les choses en face, entendons les États-Unis d’Amérique qui nous disent : « Dépensez pour votre sécurité davantage, je ne serai plus dans la durée votre garant de dernier ressort, votre protecteur. » Prenons nos responsabilités, enfin ! Mais la liberté d’action européenne, la défense et la sécurité de l’Europe ne peuvent reposer sur une approche uniquement militaire.
Pour construire l’Europe de demain, nos normes ne peuvent être sous contrôle américain, nos infrastructures, nos ports et aéroports sous capitaux chinois et nos réseaux numériques sous pression russe. Il nous faut, au niveau européen, maîtriser nos infrastructures maritimes, énergétiques et numériques. Là aussi, nous nous sommes beaucoup trompés. Nous avons fini par penser, dans les années 1990 et 2000, que l’Europe était devenue un gros marché, confortable, théâtre d’influence et de prédation à tout-va. Nous nous sommes même abandonnés entre Européens, poussant tant de pays du sud de notre Union européenne, à laisser des investisseurs prendre ce que nous ne savions pas acheter, ce que nous poussions à privatiser, quand bien même, ces infrastructures étaient stratégiques.
Funeste erreur ! Nous devons pour ces infrastructures critiques, retrouver, au niveau européen, une vraie politique de souveraineté ! C’est le cas pour les infrastructures 5G, le cloud, décisif pour le stockage des données, les systèmes d’exploitation, les réseaux de câbles sous-marins, systèmes névralgiques de notre économie mondialisée. Il nous faut au niveau européen, aussi, maîtriser notre accès à l’espace et décider nous-mêmes des standards qui s’imposent à nos entreprises.
Cette politique de normes, cette politique d’infrastructures stratégiques, est essentielle. Et elle l’est pour notre sécurité collective, notre capacité à agir. Nous vivons dans le monde de l’interopérabilité, avec des équipements de plus en plus numérisés. Dépenser ce que nous dépensons pour avoir des équipements parfaits et remettre les infrastructures de connexion, entre nos équipements et nos pays, à d’autres, sans garantie, serait quand même une étrange naïveté. Vous me permettrez de ne pas vouloir y participer.
La liberté d’action européenne passe par cette souveraineté économique et numérique. Les intérêts européens, qu’eux seuls sont à même de définir, doivent être entendus. C’est à l’Europe de définir le cadre de régulation qu’elle s’impose, car il s’agit à la fois de protéger les libertés individuelles, les données économiques de nos entreprises, au cœur de notre souveraineté, et notre capacité concrète opérationnelle à agir aussi de manière autonome. Il nous faut également renforcer l’indépendance technologique de l’Europe et sa capacité à anticiper les prochaines ruptures stratégiques. Il nous faut pour cela une base industrielle de défense autonome et compétitive, un effort résolu et massif d’innovation, la maîtrise de nos technologies de sécurité et la maîtrise de nos exportations de défense.
Tout cela aujourd’hui suppose un aggiornamento de l’approche européenne, de ces approches économiques et budgétaires pour que chacun en tire les conséquences. Nous ne sommes plus dans le monde des années 1990 ! La bonne utilisation de ces outils de souveraineté commune nécessite, d’abord et avant tout, bien évidemment des investissements, une politique industrielle, des standards de souveraineté beaucoup plus forte et ambitieuse, mais aussi la construction d’une culture stratégique partagée, car notre incapacité à penser ensemble nos intérêts souverains et à agir ensemble de façon convaincante met chaque jour en cause notre crédibilité en tant qu’Européens. Elle offre aux autres puissances la possibilité de nous diviser, de nous affaiblir. La construction de cette culture stratégique européenne partagée, c’est ce à quoi s’emploie la France, sur la base des importants progrès accomplis depuis, un peu plus de deux ans, et qui rendent, je le crois, d’ores et déjà, plus tangible la vision arrêtée en 1999 : le Fonds européen de défense, la coopération renforcée, mais aussi l’Initiative européenne d’intervention que nous avons proposée, portée, voulue et qui se déploie.
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Pour que la France soit à la hauteur de son ambition européenne, à la hauteur aussi de son histoire, elle doit rester souveraine ou décider elle-même, sans les subir, les transferts de souveraineté qu’elle consentirait, tout comme les coopérations contraignantes dans lesquelles elle s’engagerait. Et c’est le quatrième pilier de la stratégie que je veux pour notre pays : une véritable souveraineté française. Cette volonté de souveraineté nationale n’est absolument pas incompatible avec notre volonté de développer les capacités européennes, je dirais même que c’est un prérequis indispensable. On coopère mieux quand on peut décider souverainement de coopérer.
Fondement de toute communauté politique, la défense est au cœur de notre souveraineté. Notre stratégie de défense se définit donc, d’abord et avant tout, par sa capacité à protéger nos concitoyens, à contribuer à la sécurité et à la paix de l’Europe et de ses approches. Mais elle ne s’y limite pas. Elle doit également nous donner la capacité de défendre nos intérêts souverains partout dans le monde, en lien avec notre géographie des outremers et avec la densité de nos partenariats stratégiques. Elle doit nous permettre d’assumer nos responsabilités dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Elle doit nous mettre à l’abri d’un chantage, et ainsi préserver notre autonomie de décision. Elle doit nous permettre de tenir notre rang et notre influence parmi les nations. Elle doit, en somme, nous garantir la maîtrise de notre destin.
Au lendemain de la guerre froide, une vision idéaliste a accrédité l’idée que le monde était devenu moins dangereux et a conduit à réduire progressivement la part de notre richesse nationale consacrée à la défense. C’était, au fond, l’époque des dividendes de la paix. Ce choix, cette réorganisation des priorités budgétaires, pouvait sembler justifié alors que des arsenaux considérables avaient été accumulés de part et d’autre du rideau de fer. Mais la grande erreur a sans doute été, en Europe uniquement, de le prolonger au cours des vingt dernières années, voire de l’accélérer pendant la crise financière, alors que d’autres puissances, majeures ou régionales, maintenaient, voire renforçaient leurs efforts de défense.
Au fond, les dix dernières années ont conduit à un décalage profond. Les Européens ont continué de réduire, de réduire, de réduire, quand d’autres ont cessé de le faire, voire ont réinvesti, accélérant les mutations technologiques, accélérant leurs capacités propres. Le format et les capacités de nos armées ont été directement impactés. Celles-ci étaient pourtant sollicitées, au même moment, de manière croissante, dans des opérations régionales de gestion de crise, toujours plus variées et plus éloignées. La nécessité de dimensionner les outils de défense en fonction de défis bien supérieurs, « de haut du spectre », était alors souvent oubliée. Ce double effet de ciseau a conduit à un décalage croissant entre le niveau de nos capacités militaires et la réalité de l’évolution de l’environnement international tel que je viens de vous le décrire.
C’est pourquoi, afin d’arrêter la lente érosion de nos capacités militaires et de les adapter à ce nouvel environnement stratégique, j’ai décidé qu’un effort budgétaire inédit serait accompli dans le domaine de la défense. C’est un effort majeur et durable, je l’assume pleinement devant la Nation. Je vous le redis, très clairement, aujourd’hui. J’entends, parfois, je suis étonné de cela, des doutes, des remises en question, des désirs de révision. Soyons clairs, les sujets dont nous parlons sont trop stratégiques et importants. Il faut que les mots prononcés soient suivis d’actes en conformité et que la durée soit au rendez-vous, car nous parlons là de programmes de long terme. Ce sur quoi j’ai engagé notre Nation sera tenu dans la durée avec force. Que nul ne perde d’énergie à chercher à le revisiter. Mais le budget n’est qu’un indicateur de l’effort consenti. Pour la défense, comme pour les autres domaines de l’action publique, ce n’est pas en priorité le prisme budgétaire qui doit nous guider. Car cet effort n’est rien s’il ne se met pas au service d’une vision stratégique.
Ce qui doit nous guider, c’est bien la réalité des menaces d’aujourd’hui et de demain pour la France et les Français, pour l’Europe et les Européens. C’est le juste équilibre à conserver entre gestion du court terme et prise en compte du temps long. C’est l’anticipation des menaces à venir et l’adaptation continue aux nouveaux modes de conflictualités. C’est ce que nous voulons préserver en national et ce que nous choisissons librement de faire en coopération avec nos partenaires. Pour répondre à ces exigences, il faut à la France un outil de défense complet, moderne, puissant, équilibré, mis en œuvre par des armées réactives et tournées vers l’avenir. Nous pouvons être fiers de nos armées. Notre outil de défense doit en effet nous permettre de relever trois grands défis.
• Il s’agit tout d’abord, naturellement, de protéger nos concitoyens, notre territoire, ses approches aériennes et maritimes, contre tous les types de menaces et d’agression. C’est le fondement premier de notre existence en tant que Nation et l’essence même de notre souveraineté. Au quotidien, cet objectif réunit le soldat de l’opération Sentinelle, la frégate de surveillance et la patrouille de défense aérienne. En surplomb, dans le cadre de la posture permanente de dissuasion, la veille silencieuse des équipages de nos SNLE et des forces aériennes stratégiques garantit chaque jour la protection du territoire et de la population et, au-delà, celle de nos intérêts vitaux.
Responsable devant la Nation de la sécurité de notre pays et de son avenir, j’ai la responsabilité de protéger la France et les Français contre toute menace d’origine étatique contre nos intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme. Cette responsabilité ultime, au cœur de la fonction présidentielle, je l’assume chaque jour avec la plus grande détermination. Elle s’exerce par la dissuasion nucléaire. Cet exercice de la dissuasion, tout comme la transparence et la confiance que nous devons à la communauté internationale en tant qu’« État doté » au sens du TNP nécessite une doctrine strictement défensive, claire et prévisible, dont je veux ici rappeler les principaux fondements.
Si d’aventure un dirigeant d’État venait à mésestimer l’attachement viscéral de la France à sa liberté et envisageait de s’en prendre à nos intérêts vitaux, quels qu’ils soient, il doit savoir que nos forces nucléaires sont capables d’infliger des dommages absolument inacceptables sur ses centres de pouvoir, c’est-à-dire sur ses centres névralgiques, politiques, économiques, militaires. Nos forces nucléaires ont été configurées pour cela avec la flexibilité et la réactivité nécessaires. En cas de méprise sur la détermination de la France à préserver ses intérêts vitaux, un avertissement nucléaire, unique et non renouvelable, pourrait être délivré à un agresseur étatique pour signifier clairement que le conflit vient de changer de nature et rétablir la dissuasion. Dans ce cadre, la France s’appuie au quotidien sur les deux composantes de ses forces nucléaires, qui sont complémentaires. J’ai pris et je continuerai à prendre les décisions nécessaires au maintien de leur crédibilité opérationnelle dans la durée, au niveau de stricte suffisance requis par l’environnement international.
• Mais notre territoire, comme celui de l’Europe, n’est pas isolé du monde. C’est à mes yeux, le deuxième défi sur lequel je voulais revenir. En effet, nous vivons au rythme des crises qui agitent notre environnement direct. Nous subissons les conséquences de ces crises qui troublent des régions ou des mers plus lointaines, rendues toujours plus proches par les flux économiques et les échanges humains. Pour défendre nos intérêts de sécurité, nous devons donc relever le deuxième défi que représentent, d’une part la faillite des États qui laisse des sociétés entières en proie à la violence et aux bandes armées, et d’autre part le désordre qui gagne les espaces communs, qu’ils soient océaniques, exo-atmosphériques ou cyber.
C’est pourquoi, dans le respect du droit international et de nos responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, nos armées contribuent chaque jour, par le stationnement de nos forces de présence et de nos forces de souveraineté outre-mer comme par nos opérations extérieures, à la prévention des crises et à la stabilisation des régions où progresse le chaos.
J’ai souhaité également que la France renforce ses capacités dans les nouveaux champs de confrontation. Au-delà du renseignement, de la cyberdéfense pour laquelle un investissement est en cours dans la durée, la défense spatiale sera renforcée et réorganisée au sein d’un nouveau commandement spatial rattaché à l’Armée de l’air. Quant à l’intelligence artificielle, elle est l’une des priorités de la nouvelle Agence d’innovation de la défense.
Terrain d’expression de la rivalité stratégique des États, certaines crises régionales représentent aujourd’hui autant d’hypothèses crédibles, mais pas exclusives, dans lesquelles nous pourrions, pour la première fois depuis longtemps, devoir relever un troisième défi, celui d’avoir à affronter directement, dans une escalade non maîtrisée, une puissance hostile, éventuellement dotée de l’arme nucléaire ou alliée à une puissance possédant des armes de destruction massive.
• Ce troisième défi, c’est le résultat très concret des transformations de la menace que j’évoquais tout à l’heure. La prise d’un gage territorial, la déstabilisation d’un de nos alliés ou partenaires stratégiques, la remise en cause de fondements entiers du droit international ne sont plus seulement des scénarios du passé. Ils pourraient, demain, justifier l’engagement aux côtés de nos alliés de nos forces terrestres, navales ou aériennes dans un conflit majeur pour défendre la sécurité collective, le respect du droit international et la paix. À cet égard, notre stratégie de défense est un tout cohérent : forces conventionnelles et forces nucléaires s’y épaulent en permanence. Dès lors que nos intérêts vitaux sont susceptibles d’être menacés, la manœuvre militaire conventionnelle peut s’inscrire dans l’exercice de la dissuasion. La présence de forces conventionnelles robustes permet alors d’éviter une surprise stratégique, d’empêcher la création rapide d’un fait accompli ou de tester au plus tôt la détermination de l’adversaire, en le forçant à dévoiler de facto ses véritables intentions. Dans cette stratégie, notre force de dissuasion nucléaire demeure, en ultime recours, la clé de voûte de notre sécurité et la garantie de nos intérêts vitaux. Aujourd’hui comme hier, elle garantit notre indépendance, notre liberté d’appréciation, de décision et d’action. Elle interdit à l’adversaire de miser sur le succès de l’escalade, de l’intimidation ou du chantage.
En tant que chef de l’État, je suis le garant du temps long, parce que ma responsabilité de chef des armées est de prémunir notre Nation des menaces, en fixant l’horizon à plusieurs dizaines d’années. La dissuasion nucléaire a joué un rôle fondamental dans la préservation de la paix et de la sécurité internationale, notamment en Europe. Je suis intimement persuadé que notre stratégie de dissuasion conserve toutes ses vertus stabilisatrices, et demeure un atout particulièrement précieux dans le monde de compétition des puissances, de désinhibition des comportements et d’érosion des normes qui aujourd’hui se dessine sous nos yeux.
La stratégie nucléaire de la France, dont je rappelais tout à l’heure les bases doctrinales, vise fondamentalement à empêcher la guerre. Nos forces nucléaires ne sont dirigées contre aucun pays et la France a toujours refusé que l’arme nucléaire puisse être considérée comme une arme de bataille. Je réaffirme ici que la France ne s’engagera jamais dans une bataille nucléaire ou une quelconque riposte graduée. Par ailleurs, nos forces nucléaires jouent un rôle dissuasif propre, notamment en Europe. Elles renforcent la sécurité de l’Europe par leur existence même et à cet égard ont une dimension authentiquement européenne. Sur ce point, notre indépendance de décision est pleinement compatible avec une solidarité inébranlable à l’égard de nos partenaires européens. Notre engagement pour leur sécurité et leur défense est l’expression naturelle de notre solidarité toujours plus étroite. Soyons clairs : les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne. ♦