Le 9 novembre 1970, dans sa résidence de La Boisserie, à Colombey-les-deux-Églises, le général de Gaulle décédait brusquement dans sa quatre-vingtième année. Michel Debré, alors ministre d’État chargé de la défense nationale (1969-1973) écrivit ce « In Memoriam » pour la RDN de décembre 1970. Il y retraçait avec des mots bien choisis l’importance majeure qu’a eu le Général dans notre histoire contemporaine. Cinquante ans après, ce texte résonne encore d’actualité, rappelant les ambitions de l’ancien Chef de l’État pour la France.
Préambule - Le Général de Gaulle (décembre 1970)
Preamble—General de Gaulle (December 1970)
Le 9 novembre 1970, dans sa résidence de La Boisserie, à Colombey-les-deux-Églises, le général de Gaulle décédait brusquement dans sa quatre-vingtième année. Michel Debré, alors ministre d’État chargé de la défense nationale (1969-1973) écrivit ce « In Memoriam » pour la RDN de décembre 1970. Il y retraçait avec des mots bien choisis l’importance majeure qu’a eu le Général dans notre histoire contemporaine. Cinquante ans après, ce texte résonne encore d’actualité, rappelant les ambitions de l’ancien Chef de l’État pour la France.
La mort du Général de Gaulle fut un événement d’une ampleur nationale et internationale qui n’a pas de précédent dans notre histoire. L’émotion populaire fut profonde, sincère, effaçant tout désaccord dans une vague quasi unanime d’admiration et de reconnaissance. L’hommage des gouvernements étrangers fut spectaculaire et le plus souvent animé par une réaction authentique de leurs opinions publiques.
Les Français attachés à leurs forces armées et conscients de l’importance de la défense nationale, au-delà des sentiments qu’ils éprouvent comme tout le monde et comme chacun, se souviennent que Charles de Gaulle fut un soldat ; que c’est sous l’uniforme qu’il a commencé sa longue réflexion sur le commandement des hommes ; qu’il a affirmé sa personnalité en exposant une doctrine militaire qui eût pu modifier le cours des choses si les gouvernants de l’époque l’avaient comprise et appliquée ; que c’est au soir d’une bataille perdue que, relevant le drapeau, il s’est imposé à la nation et s’est marqué, à jamais, du sceau de la légitimité ; qu’il a été pendant quatre ans de guerre, le chef suprême de nos forces, dans tous les combats ; qu’à la tête de l’État il n’a cessé d’affirmer, parmi les responsabilités qui sont celles de la politique, la priorité de la défense ; que, retiré des affaires du gouvernement, il a solennellement pris position contre un projet – la Communauté européenne de défense – qui enlevait à la France son armée ; qu’il a doté notre pays d’un armement nucléaire et thermonucléaire destiné à lui assurer, par un immense et tenace effort scientifique, technique, industriel autant que militaire, une capacité propre de dissuasion ; qu’au lendemain de la dure épreuve que fut l’Algérie, il entreprit de rendre à nos armées leur cohésion, leur fierté, leur place dans la nation ; qu’enfin il a marqué, avec la décision de retirer la France d’une organisation intégrée, issue, par déviation, de l’Alliance atlantique, la volonté de restituer au gouvernement et au commandement militaire, la responsabilité du destin français !
Dans l’œuvre considérable accomplie, qu’elle soit action ou pensée, l’armée, la défense, ont représenté une préoccupation constante et fondamentale du général de Gaulle. Des orientations décisives ont été prises, que nul, sauf lui, n’aurait sans doute pu imposer ou faire accepter. C’est dire qu’il est aisé de rappeler certains des grands principes dont nous avons charge d’assurer le respect.
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La politique est affaire de puissance et la première marque de la puissance, c’est la puissance militaire. La France n’est plus le pays auquel une capacité supérieure à celle des autres permettait toutes les ambitions. Mais elle a un rang à tenir, car ce rang est la condition de sa survie. Dès lors, elle doit affirmer une force qui exprime sa volonté de défendre sa terre et ses intérêts, et de participer en tant que nation responsable à la direction de celles des affaires du monde qui sont capitales pour elle-même et pour l’Europe. C’est ainsi qu’à sa mesure, mais en sachant s’imposer les dépenses et l’effort industriel correspondant aux exigences d’un armement moderne, elle manifeste sa puissance, garante de son existence et de l’influence qu’elle doit continuer à exercer.
La puissance militaire ne s’aliène pas. Certes, en un temps où les combats s’élèvent au niveau de conflits de civilisation, il est normal qu’un pays comme le nôtre ait besoin d’alliances comme il est normal que son alliance soit recherchée. Ces alliances peuvent conduire à d’étroites ententes. Elles peuvent justifier dans certaines circonstances des commandements uniques sur certains théâtres d’opérations. Mais de cette nécessité il ne faut jamais conclure à la valeur des intégrations permanentes qui n’ont d’autre objet que d’imposer à la France la stratégie des puissances dominantes. L’armée demeure totalement à la disposition du seul gouvernement national qui doit garder la maîtrise de sa stratégie : sinon il n’y a plus de nation.
Les forces armées sont au service de la nation, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas à se donner à elles-mêmes leur objectif, et qu’elles doivent résister à la tentation, qui est celle de tout corps organisé, de substituer une finalité qui leur serait propre à la finalité qui est celle de la France. La France seule commande et s’il arrive que la panique s’empare de ses dirigeants au point qu’ils abandonnent l’intérêt national ou ne savent plus en assurer le respect, c’est par l’instauration d’un gouvernement qui soit l’expression de la légitimité, que l’armée retrouvera un commandement pour son combat.
La vocation pour le service des armes est un bien inappréciable pour une nation. C’est pour la France une marque insigne du destin auquel elle peut prétendre que l’attrait que la carrière militaire conserve pour de nombreux jeunes. Cette carrière est contraignante et suppose un désintéressement qui n’est pas facile dans une époque telle que la nôtre. C’est dire que les dirigeants politiques doivent comprendre la responsabilité de maintenir la fonction militaire à un haut niveau de considération. Ils doivent, par un effort à la fois d’adaptation à la vie moderne et de maintien des traditions, assurer à une élite la valeur du choix qu’elle fait en se dévouant pour son pays.
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L’action et la pensée du Général l’ont mené bien au-delà de la défense. Il a marqué à quel point, en France comme dans le monde, le grand combat de la politique était celui de l’homme. Il a défini le chemin du progrès social, de la coopération entre les peuples et d’un vrai désarmement, chemin que l’humanité doit suivre dans sa longue marche vers les destins auxquels elle aspire confusément. Ce grand dessein souligne pour une France qui veut à la fois être respectée et se faire entendre, l’obligation qui est la sienne d’assurer avec constance une action de base qui se nomme puissance, indépendance, défense.
Ne l’oublions jamais. ♦