Editorial
Éditorial
Curieux Printemps ! Printemps de pandémie, de crise économique, de tensions géopolitiques accrues par un coronavirus venu a priori de Chine, printemps de commémorations ratées à cause de ce virus ravageur. Chaque soir, les chiffres des malades et des décès rythment la vie de la plupart des États, repliés sur eux-mêmes, avec des populations confinées et stressées à juste titre par leur propre avenir, voire leur survie. Or, et plus que jamais, la Covid-19 a accéléré la fracture du monde et révélé une « tectonique des plaques géostratégiques » montrant les vulnérabilités de certaines régions du monde et en particulier de l’Europe, à la fois dépendante de la Chine y compris sur le plan sanitaire et trop liée aux États-Unis pour sa sécurité.
Ce printemps devait en effet commémorer le 75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, du moins en Europe et ainsi rappeler que la liberté face au nazisme a eu un coût surhumain, avec le triomphe des États-Unis comme pays défenseur de la démocratie et un nouvel asservissement d’une partie du « Vieux Continent » sous la férule soviétique jusqu’à son effondrement à partir de 1989. Les États-Unis avaient ainsi affirmé leur puissance, sans pour autant avoir créé un empire. Les Européens, grâce à l’Otan, se contentaient d’accepter cette tutelle et de s’en remettre à la force américaine pour assurer leur sécurité. Et pourtant, peu à peu, les deux rives de l’Atlantique se sont éloignées, Washington regardant de plus en plus vers le Pacifique et l’Asie, avec la montée en puissance de la Chine, dont la transformation économique, le dynamisme de sa population et la mutation de ses mégapoles attiraient les investisseurs. Beaucoup y voyaient l’avenir du libéralisme et donc le passage progressif vers un système politique démocratique. Mais Pékin a joué sa propre partition : oui à l’économie de marché en s’imposant comme l’usine du monde, mais à condition désormais de jouer selon ses propres règles définies par un régime autoritaire et hostile à toute libéralisation.
Le défi est désormais de taille pour les États-Unis. D’où ce dossier conduit par la Chaire Grands enjeux stratégiques contemporains de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui – malgré son interruption physique – est plus que jamais d’actualité, à quelques mois de l’élection de novembre. Entre la politique controversée de Donald Trump et ses errements relayés par la diplomatie du tweet et l’affrontement désormais quasi quotidien avec la Chine, le monde bascule dans un mode de fonctionnement difficile à décrypter, mode de plus largement affecté par la pandémie, qui bouleverse les rapports sociaux et économiques et dont les conséquences commencent à peine à émerger.
Ce printemps doit aussi être l’occasion de penser à nos « étranges défaites », celle de notre histoire avec 1940 dont nous payons toujours les conséquences indirectes et celle de 2020 où nos certitudes ont été bouleversées par un coronavirus, ennemi invisible et sournois, qui nous a paralysé et révélé nos lacunes, nos déficiences et le besoin d’une résilience plus conséquente. Certes, il appartient aux opérationnels – et on doit y inclure désormais notre système sanitaire, mais aussi tous les sans-grade qui ont assuré le fonctionnement a minima de notre pays – de se préparer à affronter les crises et d’accroître ce besoin de renforcer nos capacités à faire face à l’imprévu. Mais c’est au « Politique » de donner les moyens notamment budgétaires et de définir les objectifs à atteindre. Cette responsabilité est plus que jamais évidente et doit s’imposer à nos dirigeants selon le principe « cedant arma togae » fondateur de la démocratie. ♦