Depuis l’effondrement du bloc soviétique, malgré une période de stabilité, les crises se sont succédé, créant de l’instabilité et exacerbant les tensions, tout en suscitant les inquiétudes et la montée des nationalismes. Il faut mieux prévenir ces crises, à condition de regarder la réalité en face et de ne pas nier les menaces de demain.
Un univers aux tensions multiples en crise perpétuelle de plus en plus forte ?
A World in Perpetual and Increasing Crisis, and Tension from all Directions
Since the collapse of the Soviet bloc, and despite a period of stability, crisis has followed crisis leading to instability and increased tension whilst provoking anxiety and engendering greater nationalism. We need to anticipate these crises and face up to reality yet without ignoring future threats.
Lorsque dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989 commença le démantèlement du mur de Berlin et lorsque le 26 décembre 1991 fut proclamée la dissolution de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), un vent d’optimisme s’empara des milieux d’analyses politiques, diplomatiques et prospectives, tourné vers plus de stabilité et de sécurité dans le monde. Cette tendance ne résista pas longtemps à tout ce qui existait de survivance du monde bipolaire et de latent qui émergerait de sa disparition. C’est une période qui avait plusieurs caractéristiques, certaines manifestes, d’autres moins connues.
La dissolution de l’empire soviétique est survenue lorsque les deux blocs Est-Ouest étaient en conflit par procuration. C’était le cas de l’Afghanistan et de l’Angola où les taliban en Asie du Sud-Ouest et Jonas Savimbi en Afrique du Sud-Ouest luttaient férocement contre des pouvoirs prosoviétiques avec l’appui du monde occidental, principalement les États-Unis d’Amérique. Ces conflits continueront pendant un certain temps et finiront par la défaite du régime prosoviétique de Mohamad Najibullah et celle de Jonas Savimbi.
Les conflits ayant longtemps couvé dans des pays, contenus soit par l’Est soit par l’Ouest, finiront par éclater à la fin de la bipolarisation. La guerre d’Éthiopie ou le conflit dans l’ex-Zaïre, deux pays ayant servi, l’un pour l’Est et l’autre pour l’Ouest, de digue de protection contre l’entrée d’idéologie opposée. L’espoir né de la fin de la guerre froide quasi planétaire, où étaient fréquents les conflits inter-États, était ainsi remplacé par la surprise de guerres localisées intraétatiques.
La nouvelle physionomie du monde fut mise à profit par un phénomène qui, bien que n’apparaissant pas ex nihilo, surprit par sa virulence : le « djihadisme », longtemps en embuscade d’un monde qui hésite sur son adaptation à l’après-bipolarisation. D’Al-Qaïda à Daech en passant par les multiples mouvements intégristes dans le Sahel et dans d’autres régions de l’Afrique de l’Ouest et du centre, eurent devant eux une occasion inespérée de semer le chaos et la mort indiscriminés partout dans le monde où l’occasion se présentait. Les meilleures occasions étaient les conflits ou simples tensions intra-États caractérisés par le désordre et la misère conduisant à l’extrême vulnérabilité des couches les plus défavorisées.
À ces conflits s’ajoute l’exacerbation de crises dont les solutions n’avaient pas encore été explorées avec sérieux et harmonie : les mouvements migratoires d’une intensité jamais égalée. De pays en manque d’emploi aux pays en guerre, partirent par flux ininterrompus des immigrants que ni le danger de mers dévoreuses ni l’appétit de nouveaux maîtres esclavagistes encore moins la doctrine protectionniste de dirigeants extrémistes de certains pays d’accueil, n’ont pu dissuader. Malgré le réveil tardif pour mieux analyser, mieux comprendre et mieux coordonner les actions, les mouvements migratoires vers des continents supposés donner plus de bonheur continuent.
Les tensions sont aussi multiples par l’exacerbation de conflits entre pays opposés par des doctrines religieuses, des intérêts géostratégiques et économiques. C’est le cas de l’Iran et de l’Arabie saoudite dont les intérêts opposés se croisent au Yémen, en Syrie et en Irak. Il en est de même de la Turquie qui partage la lutte des Occidentaux contre l’État islamique, mais avec des raisons diamétralement opposées ; la question kurde étant la pomme de friction voire de discorde.
À la faveur de renouvellements des classes politiques dans certains pays, en particulier les États-Unis d’Amérique, les visions géostratégiques changent de pédagogie et d’amplitude. Il en est ainsi des tensions autour des industries nucléaires militaires opposant sans ménagement les États-Unis et l’Iran, et dans une certaine mesure de chaud et froid entre les États-Unis et la Corée du Nord.
Sur le plan économique, la politique actuelle américaine met à rude épreuve la théorie des vertus du libre-échange qui tendent à s’effilocher devant un protectionnisme fébrile et populiste sur fond d’intérêts purement électoraliste. La doctrine du libre-échange fut longtemps clamée comme la mieux appropriée pour les échanges internationaux. Cette doctrine cède et fait place au repli sur soi. Ainsi sont nées d’inutiles tensions entre les États-Unis d’une part, la Chine et l’UE d’autre part.
L’Union européenne est à la croisée des chemins. Perçue par certains comme en faisant trop dans la bureaucratie supranationale et par d’autres comme en faisant trop peu pour sa défense et sa fédéralisation, elle a réveillé des nationalismes naguère aux aguets pour jouer sur les peurs des peuples. Le Brexit en est un exemple. Que deviendra l’Union européenne ?
De tout ce qui précède l’on peut affirmer, en tenant compte de nouvelles surprises encore possibles, que notre univers vit dans de multiples tensions de plus en plus fortes, mais ponctuées d’accalmies liées aux élections électorales qui ont pour caractéristiques de diminuer les tendances générales de levée de boucliers. Prévoir ces crises est relativement facile, mais les prévenir est difficile du fait de l’obstination des principaux acteurs à nier l’évidence de menaces fixées à l’horizon. ♦