La Politique étrangère des États-Unis en Amérique latine : interventionnisme ou influence ? L’OEA comme régulateur ?
La Politique étrangère des États-Unis en Amérique latine : interventionnisme ou influence ? L’OEA comme régulateur ?
Mise en œuvre par la Charte de Bogota du 30 avril 1948, l’Organisation des États américains (OEA) est la première et la seule instance à encadrer politiquement les relations entre le Nord et le Sud du continent américain. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis, co-vainqueurs des forces de l’Axe, concentrent 45 % du PIB mondial et leur emprise sur le sous-continent est redoutée par les Latino-Américains.
La politologue Estelle Poidevin consacre à l’OEA une étude documentée et pondérée en langue française qui contribue à comprendre les relations asymétriques entre les États-Unis et les nations latino-américaines par l’intermédiaire de celle-ci, structure institutionnelle intergouvernementale lointainement inspirée du panaméricanisme de Simon Bolivar, créée au début de la guerre froide avec l’Union soviétique et dont le siège est basé à Washington. Les États-Unis cherchent à promouvoir la démocratie et la paix face au communisme plutôt que l’ingérence politique ou militaire, comme à Cuba en 1898 ou en Haïti entre 1915 et 1934. Les gouvernements qui adhèrent à l’OEA affichent des orientations idéologiques variées, mais se retrouvent dans la volonté d’enserrer leur puissant voisin dans un réseau d’engagements juridiques et d’accords internationaux.
Retraçant la genèse et les premières années de l’OEA, assez méconnue en France, le livre d’Estelle Poidevin se focalise sur la période postérieure au 11 septembre 2001, qui a marqué une inflexion dans la politique extérieure étasunienne dans le monde, en général et dans l’hémisphère sud, en particulier. La traque du terrorisme devient la priorité de la Maison-Blanche. Les puissants cartels de la drogue en Amérique latine sont stigmatisés comme des groupes terroristes à neutraliser. Les cas particuliers exposés et analysés sont issus des années 2000 : le silence étasunien face au coup d’État manqué contre Hugo Chavez au Venezuela en 2002, la guerre civile en Haïti en 2004, la réussite de l’intercession de l’OEA au Nicaragua en 2005 et la crise politique au Honduras en 2009.
Estelle Poidevin estime que 2005 constitue la date d’une relative émancipation des pays latino-américains de l’emprise étasunienne au sein de l’OEA, dont le budget est financé à 50 % par Washington et qui constitue la puissance diplomatique, militaire, économique et culturelle dominante dans les Amériques. Après 2005, des mouvements dits progressistes sont élus dans plusieurs pays latino-américains (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Équateur, Nicaragua, Uruguay) et viennent renforcer la ligne anti-impérialiste menée par Chavez et les frères Castro. En 2008, Caracas parvient à impulser la création de l’Union des nations du sud (UNASUR) et de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA), qui visent à concurrencer l’OEA, que plusieurs gouvernements latino-américains jugent désormais trop inféodée aux États-Unis.
Distinct de la régionalisation, à vocation plutôt économique, le régionalisme de tonalité plus politique déployé tous azimuts par des États-membres de l’OEA affichant un progressisme anti-étasunien a pour objectif d’échapper à l’influence voire à l’interventionnisme des États-Unis, confrontés à l’irruption de la Chine, de la Russie, de l’Inde, de l’Iran et même de la Turquie dans leur pré carré latino-américain. La diplomatie étasunienne cherche à compenser cette concurrence extérieure et ce régionalisme frondeur dans l’hémisphère sud par des accords de libre-échange dont l’objectif est de diviser les blocs régionaux qui s’affichent comme hostiles aux intérêts du voisin du Nord. Elle s’appuie sur la Colombie, partenaire loyal des États-Unis en Amérique latine, avec ou sans l’OEA. Elle profite des rivalités entre l’Argentine et le Brésil dans le Cône Sud.
La guerre froide qui a présidé à la création de l’OEA n’existe plus. Dans un monde multipolaire, la politique étrangère des États-Unis en Amérique latine s’affronte à davantage de compétition géopolitique, au premier chef avec la Chine. Pour autant, la conflictualité actuelle dans les relations internationales, qui imprègne les Amériques (comme l’illustre la crise vénézuélienne, à travers laquelle s’opposent Américains et Russes), pourrait-elle se passer de ce régulateur institutionnel intergouvernemental qu’est l’OEA ? Rien n’est moins certain. ♦