Paul Morand
Paul Morand
Si Paul Morand n’a jamais écrit dans la RDN, son nom apparaît dans plusieurs textes publiés dans la revue au cours des décennies précédentes. Son influence dans la vie littéraire, intellectuelle et mondaine française en a fait un personnage essentiel de la République des lettres que l’on qualifierait aujourd’hui de véritable « influenceur ».
Né en 1888 à Paris dans une famille de la haute bourgeoisie et mort en 1976 dans la « ville lumière », il fut l’homme des paradoxes et des contradictions. Ainsi, sur sa notice de l’Académie française où il fut élu en 1968 apparaissent les fonctions suivantes : ministre (sous Vichy), diplomate (par intermittence), auteur dramatique, essayiste, poète, romancier… La photo prise lors de son discours de réception le montre en habit vert avec un placard de décorations à faire pâlir plus d’un ancien combattant, ce qu’il ne fut jamais alors qu’il a traversé les deux conflits mondiaux, bien à l’abri comme jeune diplomate à Londres durant le premier, faisant tout pour éviter d’aller au front et durant le second, en étant un affidé de Vichy et bénéficiant de l’appui de Laval, dont il était proche, lui permettant d’être ambassadeur en Roumanie puis en Suisse, à Berne, où il fut contraint à l’exil jusqu’au début des années 1950.
Mauvais diplomate, car dilettante avéré et constaté par sa hiérarchie, séducteur impénitent, voyageur passionné, il n’a cessé d’écrire, influencé durant sa jeunesse par Marcel Proust dont il fut le disciple. Ami de Cocteau, ses nouvelles lui apportèrent la célébrité durant les années 1920-1930, tandis qu’il accumulait contrats littéraires et conquêtes féminines. Si ses choix littéraires – avec une plume de grande qualité – et artistiques furent relativement judicieux, ceux du domaine professionnel – la diplomatie – puis politique furent chaotiques et pathétiques comme le démontre l’auteure de cette remarquable biographie, Pauline Dreyfus, petite-fille de l’écrivain Alfred Fabre-Luce (1899-1983), un proche de l’écrivain. Elle soulève notamment l’antisémitisme croissant de Paul Morand, en particulier sous l’influence de son épouse d’origines roumaine et grecque, Hélène Chrissoveloni (1879-1975) princesse Soutzo. Celle-ci n’a cessé de mettre en avant sa germanophilie et sa sympathie pour l’Allemagne nazie, y compris après la défaite du IIIe Reich, ce qui accentuera l’hostilité du général de Gaulle à l’égard de l’écrivain mondain et pro-Vichy, ce qui retardera longtemps son admission à l’Académie.
Avide d’honneurs, et donc de préséance, Paul Morand a fréquenté tout ce qui comptait dans le Paris de l’entre-deux-guerres. Son retour en grâce dans les années 1950 est dû notamment à l’appui d’une nouvelle génération d’écrivains, les Hussards, dont Roger Nimier (1925-1962), hostiles à l’existentialisme et à la mainmise de Jean-Paul Sartre notamment sur l’intelligentsia française. Son œuvre abondante avec plus de 80 ouvrages touche à tous les genres littéraires. Ses récits de voyage et portraits de villes restituent une époque qui a disparu après-guerre, lorsque le tourisme était un luxe rare e t réservé à une élite internationale soucieuse de préserver ses privilèges. Là encore, il s’agissait du temps avant la décolonisation et ses déchirements, d’où d’ailleurs son incompréhension et son indifférence lors des guerres d’Indochine et d’Algérie. Son antigaullisme obsessionnel va d’ailleurs le faire passer à côté de la transformation brutale imposée par le général à partir de 1958. Incarnant la modernité et la vitesse dans les années 1920-1930, Paul Morand achève sa vie dans un conservatisme réactionnaire et consternant.
Bien que très éloignée des questions militaires, la vie de l’académicien ainsi retracée permet de mieux comprendre cette période si critique de notre histoire, qui assista à la création de la RDN en 1939. D’où l’intérêt de cette biographie magistrale. ♦