Mesurer l’autonomie stratégique d’un pays dans le champ des technologies est complexe. Cela nécessite de prendre en compte différentes interactions avec précision. Les hiérarchies ainsi construites renforcent les représentations traditionnelles de la puissance, permettant aux États-Unis d’occuper la première place.
L’autonomie stratégique d’un pays : une analyse en termes de technologies
The Strategic Independence of a Country: an Analysis in Terms of Technology
Measuring the strategic independence of a country in the field of technology is a complex affair. It has to take into account accurately the different interactions. The hierarchies thus built reinforce traditional perceptions of what constitutes power, thus allowing the United States to be in first place.
La crise de la Covid-19 met en évidence le manque d’autonomie des États dans la production de certains biens essentiels du domaine médical, et nous l’avons mesuré à très court terme avec les masques, les respirateurs et certains médicaments. Ce même enjeu existe pour la production de connaissances nouvelles, ce qui peut, à plus long terme, constituer un risque pour les capacités d’innovation technologique d’un pays. Dans le domaine de la défense, cet enjeu est particulièrement prégnant. Cet article propose de mesurer sa composante technologique en mobilisant le concept d’autonomie stratégique. Ce concept est intéressant, car il articule deux composantes qui sont structurantes dans le processus d’innovation technologique. Il s’agit, d’une part de la capacité à faire seul et d’autre part de la capacité à faire avec les autres. Autrement dit, sur le plan technologique, il s’agit de la capacité d’un pays à produire des technologies en autarcie et de ses capacités à profiter des dynamiques technologiques internationales en produisant des technologies en relation avec les autres pays. C’est de cette combinaison entre indépendance et interdépendance que l’autonomie stratégique d’un pays dépend sur le plan technologique. Elle concerne évidemment les technologies de défense mais peut, au regard de la crise sanitaire actuelle et des fragilités systémiques qu’elle fait apparaître, s’étendre à d’autres domaines technologiques comme celui du médical par exemple.
Afin de mesurer cet équilibre entre production « autarcique » et production « internationalisée » des technologies, il est nécessaire de s’intéresser à la production des connaissances technologiques et à la manière dont ces connaissances circulent entre les différents territoires d’innovation. À l’échelle globale, des interactions grandissantes entre les territoires d’innovation ont déjà été constatées (Lebert et Meunier, 2017). L’enjeu de cet article est de proposer, en étudiant les flux de connaissances, une méthode permettant de mesurer l’équilibre entre indépendance (autarcie) et interdépendance (internationalisation) dans la production de l’innovation technologique de défense. Cet équilibre permet d’évaluer, du point de vue de la technologie, ce qui en France est désigné sous le terme d’autonomie stratégique du pays. Les résultats présentés ici sont produits à partir de bases de données de brevets et constituent une première étape d’analyse pouvant être, par la suite, enrichie par d’autres sources d’information (publications scientifiques par exemple).
La première section revient sur le concept d’autonomie stratégique soulignant l’importance de l’équilibre entre indépendance et interdépendance. La deuxième détaille la méthode et les données employées tandis que la troisième section présente et discute les principaux résultats.
Il reste 82 % de l'article à lire
Plan de l'article