Légionnaires, fragments de vie
Légionnaires, fragments de vie
Dans Légionnaires, nous avions déjà pu admirer la qualité des photos de Victor Ferreira tant il savait saisir dans chacun de ses portraits non seulement le visage, mais aussi l’âme de ses sujets. Aujourd’hui, il retrouve sa chère Légion avec un ancien, comme lui, né au Portugal, comme lui, et engagé, comme lui, en 1984. Ce camarade, retourné à la vie civile, comme lui, est poète à ses heures. C’est l’alliance de ces deux talents qui a donné naissance à ce livre qui illustre, s’il en était besoin, la richesse et la diversité du recrutement légionnaire.
« La photographie est un art subtil de transmission d’une émotion par l’image… Victor Ferreira y excelle », écrit le légionnaire Marquet dans sa remarquable préface et il ajoute : « Comme d’autres ont des tatouages, Pedro Cabanas a, lui, la passion de la poésie dans la peau. Elle est chez lui spontanée, sans calcul. Son âme, ses souvenirs et son talent guident sa plume. »
C’est toute une vie qui défile à travers ces poèmes, avec ses doutes, ses angoisses, ses souvenirs, ses joies et ses peines. La magie des mots les fait revivre avec une sensibilité si forte que, parfois, elle touche le lecteur de ses traits pénétrants ou, au contraire, émouvants qui ne laissent jamais indifférent. Et les tableaux de Ferreira viennent renforcer, par leur sobriété noire et blanche, les impressions de spleen communiquées au lecteur. Quelques extraits vaudront mieux qu’un long discours.
[…] Un jour, à présent lointain dans ma mémoire,
La seule issue à ma vie m’apparaissait si noire
Que plus rien n’avait de sens, ni un soupçon d’espoir.
La légion, dans l’élan, la sueur et l’effort partagés,
En fit pour moi une toute nouvelle histoire.
(« À la gloire de la Légion », p. 109)
Un portrait de femme d’une émouvante et austère beauté, la mère de l’auteur à vingt ans, accompagne les vers suivants :
[…] Quand un fils se sent misérable,
Il lui reste une ultime pensée : « J’ai une mère. »
Car celui qui a une mère, a tout l’univers !
[…] Oh ! Que Dieu me pardonne, mère chérie
Et si jamais je ne pouvais t’embrasser,
Un jour d’automne, quelqu’un te dira :
Il est parti sans dire au revoir
Mais il vit dans le regret et la quête du pardon !
(« Mère… », p. 25)
L’ancien du 2e REP n’a pas oublié Calvi :
[…] Formidable au loin, la montagne
Immortelle, figée dans les nuages s’endort…
Doux regard, paysage de Balagne
Envoûtant de charme : la Corse !
Les mouettes s’envolent dans le ciel bleu,
Invitant chaque jour a vivre sa vie en paix…
S’abandonner à toi, Calvi, mon coin de paradis !
(« Calvi, Semper Fidelis », p. 99)
Les amours passées :
De tes lèvres complices et divines
S’envolaient des mots fous, des rires,
[…] Le temps a passé et tout est terminé.
Aujourd’hui, tout n’est que cendres gelées.
Il ne sait plus ce que tu es devenue
Mais cela a peu d’importance,
Parce qu’il te garde en lui,
Comme un doux refuge
Pour ses heures de peine et de malheur.
(« Feu & cendres », p. 79)
Une mélancolie diffuse imprègne ces poèmes qui révèlent un beau cœur d’homme partagé entre une soif de rédemption et « le bonheur d’exister » (« Méditation » p. 113). On se sent d’autant plus en communion avec l’auteur que chacun y trouvera, en les lisant, au gré des pages, un écho à ses propres états d’âme.
La conclusion de cette recension sera celle que donne le légionnaire Marquet à sa préface : « Poésie et aventure sont de vieilles complices et se moquent parfois des conventions. Légionnaire et poète… Le contraste peut paraître saisissant, mais il n’y a rien de surprenant à ce que la poésie recrute dans les rangs légionnaires car… Que seraient la voix du violon sans les caresses des silences et l’éclat de la lumière sans les ombres ? » ♦