Les modèles théoriques construits sur les jeux peuvent apporter des éléments d’analyse sur les mécanismes spécifiques des guerres d’usure. Il reste très difficile d’en évaluer une durée probable, d’où la nécessité accrue du renseignement qui permet de réduire les incertitudes et d’en tirer une conduite pour mettre fin au conflit.
Comment mettre fin à une guerre d’usure ? Quelques enseignements des modèles théoriques
How to End a War of Attrition? Some Lessons Drawn from Theoretical Models
Theoretical models built from gaming can bring elements of analysis to the particular mechanisms of attrition warfare. It remains difficult to assess a probable duration, hence the increased need for intelligence to reduce uncertainty and open up a way to end the conflict.
Une guerre dite d’« usure » est une stratégie militaire consistant à chercher la reddition de l’adversaire en l’épuisant par des pertes continues en personnel et matériel. La stratégie est donc simple : l’attente. La victoire reviendra au camp qui parvient à attendre et supporter les pertes que l’adversaire lui inflige sur une plus longue période que ce même adversaire ne puisse endurer. Ainsi, en théorie, la guerre sera gagnée par le camp qui dispose de la plus grande quantité de ressources en matériel ou personnel, et/ou du plus grand degré de résilience au conflit. Les exemples les plus frappants de ces stratégies sont les combats dans les tranchées durant la Première Guerre mondiale. Ils expriment l’ultime blocage de la « guerre de position » où la « lutte à mort » en est la principale expression (1).
Ce concept de guerre d’usure n’est pas nouveau. Les théoriciens de la stratégie militaire comme Clausewitz, Delbrück ou Luttwak, ont souvent opposé les guerres d’usure aux guerres de manœuvres (2). Ce dernier type de conflit a pour objectif de remporter la victoire dans un temps limité pour minimiser les coûts pour l’État. D’un point de vue opérationnel, la conduite de la guerre est radicalement différente selon le type de guerre que l’on considère. Une guerre de manœuvre nécessite des troupes légères, pouvant se déplacer rapidement pour surprendre l’ennemi. À l’inverse, une guerre d’usure nécessite une puissance de feu importante afin d’épuiser l’ennemi. Comme l’affirme Johnson, bien que les stratégies d’usure et de manœuvre puissent coexister au sein d’un même théâtre, « nous devons admettre que, sans presque aucune exception, dans de très nombreux conflits où les adversaires étaient à peu près égaux, le résultat final avait été déterminé par l’usure » (Johnson, 1998, p. 30).
L’histoire moderne nous enseigne qu’un grand nombre de conflits du XXe siècle peuvent être caractérisés par une situation d’usure (Malkasian, 2002). Plusieurs exemples viennent à l’esprit : la guerre de Corée, la guerre du Vietnam, le conflit israélo-arabe (1967-1970) (3), la guerre soviéto-afghane ou des guerres civiles (comme celles en Libye ou en Syrie depuis 2011). Plus proche de nous, la notion de guerre d’usure est revenue au premier plan avec la Global War on Terror [Guerre contre la terreur], et les campagnes militaires faites en réplique aux attentats du 11 septembre 2001 par les coalitions occidentales et notamment l’armée américaine, en particulier en Irak et en Afghanistan. Anthony H. Cordesman (2018) affirme que « si les États-Unis ont une véritable stratégie en Afghanistan, ils semblent mener une guerre d’usure (…) pour que la menace tombe à un niveau que les forces afghanes peuvent gérer ». Côté français, on peut craindre que l’intervention actuelle au Mali ne débouche sur une guerre d’usure, comme le laisse présager les déclarations du président Emmanuel Macron selon lesquelles l’intervention française « durera le temps qu’il faudra ». Toutefois, que ce soient les interventions américaines en Irak ou en Afghanistan, ou l’intervention française au Mali, ces versions modernes du concept d’usure engendrent de nouveaux risques pour les belligérants ; elles peuvent se transformer en véritable « bourbier », où le pays interventionniste peut se retrouver « enlisé » avec une image « d’occupant » pour la population locale. Ainsi, il est important de s’interroger sur les moyens de résoudre de tels conflits. C’est l’objet de cet article.
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