Les États-Unis ont échoué à vouloir imposer des changements de régime au Moyen-Orient, même si certains pouvoirs font preuve de nocivité à l’égard de la population. Il faut être prudent et résister à ne pas modifier par la contrainte des systèmes politiques exécrables dans cette région complexe et fragile, mais trouver d’autres voies.
Fausses promesses : les États-Unis et le changement de régime au Moyen-Orient
False Promises: the United States and Regime Change in the Middle East
The United States has failed in its desire to impose regime change in the Middle East, despite some powers continuing to show little regard for their populations. We must remain prudent and resist the temptation to enforce change on some of the atrocious political systems in this complex and fragile region, but instead to find other ways.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une fois tous les dix ans à peu près, les États-Unis s’ingénient à renverser un gouvernement en place au Moyen-Orient. Ils ont procédé de la sorte sur des terrains aussi différents que l’Iran, l’Afghanistan (à deux reprises), l’Irak, l’Égypte, la Libye et la Syrie, pour ne citer que les situations dans lesquelles Washington avait en point de mire un changement de régime, c’est-à-dire le retrait des dirigeants suivi d’une transformation du système politique, et déploya en ce sens des efforts soutenus. Pour justifier ces interventions, toutes sortes de motifs auront été invoqués, qui vont du combat contre le communisme à la promotion de la démocratie, en passant par les rivalités géopolitiques, la prévention du développement d’armes de destruction massive, la lutte contre le terrorisme et la nécessité de sauver des vies civiles. Les méthodes utilisées se distinguent également par leur extraordinaire diversité : parrainage d’un coup d’État, fourniture aux forces d’opposition d’une aide militaire occulte ou assumée (voire d’une puissance aérienne), invasion et occupation, invasion et non occupation, recours à la diplomatie, à la rhétorique, aux seules sanctions… Tous ces efforts, pourtant, ont en commun d’avoir systématiquement échoué à atteindre leurs objectifs ultimes et d’être à l’origine d’une série de conséquences inattendues, souvent catastrophiques, en occasionnant des coûts démesurés, qu’ils fussent humains ou financiers. La plupart du temps, le pays concerné, ainsi que les États-Unis s’en sont trouvé après coup dans une situation dégradée par rapport à ce qu’elle était antérieurement.
Comme je l’explique dans mon prochain livre (Losing the Long Game : the False Promise of Regime Change in the Middle East) (1), à brève échéance, le changement de régime donne souvent l’impression d’avoir réussi, au point de conduire ses partisans à des déclarations de victoire prématurées. Il finit cependant par échouer piteusement du fait de l’augmentation progressive des dépenses engagées, du surgissement de conséquences imprévues et de l’instabilité galopante qui succède à l’apparent succès initial. En réalité, quelles qu’aient été sa justification ou ses modalités d’exécution, le changement de régime produit à chaque fois des résultats si décevants à long terme qu’il est étonnant de voir tant de décideurs politiques et d’experts y revenir périodiquement, persuadés de tenir là une option politique viable ; d’une façon ou d’une autre, ça se passera mieux la prochaine fois, espèrent-ils. L’examen rétrospectif montre aussi que l’explication de cet échec répété ne peut se réduire à une question de mise en œuvre inadéquate ou de suivi insuffisant – excuses les plus couramment avancées par les partisans du changement de régime. Ce que l’expérience met surtout en évidence, ce sont les coûts foncièrement élevés, les conséquences inopinées et les obstacles insurmontables en vertu desquels il est particulièrement difficile de remplacer un gouvernement répréhensible sans créer des problèmes inédits et souvent plus sérieux encore.
À de rares exceptions près, l’histoire des tentatives américaines de changement de régime dans la région décrit un scénario remarquablement récurrent : une fois que les décideurs américains ont décidé d’évincer un régime donné, ils en exagèrent la menace, sous-estiment risques et coûts, promettent infiniment plus qu’ils ne seront capables d’accomplir et crient victoire avant l’heure si et quand le régime en question tombe en effet. Or, invariablement, la stabilité se révèle très vite hors de portée, il se forme un vide sécuritaire, des voisins inquiets autant que suspicieux entrent dans le jeu, la contribution des alliés ne répond pas aux attentes tandis que se rallument d’anciennes rivalités ethniques, religieuses, géopolitiques et personnelles que les États-Unis sont bien incapables de contrôler. L’apparition de difficultés imprévues et l’augmentation des coûts engagés amènent alors ceux qui ont conçu et survendu ladite stratégie à incriminer la façon dont elle a été déployée. C’est le début de la phase des « si seulement » : si seulement nous avions envoyé plus de troupes, ou moins de troupes, ou d’autres troupes, ou davantage d’argent, ou de meilleurs diplomates… Si seulement nous avions choisi l’une des nombreuses autres options qui n’ont pas été retenues… Avec le temps, le peuple américain commence à regarder d’un tout autre œil les résultats de l’intervention et se lasse des coûts exigés par un hypothétique succès ; la politique en question est mise en veilleuse, généralement après l’entrée en fonction d’un nouveau Président, lequel rejette la responsabilité du problème sur la stratégie mal ficelée ou mal appliquée de son prédécesseur. Et cette disgrâce dure jusqu’au jour où renaît en haut lieu l’idée d’une nouvelle tentative, parfois dans le pays même où la première a fait long feu.
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