Augusto Pinochet
Augusto Pinochet
Les dictatures militaires sud-américaines des années 1970 sont bien oubliées aujourd’hui. La biographie du général Augusto Pinochet qui vient de paraître n’en présente donc que plus d’intérêt.
On y découvre paradoxalement un personnage un peu fade, qui gravit la hiérarchie militaire sans trop se faire remarquer. Un ancien commandant en chef de l’armée, René Schneider, le considérait comme « un général de peu d’envergure intellectuelle ». Il est malgré tout l’auteur d’un manuel de géopolitique destiné aux forces armées. Le pouvoir civil sous lequel il sert apprécie sa réputation de « soldat fidèle, discret et compétent, sans idées ou opinions connues », que même la CIA range dans la catégorie des « constitutionnalistes », adeptes de la soumission de l’armée au pouvoir politique selon le modèle prussien. Mis au pied du mur, il sera, selon les mots de Michel Faure, un « putschiste de la dernière heure ».
Le 4 septembre 1970, le socialiste Salvador Allende est élu président du Chili. Il gouverne à la tête d’une coalition de gauche, l’Unité populaire. En 1971, commence une période de troubles politiques et de difficultés économiques, parfois attisée par la CIA. Allende est de plus en plus débordé par sa gauche et les révolutionnaires armés du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire). Dans une tentative désespérée d’éviter une guerre civile, il envisage un référendum. L’armée semble partagée et subit souvent les pressions de la droite chilienne qui lui reproche son inaction.
Le 23 août 1973, le général Prats, commandant en chef de l’armée, démissionne. Allende le remplace par Pinochet, cinquante-huit ans, qui était alors chef d’état-major de l’armée. Depuis l’échec d’une tentative isolée de coup de force, le 29 juin, un certain nombre d’officiers généraux et d’amiraux se réunissaient en secret pour préparer le renversement d’Allende. Les conjurés se méfiaient toutefois de Pinochet, considéré comme un légitimiste, certains se demandant même s’il convenait de l’informer de leurs résolutions. Il s’engage finalement, à reculons, le 9 septembre, soit 48 heures avant la date prévue, ce qui conduit l’auteur à considérer que le coup d’État de 1973 aurait eu lieu avec ou sans lui.
Tout au long de la journée fatidique du 11 septembre, Pinochet suit d’ailleurs les événements plus souvent qu’il ne les dirige. C’est en réalité le vice-amiral Carvajal qui prend les véritables décisions. Par contre, dès le lendemain, il s’impose rapidement au sein de la « Junte de gouvernement » constituée des quatre commandants en chef, et en particulier face au chef de l’aviation le général Gustavo Leigh, cheville ouvrière du putsch, en réussissant à convaincre ses pairs qu’une présidence tournante, telle qu’elle fut convenue au départ, fragiliserait le gouvernement. Un décret-loi de juin 1974 nommera Pinochet « chef suprême de la Nation ».
Le coup d’État fut soutenu dès le début par deux groupes de la société civile qui s’étaient opposés à Allende : les femmes de la classe moyenne et les étudiants de droite (les « grémialistes »).
Le nouveau gouvernement libéralise immédiatement l’économie avec l’aide des « Chicago boys » (anciens étudiants chiliens de l’université de Chicago, où enseignait à l’époque l’économiste ultralibéral Milton Friedman). La clé de la réforme sera constituée par un nouveau système de retraites basé sur la capitalisation, qui préfigure les réformes européennes actuelles. Les capitaux gérés par les fonds de pension s’élèvent rapidement, pour atteindre 200 milliards de dollars de 1982, soit 82 % du PIB ! Leur masse permet de relancer l’économie. Une assurance-maladie privée optionnelle sera également mise en place.
Le parti communiste et la gauche révolutionnaire sont démantelés, au prix de plus de 2 000 morts ou disparus. La plupart des exécutions extrajudiciaires sont dues à la DINA (service de renseignement dirigé par le colonel Manuel Contreras), créée officiellement en juin 1974. Contreras réussit à « démanteler le parti communiste, à affaiblir considérablement l’organisation clandestine du parti socialiste, et à détruire le MIR ». Le travail de la DINA permet à Pinochet d’affirmer un jour : « Rien ne bouge au Chili, pas même la feuille d’un arbre, sans que j’en sois informé. » L’opération Condor, alliance des dictatures du cône sud de l’Amérique latine, effective à la fin de 1974, va permettre une régionalisation de la répression.
Arrivé au pouvoir, le militaire frugal et désintéressé qu’Augusto Pinochet était auparavant va muer et se laisser tenter par l’argent, sous l’influence notamment de son épouse (l’affaire des comptes à l’étranger éclate dans les années 2000, après son départ du pouvoir).
À la différence d’autres dictateurs sud-américains, Pinochet n’a pas cherché à créer un nouveau parti politique, ni même une doctrine. Si le « pinochétisme » n’existe pas, même aujourd’hui ses nostalgiques au Chili restent assez nombreux. Ils représenteraient dans tous les scrutins depuis la fin de la dictature, environ 30 % de l’électorat, même si ce chiffre paraît élevé. Beaucoup d’entre eux estiment que si les forces armées n’étaient pas intervenues en 1973, le Chili aurait connu la guerre civile. ♦