Editorial
Éditorial
La relation entre la France et le Royaume-Uni est l’une des plus anciennes et des plus structurantes de l’histoire du continent européen. Pendant des siècles, les deux États ont été en compétition-confrontation, se disputant tant sur mer que sur terre. Il fallut attendre le XIXe siècle pour que l’anglophilie de Louis-Philippe et la francophilie de la Reine Victoria permettent un rapprochement qui progressivement s’est institutionnalisé, renforcé par les luttes communes sur les champs de bataille au XXe siècle. C’est bien de Londres et avec le soutien de Winston Churchill que le général de Gaulle sauva l’honneur de la France.
Après la Seconde Guerre mondiale, les choix stratégiques du Royaume-Uni en faveur d’un rapprochement avec les États-Unis n’ont cependant pas entamé les relations entre les armées des deux côtés de la Manche qui ont continué à enchaîner exercices conjoints et opérations combinées. Un respect mutuel est né entre militaires des deux pays.
Depuis la fin de la guerre froide, les deux puissances ont vu leurs efforts de défense diminuer et ont été souvent contraintes de faire des choix en matière capacitaire. Les Accords de Lancaster House marquent une volonté de la France et du Royaume-Uni de sortir de cette conjoncture économique difficile en tentant de mieux partager l’effort de défense. Des programmes et des projets capacitaires communs ainsi que le développement d’une véritable interopérabilité des forces sont les grands enjeux de ces accords pour apporter des économies, tout en garantissant un haut niveau d’engagement opérationnel.
Une décennie plus tard, force est de constater que notre environnement stratégique a considérablement évolué : retour des États-puissance et du rapport de force avec la Russie aux actions déstabilisatrices, la Chine aux ambitions impériales clairement revendiquées, ou encore la Turquie porteuse d’un projet néo-ottoman. C’est aussi l’isolationnisme américain fortement revendiqué par l’Administration Trump, qui a mis à mal à la fois l’Otan, mais aussi la « relation spéciale » entre Londres et Washington. Il faut y ajouter la profonde déstabilisation du Sahel obligeant la France à y intervenir depuis 2013 et à essayer, dans un contexte régional complexe, de rétablir une situation sécuritaire aléatoire. À ce panorama géopolitique tendu s’est rajouté le Brexit, avec la volonté politique du Royaume-Uni de quitter les institutions européennes, tout en continuant à être un acteur de la défense de l’Europe, comment pourrait-il en être autrement !
À l’occasion du dixième anniversaire de Lancaster House, nous avons souhaité faire le point de situation sur les avancées réelles et tangibles dans cette relation de défense, avec le concours d’acteurs français et britanniques qui la vivent pour beaucoup au quotidien. Avec des réussites qu’il convient de consolider, mais aussi des doutes et des ambiguïtés, ils nous livrent leur vision. Il n’en demeure pas moins que Londres et Paris ont une culture stratégique largement partagée, une forte responsabilité sur la scène internationale comme puissances nucléaires et membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, les obligeant de facto à agir, et que leurs armées sont incontournables dans toutes les opérations menées par les pays européens, que ce soit dans le cadre de l’Union européenne, l’Otan ou des coalitions de circonstances. ♦