Editorial
Éditorial
Drôle de printemps ou printemps des drames et des questionnements ? Emploi d’un vocabulaire guerrier et mobilisation de la nation et de toutes ses ressources – y compris militaire – pour combattre un ennemi invisible. Quel paradoxe alors que nous allons commémorer en ce mois de mai à la fois le 80e anniversaire d’un printemps maudit, celui des combats de 1940, avec la plus grande défaite qu’ait connue la France, et le 75e anniversaire de la capitulation sans condition du Reich nazi. Mais paradoxe essentiel à comprendre et à analyser, car de nombreuses similitudes sont frappantes. Dans le premier cas, l’insuffisance de la préparation et l’incapacité à réagir face au Blitzkrieg et dans l’autre la fin d’un cauchemar, mais une division durable de l’Europe dont les cicatrices restent perceptibles même si le Mur est tombé il y a plus de trois décennies. De nombreuses leçons furent tirées de la Seconde Guerre mondiale dont la volonté sans cesse réaffirmée – ne serait-ce que par l’appel du 18 juin – que la France retrouve les instruments de sa souveraineté et le libre choix de son destin, dans une Europe enfin réconciliée et porteuse d’un projet commun.
La crise du Covid-19 doit être une opportunité pour le « Vieux Continent » afin qu’il retrouve une volonté de progresser et d’unité pourtant mise à mal ces derniers temps par des égoïsmes nationaux. Or, dans un monde chaotique où la mondialisation n’est plus si heureuse, l’Europe doit se réapproprier son destin, d’autant plus que les nuages gris s’accumulent et remettent en cause les certitudes d’hier dont le lien avec les États-Unis. La pandémie – au-delà des souffrances et des deuils – révèle aussi les nouveaux équilibres géopolitiques avec une Chine très agressive utilisant tous les outils politiques pour s’affirmer et une Amérique en proie aux doutes d’un isolationnisme déstabilisateur et inquiétant. D’où le besoin d’une Europe « puissance » capable de réfléchir stratégiquement. Or, la route est encore longue, ne serait-ce que pour partager une approche commune des enjeux de sécurité, dont la sécurité sanitaire largement mise à mal ces derniers mois. La compétition stratégique s’est effectivement accélérée, mettant à rude épreuve nos politiques de défense, en obligeant à comprendre les défis dans le temps long. Mais a-t-on le temps aujourd’hui alors que le temps presse, en particulier pour sauver des vies ?
Il serait particulièrement inquiétant qu’une fois la crise actuelle surmontée, les vieux réflexes reviennent, en particulier en considérant les budgets consacrés à la défense comme des variables d’ajustement, sous prétexte de réduire les déficits abyssaux imposés par la lutte contre la maladie. Là encore, plus que jamais, l’Europe devra ouvrir les yeux et ne pas baisser une garde déjà trop basse face à l’instabilité du monde.
Les célébrations du 8 mai et du 18 juin – aux modalités sûrement différentes de ce qui avait été envisagé – doivent nous rappeler cette année l’importance du fait stratégique et de réfléchir dans la durée pour pouvoir affronter les défis géostratégiques de demain. Se remémorer le passé pour mieux anticiper l’avenir, mais aussi pour prendre conscience de la fragilité d’une paix chèrement acquise qu’il faut constamment défendre. La défense n’est pas un luxe, mais une nécessité absolue pour préserver nos libertés, nos intérêts et porter un projet de progrès et d’unité permettant à notre pays et donc à chacun d’entre nous d’être fier d’être français. ♦