Discours du ministre de la Défense devant les auditeurs de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).
Répondre aux défis d'un monde dangereux
Un constat : un monde plus complexe et plus instable
En déclarant que le monde dans lequel nous vivons est complexe et dangereux, je n’innoverai certes pas, d’autant plus qu’il n’existe pas, à ma connaissance, de période dans l’histoire de notre pays où cela n’ait pas été le cas ; la France s’est constituée, s’est développée et a mûri au cours des siècles dans un environnement toujours agité, trop souvent belliqueux.
Cependant, je crois nécessaire d’approfondir cet aspect des choses, car il me paraît clair que, dans les années à venir, nous allons assister à l’accroissement de l’instabilité du contexte international et à l’aggravation relative des risques courus par notre pays.
Que l’on se reporte seulement vingt-cinq ans en arrière, et l’on mesurera l’ampleur des changements qui ont affecté depuis lors les relations internationales. Celles-ci étaient marquées par une assez grande simplicité, au moins apparente : deux pôles de puissance principaux se partageaient le pouvoir économique, politique, militaire, notamment dans une Europe divisée à Yalta et à Postdam. De surcroît, parmi les superpuissances, les États-Unis jouissaient d’une large prépondérance en termes d’armements nucléaires, de capacité de projection de la force militaire au-delà de leurs frontières, de concentration de la richesse et de l’influence économique. Quant à la dimension « Nord-Sud » des rapports internationaux, elle ne commençait qu’à s’esquisser, la plupart des pays d’Afrique et une bonne fraction des nations d’Asie n’ayant pas encore accédé à l’indépendance nationale. Les deux blocs militaires — américain et soviétique — étaient apparemment homogènes et symétriques, quoique de contenu différent, et aucune nation — je pense notamment à la Chine à l’est, à la France à l’ouest — ne contestaient encore ouvertement le magistère des deux grands vainqueurs du second conflit mondial.
Il n’est, de toute évidence, pas nécessaire de souligner les différences existant entre ce temps-là et le nôtre. Je noterai seulement qu’un des enseignements d’un tel examen me paraît être le suivant : la stabilité n’est pas forcément un bienfait en soi. En effet, la simplicité des rapports internationaux des années cinquante avait pour corollaire une réduction de l’espace de liberté auquel les peuples peuvent naturellement prétendre.
Mais, à l’inverse, la diversité plus grande du monde actuel entraîne des dangers particuliers. Je voudrais ici tenter de me livrer à un exercice de prospective sur les prochaines années pour isoler quelques-uns des éléments nouveaux ou aggravés d’instabilité.
— L’apparition de nouveaux centres de pouvoir : les vingt dernières années ont vu l’émergence de nouveaux pôles de décision : la reconstruction économique mais non politique de l’Europe, l’émergence du Japon, la prise de conscience du Tiers-Monde, ce que l’on a pu appeler le schisme sino-soviétique, la constitution de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), le décollage des « nouveaux pays industrialisés » — tous ces faits ont donné au monde actuel un aspect plus divers, plus instable.
Cette diffusion du pouvoir crée certes un univers plus diversifié, mais plus créatif ; elle multiplie d’autant les occasions de conflits qu’alimente l’inégalité économique et sociale existant entre les nations. Ces affrontements peuvent malheureusement gagner en intensité et en ampleur dans les années qui viennent ; les nouveaux États souverains se dotent d’armements sophistiqués à un rythme accéléré, parfois en recréant du même coup de nouveaux liens de dépendance par rapport aux deux supergrands qui fournissent 80 % des armements vendus dans le monde. À cela s’ajoute le risque dramatique que représente la dissémination d’armes nucléaires dans des régions particulièrement instables où il serait audacieux d’affirmer que l’atome militaire, aux mains d’États ou de groupements fanatiques, ne pourrait pas être employé. Or une de ces régions au moins se trouve dans le voisinage immédiat de notre vieille Europe.
— À ces incertitudes nouvelles s’en ajoute une autre, qui touche plus directement encore à la sécurité des pays d’Europe, à savoir la mise en cause de l’équilibre approximatif, entre les États-Unis et l’Union soviétique. Cette observation appelle quelques explications sur la notion de rapport des forces, d’équilibre ou de déséquilibre dans le monde contemporain. À l’ère de l’atome, il serait absurde de se contenter d’additionner les fusées ou les mégatonnes des uns et puis des autres et de comparer les totaux ainsi obtenus : ce mode de calcul aboutirait à des non-sens. J’en veux pour meilleur exemple la mesure de la valeur dissuasive de la force nucléaire française de dissuasion : exprimée en vecteurs ou en mégatonnes, elle ne représente qu’une petite fraction de l’arsenal nucléaire des deux grands. Sa capacité de destruction est cependant suffisante pour faire hésiter un éventuel agresseur qui voudrait s’en prendre à la France et à ses intérêts vitaux essentiels. Aussi n’est-il pas inutile, en ce qui concerne la mesure de l’équilibre entre les supergrands, de parler, à la manière soviétique, de « corrélation globale des forces ». Si nous passons en revue les différents éléments constitutifs de cette corrélation, nous constatons un risque potentiel grave de rupture de l’équilibre au profit de l’URSS vers le milieu de la décennie.
Tout d’abord, le rapport de forces en matière d’armements conventionnels penche nettement en faveur de l’URSS, notamment en matériels majeurs déployés à terre.
Dans le domaine nucléaire, l’effort de l’URSS est considérable. Après avoir atteint la parité en termes de systèmes nucléaires à longue portée, l’Union soviétique a continué sur sa lancée et disposera, dans les cinq ou six années à venir, d’une capacité anti-forces pouvant menacer les missiles américains basés à terre. Le déploiement de deux cent cinquante missiles SS-20 représente une menace nouvelle non potentielle pour l’Europe de l’Ouest : les villes européennes étaient déjà — et sont toujours — sous la menace du feu nucléaire des SS-4 et SS-5. Aujourd’hui avec les sept cent cinquante ogives installées sur les missiles mobiles SS-20, ce sont, en plus des villes, les cibles militaires au sol qui peuvent être visées sur toute l’étendue de l’Europe, et même jusqu’en Afrique du Nord. Ce n’est qu’en matière d’armes nucléaires à courte portée que les Américains conservent la supériorité, même si celle-ci est à son tour menacée d’érosion : la mise en place des fusées SS-21 et SS-22, les travaux concernant le SSX-23, vont probablement entraîner un changement d’ici le milieu de la décennie.
Autrement dit, l’URSS, face aux États-Unis, pourrait avoir l’initiative et contrôler ce fameux processus d’escalade conçu par le Pentagone au début des années soixante. Force est de constater que l’application du nouveau plan de réarmement américain ne pourra faire sentir ses effets pratiques dans les six ou sept années à venir. Mais le fait de l’annoncer est déjà un acte important en soi. Par contre, ce plan pourrait renverser la tendance à la fin de la décennie, rompant alors l’équilibre en faveur des États-Unis : mais alors surgiraient d’autres problèmes, tels qu’une nouvelle relance de l’escalade en matière d’armements.
Je note encore que les forces soviétiques, dans leur ensemble, s’appuient sur une doctrine militaire résolument opérationnelle ; ainsi la structure des forces soviétiques et la nature de l’entraînement reçu sont marquées par deux constantes :
a) L’offensive considérée comme la meilleure défense de la patrie ;
b) L’équipement des unités du champ de bataille non seulement en armes classiques et nucléaires, mais aussi en armes chimiques, qui, plus que toutes les autres, ont la particularité de frapper les populations civiles non protégées, sans détruire l’infrastructure économique d’un pays.
En ce qui concerne les armes nucléaires, la dotation possible en munitions atomiques d’un sous-marin classique, tel que par exemple le « Wisky 137 », serait une illustration particulièrement spectaculaire de cette doctrine et de cette pratique qui ne sont pas de nature à engendrer la confiance.
Enfin, et ce n’est pas le moins important dans l’évaluation de la corrélation des forces dans son aspect européen, l’Union soviétique a pour elle une profondeur de champ stratégique terrestre, alors que les États-Unis sont, à l’échelle mondiale, une île et l’Europe, un simple cap d’Asie.
Dans un monde instable, la France, à la fois menacée et préservée, peut être un élément efficace de médiation
Dans ce monde plus dangereux du milieu des années 80, notre patrie peut occuper une place particulière, partiellement dictée par la géographie mais s’appuyant aussi et surtout sur une volonté. La situation géographique et politique de la France la place au confluent des grands axes autour desquels s’articulent les rapports internationaux modernes : les relations Nord-Sud d’une part, Est-Ouest d’autre part. C’est la raison pour laquelle la politique du Président de la République s’établit autour de ces axes.
1) Rattachée à l’Europe industrielle dont elle est l’un des éléments moteurs, mais dépourvue de ressources énergétiques abondantes ou d’accès facile, la France est aussi largement ouverte sur la Méditerranée et l’Afrique. Aussi est-elle inévitablement concernée par les conflits et les revendications qui se font jour dans le Tiers-Monde. Exposée aux vents du Sud, elle en subit certes tous les effets : point n’est besoin de rappeler l’impact économique des chocs pétroliers successifs ; point n’est besoin aussi d’évoquer les craintes que nous inspirent les nombreux affrontements qui ont pour théâtre le Proche-Orient et l’Afrique. Mais cette situation nous donne également la possibilité de faciliter le rapprochement des positions entre le Nord et le Sud, de contribuer à la médiation, notamment dans les conflits persistants et profonds du Proche-Orient, d’Afrique Centrale ou de Namibie. Ainsi en tant que ministre de la Défense, je suis conduit à apporter le concours de nos forces françaises d’assistance rapide à des actions qui peuvent favoriser le maintien de la paix. Les soldats français de la Finul, dont des jeunes hommes du contingent, y contribuent. De même, nos armées se tiennent prêtes à fournir une aide logistique à la force interafricaine en cours de constitution ou à participer, le cas échéant, à la force multinationale envisagée lors de l’évacuation complète du Sinaï par les troupes israéliennes en avril 1982. Naturellement, mon collègue et ami le ministre des Relations extérieures, M. Claude Cheysson suit attentivement ces opérations avec moi-même.
2) Appartenant au monde industrialisé et ouverte sur le Tiers-Monde, la France est placée dans une position comparable dans les rapports Est-Ouest : possédant une large façade sur l’Atlantique Nord, la France participe naturellement de la communauté des nations alliées riveraines de cet océan ; pays le plus étendu d’Europe après l’URSS, la France n’a jamais cessé d’être une puissance continentale, élément essentiel de l’équilibre de l’Europe prise dans son ensemble. Cette situation singulière se traduit en termes politiques.
Membre de l’Alliance Atlantique, la France est, bien entendu, fidèle à ses engagements. L’adhésion aux valeurs démocratiques, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales font de notre pays un partenaire naturel des États d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord. De même, la densité de relations économiques interdépendantes, notamment entre les dix États de la Communauté européenne, rattache clairement la France à cet ensemble de pays. Il est donc clair aussi qu’une menace grave sur la sécurité de ces États affecterait, gravement, la sécurité de la France. Notre champ de liberté se trouverait singulièrement rétréci si la France était entourée de voisins hostiles ou asservis. Or, il est un fait que la sécurité de nos partenaires européens dépend avant tout de l’équilibre des forces entre les deux superpuissances et notre analyse est que, sans l’équilibre de ces forces, il ne saurait y avoir de paix durable.
En même temps, la France dispose souverainement de la force nucléaire. Je veux dire qu’elle dispose par là même d’une autonomie de décision, d’un espace de liberté. Je veux citer à ce propos le président de la République qui déclarait dans sa conférence de presse du 24 septembre dernier : « la France développera sa stratégie propre de dissuasion… sachant qu’en fin de compte… un grand pays se trouve toujours placé, lors de choix décisifs, seul en face de lui-même ». De la possession d’une « ultima ratio » nucléaire destinée à la défense de la France en tant que telle, je tire deux conséquences valables pour le temps de paix.
1) La première, c’est que la France, tout en étant un membre loyal de l’Alliance Atlantique, peut tenir, de manière crédible, un langage visant à la disparition des blocs militaires. Ou, de manière plus immédiate, elle peut être un élément de médiation dans les négociations sur le désarmement entre les deux supergrands : nous sommes prêts à accueillir, dans les meilleures conditions, une rencontre à Paris entre les responsables politiques des États-Unis et de l’Union soviétique de manière à contribuer à donner une impulsion particulière aux négociations visant notamment au démantèlement des armements stratégiques.
2) La seconde caractéristique de notre capacité nucléaire militaire tient à ce qu’elle n’est pas négociable : la France s’est dotée d’une stratégie de dissuasion dite du « faible au fort » incompatible avec une quelconque doctrine de riposte graduée ; celle-ci supposerait en effet l’intégration de nos moyens nucléaires parmi ceux de nos partenaires au sein de l’Alliance équipés de telles armes et notamment les États-Unis.
En cas de guerre nucléaire, nous risquerions d’avoir à dépenser l’essentiel de nos moyens aux barreaux intermédiaires du conflit avant même que notre territoire soit spécialement menacé. Autrement dit, nous n’aurions plus de dernier recours.
En temps de paix, cette doctrine signifierait notre alignement complet par rapport à l’organisation militaire intégrée de l’Otan. La France, non seulement perdrait ainsi un espace de liberté essentiel, mais encore il n’y aurait plus en Europe d’élément de médiation crédible entre les États-Unis et l’Union soviétique. N’est-il pas dans l’intérêt de Moscou et de Washington qu’un tel intermédiaire existe ? D’autant que notre pays est un facteur de stabilité important dans une Europe en proie au doute à l’Ouest — et je pense particulièrement à la vague pacifiste en RFA et chez tel ou tel de nos alliés — ou à la contestation à l’Est : je songe évidemment à la Pologne.
Dans ces conditions, j’ai été, disons, intrigué par les propos tenus par le président Brejnev lors d’un entretien accordé à un important hebdomadaire ouest-allemand. En effet, les déclarations rapportées dans cette interview donnent à penser que l’Union soviétique ne ferait aucune distinction entre une France disposant en toute liberté de son armement nucléaire et une France dont les moyens atomiques seraient intégrés dans l’Otan ; à partir du texte allemand paru dans Le Spiegel, je cite en effet : « Les pays de l’Otan possèdent neuf cent quatre-vingt-six vecteurs (à moyenne portée) dont plus de sept cent pour les États-Unis, le potentiel britannique étant de soixante-quatre fusées balistiques et cinquante-cinq bombardiers, cent quarante-quatre unités appartenant à la France (quatre-vingt-dix-huit fusées et quarante-six bombardiers) ». M. Brejnev poursuit plus loin : « Actuellement, les armes nucléaires à moyenne portée de l’Otan sont en train d’être perfectionnées et renforcées. Par exemple, au Royaume-Uni, les fusées des sous-marins « Polaris » sont en cours de modernisation avec six ogives. En France, il est prévu de remplacer les fusées terrestres et embarquées dotées d’une tête par des fusées à sept ogives. De même, le nombre de sous-marins lance-engins français sera accru ».
Je pense que M. Brejnev veut faire monter un plateau de la balance, mais il ne peut pas souhaiter ce qui a été écrit : ce n’est pas dans l’intérêt de la France, ce n’est pas celui de l’URSS. Dans les négociations à venir entre les deux supergrands, la dissuasion nucléaire française ne saurait être considérée comme un simple complément des armes de l’un ou de l’autre. La France, dans ce domaine, existe par elle-même. J’ajoute que c’est l’intérêt des deux Grands.
Un impératif : une défense multiforme reposant sur la volonté populaire, et adaptée aux défis nouveaux
Ainsi, pour faire face aux dangers d’un monde où les déséquilibres sont appelés à se creuser dans les années à venir, une force de dissuasion nucléaire demeure une nécessité absolue. Celle-ci ne saurait cependant, en aucun cas, représenter à elle seule un facteur suffisant de défense de notre pays.
Tout d’abord, une défense efficace suppose qu’un certain nombre de conditions soient remplies. J’en vois pour ma part au moins trois.
1) Une conception globalisée de la défense. Si je suis ministre de la Défense, je suis loin d’être le seul parmi mes collègues à remplir une fonction de défense : chacun dans son secteur — économie, travail, relations extérieures, intérieur, plan, éducation, etc. — contribue à la défense du pays. Pour ma part, je le fais avec des moyens militaires, dans le cadre de l’organisation générale de la défense fixée par le Premier ministre et sous l’autorité du Chef des Armées, le président de la République. Il ne s’agit pas là d’une pétition de principe : j’en donnerai pour premier exemple la nécessité d’harmoniser la planification militaire et le plan économique national. Alors que le ministère de la Défense effectue plus d’investissements directs que tout autre département ministériel, la nécessité s’impose de lier programmation militaire et planification économique. Autre exemple : la protection civile. Il s’agit clairement là d’une fonction de défense importante. Elle relève cependant essentiellement de ministères autres que celui dont j’ai la charge.
2) Cet effort de défense global doit s’inscrire dans un cadre conceptuel cohérent accepté par tout le pays. C’est le cas aujourd’hui : les partis politiques représentés au Parlement acceptent tous l’existence d’une force nucléaire crédible dont l’emploi demeure strictement national et dont l’engagement est, dans tous les cas, commandé par le Président de la République. De même, aucun des partis ne met en cause la place de la France dans l’Alliance Atlantique, sans participation à la structure militaire intégrée. Cette adhésion se retrouve aussi dans les sondages d’opinion, qui traduisent également l’attachement au service national : j’y reviendrai plus loin.
3) Enfin, et c’est sans doute le plus important, il n’y a pas de défense sans volonté, sans esprit de défense. L’adoption en période de difficultés économiques d’un budget militaire en augmentation est un signe de cette volonté. L’effort de la France ne devrait pas se démentir : de 1981 à 1982, la part des dépenses militaires dans le PIBM passera de 3,85 % à 3,895 %. D’ores et déjà, le Premier ministre a décidé que ce pourcentage passerait à 3,94 % au moins du PIBM en 1983. À cet égard, l’action gouvernementale française fait contraste avec les difficultés rencontrées par divers pays européens. Il est vrai que ceux-ci sont atteints par une vague de pacifisme militant, largement nourri par les doutes existants quant à la volonté des États-Unis d’engager tous leurs moyens en faveur des pays de l’Otan qui n’ont pas, ou qui ne peuvent avoir, d’autre recours ultime que la seule protection américaine en cas d’hostilités militaires en Europe.
À une conception globale de la défense, à l’accord sur ses bases fondamentales et à la volonté politique doit correspondre une structure des forces appropriée. De plus, cette organisation doit être adaptée pour faire face aux défis de la « zone des tempêtes » que représente la décennie en cours.
Tout d’abord, les forces nucléaires. Celles-ci comprennent actuellement trois composantes principales, toutes en cours de modernisation.
La composante aérienne, que je cite en premier en vertu de son ancienneté relative, comprend les bombardiers Mirage IVA, à capacité stratégique, mais aussi l’armement nucléaire tactique aéroporté représenté par les Mirage IIIE, les Jaguar et les Super-Étendard, porteurs de bombes AN-51 et AN-52. Les vecteurs pilotés ont pour qualité essentielle de pouvoir être constamment suivis par le décideur politique et éventuellement rappelés en cas de conflit. Plus que les autres systèmes d’armes nucléaires, ces avions permettent, dans une atmosphère de crise, d’illustrer nos intentions avant de passer à l’exécution.
C’est pourquoi cette composante sera dotée, dès 1985, de missiles air-sol à moyenne portée (ASMP) qui réduiront la vulnérabilité des avions concernés — Mirage IVA d’abord, Mirage 2000 ensuite — et accroîtront la flexibilité de leur emploi.
Un nouveau système d’armes constitué de missiles sol-sol balistiques mobiles succédera aux Mirage IVA lorsque ceux-ci seront retirés du service.
La composante terrestre stratégique, avec les dix-huit missiles SSBS du plateau d’Albion, est caractérisée par la rapidité de sa mise en œuvre en cas de conflit. Dès la fin de 1982, les deux escadrons auront été dotés de fusées S-3, plus puissantes et dotées d’aides à la pénétration. À cette date les silos auront été, pour leur part, « durcis » afin de réduire leur vulnérabilité face à une éventuelle première frappe.
À terre également, les régiments de missiles « Pluton » permettent, avec les Mirage IIIE et les Jaguar, d’effectuer un coup d’arrêt nucléaire tactique militairement significatif contre l’adversaire potentiel, ultime signal avant l’emploi des forces nucléaires stratégiques. Un successeur de plus grande portée les remplacera ultérieurement.
La composante sous-marine, avec les cinq sous-marins nucléaires lanceurs d’engins opérationnels, assure à la France une capacité de deuxième frappe, condition absolument nécessaire de la crédibilité de la dissuasion nucléaire. Avec la mise en service en 1985 de missiles à ogives multiples M-4, la puissance de frappe des sous-marins sera accrue de plusieurs ordres de grandeur, et leur allonge sera notablement améliorée. Un sixième SNLE rejoindra la flotte en 1985 et sera le premier à être doté de fusées M-4. Le nombre des bâtiments en patrouille sera porté à trois, accentuant ainsi notre potentiel. J’ajoute que le Conseil de Défense vient de décider la construction d’un septième SNLE de nouvelle génération destiné à entrer en service avant le milieu de la prochaine décennie.
Cette modernisation des SNLE, tout comme celle des missiles du plateau d’Albion, l’annonce de la modernisation et du renforcement de notre potentiel, n’impliquent en rien un changement de la stratégie anti-cités, corollaire de la dissuasion du faible au fort. Cette progression vise essentiellement à maintenir et à développer la crédibilité de notre dissuasion face aux contre-mesures adverses.
Je ne parlerai pas ici des travaux qui devront être réalisés pour la dernière décennie du siècle : sur les charges et les vecteurs, des études se poursuivent ou seront engagées sur les différentes possibilités et leurs variantes éventuelles. Mais il est encore trop tôt pour les évoquer sur le fond.
Par contre, il convient de revenir sur les recherches, sur les mesures qui permettront d’accroître l’efficacité de notre force de dissuasion dans le courant même de la décennie. Ainsi :
— À l’heure actuelle, il arrive pendant une fraction de temps que moins de trois SNLE soient en patrouille simultanément. Par une série d’efforts plus ou moins coûteux mais rapides à mettre en œuvre, le temps de patrouille réel des SNLE sera accru.
— Le missile air-sol à moyenne portée peut être doté de charges nucléaires plus diversifiées que les bombes aériennes équipant actuellement les Mirage IIIE, les Jaguar et les Super-Étendard.
— Un point particulièrement important concerne le durcissement de nos réseaux de transmissions, face à ce que les spécialistes appellent l’impulsion électromagnétique provenant de l’explosion d’armes nucléaires, notamment en haute atmosphère. C’est un problème auquel les États-Unis et l’URSS sont également particulièrement sensibles, car l’arme « politique » que représente le nucléaire militaire ne vaut que par la capacité de communiquer en temps voulu et en toutes circonstances les ordres nécessaires.
— Enfin, les études se poursuivent sur l’arme à rayonnement renforcé. Ce n’est qu’avec la progression des recherches qu’une décision politique pourra être prise sur ce type d’armement, qui n’est pas sans susciter diverses interrogations : j’observe que, à puissance égale, elle provoque moins de destruction qu’une arme nucléaire tactique traditionnelle et représente un danger particulier pour les attaques de blindés. Cela peut paraître étrange pour un esprit non averti, mais les équipages de chars de combat sont en effet nettement plus vulnérables aux rayonnements neutroniques que des personnes réfugiées dans de simples maisons d’habitation ou, a fortiori, des abris élémentaires, caves ou tranchées. Mais à l’inverse, je relève que l’arme à rayonnement renforcé peut, dans certaines configurations, devenir l’arme de la bataille nucléaire, alors que dans notre doctrine, la force de dissuasion est l’arme de la « non-guerre » qui vise à prévenir le conflit. Le débat n’est pas tranché et, dans l’état actuel d’avancement des travaux, n’a pas encore besoin de l’être.
Je viens de parler de nos forces nucléaires ; celles-ci ne sont cependant qu’un des trois volets principaux de notre défense qui, pour être complète, doit comporter des forces de bataille, modernes et mobiles, pour garder nos approches et, dans le pire des cas, donner toute sa signification politique et militaire à la frappe nucléaire tactique qu’appellerait une offensive visant les intérêts vitaux de la France. De même devons-nous disposer de forces d’assistance rapide, permettant de faire face à des défis extérieurs, qu’ils soient d’ordre militaire ou naturel, et qu’il s’agisse de la défense des intérêts de la France — tels que la vie des ressortissants français à l’étranger — du respect de nos engagements internationaux, d’actions humanitaires ou encore d’opérations de maintien de la paix.
Ces forces, pour être efficaces, doivent disposer de matériels modernes en nombre suffisant. Ceci suppose, bien entendu, un effort financier approprié à travers le budget annuel de la défense. Mais ces moyens budgétaires ne surgissent pas du néant chaque année ; ils s’inscrivent naturellement dans une continuité que représente la programmation des dépenses militaires.
La loi de programmation militaire, votée le 19 juin 1976, fixe l’évolution des dépenses militaires et des équipements des forces armées pour une période de six ans, de 1977 à 1982. Elle couvre l’ensemble des dépenses militaires, dépenses de fonctionnement et dépenses d’équipement. Exprimée en crédits de paiement, elle garantit l’effort financier que consent la nation pour sa défense.
1982 représente donc la dernière année de la loi de programmation, celle qui aurait dû mettre un point final à son exécution. En fait, à mon arrivée rue Saint-Dominique, il m’est vite apparu que le Gouvernement précédent avait laissé se développer un certain nombre de retards importants dans l’exécution de cette loi.
Si l’on considère d’abord les enveloppes financières, que constate-t-on ? Apparemment, les objectifs fixés ont été atteints. La loi prévoyait, par exemple, de doter le budget de la défense de 66,4 milliards de francs en 1978 ; de 76,1 en 1979 ; de 87,2 en 1980 ; de 99,9 en 1981. Dans les faits, les budgets votés ont été constamment supérieurs à ces chiffres. Mais la loi de programmation avait été établie sur la base d’une hausse des prix de 7 % en moyenne annuelle. Ce chiffre est resté bien en deçà de la réalité.
En fait, en pouvoir d’achat, c’est une perte de plus de 8 % par rapport aux dotations prévues par la loi, qui a affecté le budget de la défense.
Ces insuffisances en dotation se sont couplées avec la hausse des produits pétroliers, pour introduire de graves perturbations dans la gestion des différentes armées. De 1980 à 1981, l’Armée de l’air et la Marine ont été contraintes à des transferts de crédits d’investissement vers les dépenses de fonctionnement, ce qui n’a pas été sans peser sur le respect des échéanciers des divers programmes d’armement. À cet égard les retards sont nombreux. Ils ont fait l’objet d’un exposé détaillé devant la représentation nationale.
Il faut ajouter aussi les retards dans la mise au point dont ont souffert certains matériels. Ces obstacles techniques sont aujourd’hui surmontés. Il n’empêche qu’ils ont affecté gravement le programme de réalisation du canon de 155 à grande cadence de tir. De même celui du Mirage 2000 dont les commandes, insuffisantes, ont dû être partiellement compensées par des commandes de Mirage FI, excellent appareil mais de conception plus ancienne.
C’est dire que la loi de programmation ne pourra pas être totalement exécutée en 1982. Le Gouvernement a donc décidé de se donner une année supplémentaire pour atteindre tous les objectifs fixés par la loi. 1982 ne sera pas séparée de 1983. Les deux exercices formeront un tout dont vous remarquerez que les dates sont calquées sur celles du plan intérimaire.
Lorsque j’ai évoqué, à l’Assemblée nationale, le contenu du projet de budget pour 1982, j’ai constamment fait référence au budget de 1983 ; je n’ai pas hésité à prendre des engagements sur le volume de l’enveloppe budgétaire, sur les quantités de matériel que les armées commanderont en 1983, car 1983 devra permettre d’accomplir ce que l’exécution passée de la loi ne nous a pas permis de faire en 1982.
Que se passera-t-il au-delà de 1983 ? Une nouvelle loi de programmation ? Sans doute. Plus exactement une loi de planification militaire s’étendant sur cinq ans de 1984 à 1988, c’est-à-dire la période sur laquelle s’étendra la planification générale pour les raisons déjà évoquées. Dès le 1er janvier prochain d’ailleurs un officier supérieur sera mis à la disposition du Commissaire général au Plan pour que le prochain plan quinquennal intègre complètement l’apport des dépenses de la défense à la croissance économique et à la défense de l’emploi.
Je ne développerai pas ici le détail du budget 1982, comme je l’ai fait tout récemment devant l’Assemblée nationale. Permettez-moi seulement de souligner que ce budget, qui progresse de près de 18 % en francs courants, maintiendra et perfectionnera l’outil de notre défense.
Pour faire face aux menaces que je vous ai décrites et mettre en œuvre la politique que j’ai évoquée, il ne suffit pas de disposer de matériels, nucléaires ou classiques, performants et fiables. Ces matériels sont conçus, réalisés, entretenus et mis en œuvre par des personnels dont la valeur et la disponibilité sont, en dernière analyse, les garants de la sécurité du pays.
Vous savez que, dans la situation actuelle, ce sont 720 000 hommes et femmes qui composent les effectifs des armées, le poids de leur rémunération et des charges sociales correspondantes représentant plus des deux-tiers des dépenses courantes de la défense et plus du tiers de son budget total.
Je voudrais souligner, en leur rendant hommage, la part que prennent à la création, à la constitution et à l’entretien de notre outil de défense les quelque 140 000 personnels civils de ce ministère, qu’ils soient ouvriers, fonctionnaires ou agents sous contrat.
Mais c’est, bien entendu, aux militaires, chargés de la mise en œuvre de nos armements, que doit être consacré l’essentiel de nos réflexions.
Nous disposons actuellement de 315 200 militaires d’active ou sous contrat et 265 355 jeunes appelés (ce sont les chiffres du budget de 1982), d’un système de défense qui réalise un équilibre entre les forces nucléaires de dissuasion qui sont les garantes de notre indépendance, et les forces conventionnelles qui nous permettent de faire face à nos engagements, soit au sein de l’Alliance Atlantique — et je pense au corps de bataille et à notre présence en Allemagne où nous entretenons 50 000 hommes — soit vis-à-vis de nos autres alliés, notamment de l’Afrique francophone — et je pense aux forces que l’on nommait d’intervention, et pour lesquelles je préfère l’appellation de forces d’assistance rapide.
Il est clair que l’équilibre du système de défense existant repose sur la présence sous les drapeaux d’importants effectifs de jeunes gens du contingent que seule permet la durée actuelle du service national fixée à un an.
C’est pourquoi, au moment où l’on parle tant d’un service militaire court, je voudrais vous faire part de quelques réflexions qui n’ont pas pour but d’apporter des solutions aux problèmes soulevés par une telle éventualité mais de poser les questions auxquelles nous serions alors confrontés.
Ces questions concerneront à l’évidence l’Armée de terre, et c’est d’elle seule que j’entends parler ici. Non pas qu’il faille diminuer en rien le rôle irremplaçable des autres armées ; mais elles sont, comme vous le savez, plus professionnalisées, et l’impact d’une réduction de la durée du service militaire n’aurait sur elles qu’un effet modeste. Cela est vrai, à l’évidence, de la Marine qui ne compte que 18 000 appelés mais cela l’est aussi, très largement, de l’Armée de l’air. Certes, une telle réduction ne serait pas sans conséquence — et je pense notamment à la protection des bases aériennes dont l’importance n’a pas besoin d’être soulignée et qui repose entièrement sur les appelés — mais l’impact en serait tout de même moins important que dans l’Armée de terre dont le service militaire assure près des deux-tiers des effectifs.
C’est donc sur les implications d’un service modifié quant au format de l’Armée de terre qu’il faudrait vous interroger.
Il est bien compréhensible que les jeunes à qui l’obligation d’un service militaire est demandée pour la défense de leur pays souhaitent que cette obligation soit la plus acceptable possible. En tant que ministre chargé de la défense du pays, je dois dire que la durée du service militaire doit permettre avant tout d’assurer efficacement notre défense. Non pas que rien ne doive changer, mais il s’agit de fixer des priorités entre le souhaitable et le possible.
Il faut donc prendre conscience que le problème de la réforme du service national est indissociable de celui du format de nos armées, et qu’en bonne logique on doit commencer par imaginer avec un certain détail ces nouveaux formats pour pouvoir aborder la véritable réforme du service.
La question du service, c’est aussi le problème de son contenu, de ses missions, de la menace, et aussi de l’enveloppe budgétaire.
Faut-il à tout prix trouver une solution unique ?
Certains imaginent qu’un service court, suivi d’une disponibilité renforcée, constituerait une réponse au problème posé par la protection des points sensibles, alors qu’au contraire un service plus long serait peut-être souhaitable dans certains emplois demandant une formation relativement approfondie ou de bonne stabilité chez ceux qui les occupent.
À ces questions, je n’apporte pas de réponse, mais il me semble, quelles que soient les solutions qui seront adoptées, qu’il faudra y consacrer des moyens financiers importants. Sans parler de l’instauration d’une armée de volontaires, qui serait d’ailleurs la solution la plus coûteuse de toutes, il faut être bien conscient qu’on n’améliorera pas la condition matérielle des appelés, ni le contenu du service militaire même raccourci, sans y consacrer des sommes élevées.
Conclusion : trois principes pour la défense
Je voudrais conclure, en vous invitant à votre tour à la réflexion, car la défense est l’affaire de tous, et le ministre de la Défense et les responsables n’ont pas à gérer la routine dans un cadre immuable.
Les grandes orientations sont fixées depuis que le Gouvernement est aux affaires, en particulier pour ce qui est de notre stratégie de dissuasion. Beaucoup de questions restent ouvertes, qui demandent d’autant plus de réflexion que le contexte dans lequel elles se posent peut changer, et qu’il n’est jamais bon de figer en tabous pour demain les idées que l’on a pu avoir hier.
Parmi les réflexions à conduire, il faut mentionner, nous venons de le dire, la durée et le contenu du service national, les effectifs et l’organisation des services, l’avenir de l’arme nucléaire à rayonnement renforcé, la modernisation des forces nucléaires stratégiques, ou encore — dans des registres différents — les exportations d’armements, la protection civile. Autant de questions — et il y en a bien d’autres encore — auxquelles s’intéresse, à juste titre, et légitimement, telle ou telle catégorie de Français.
Je n’ai fait qu’évoquer ces thèmes d’abord — et cela ne doit pas vous étonner — parce que, pour certains, les réponses sont prématurées. Mais surtout parce que je voudrais vous inviter à contribuer, par les travaux et par les réflexions de votre promotion, à replacer les différentes questions que l’on doit se poser en matière de défense dans leur contexte général, à dégager les fondements et l’articulation des raisonnements, à mettre en évidence l’ordre des facteurs, à prendre en considération, en un mot à aider le Gouvernement et les responsables à appréhender les questions de défense sous l’angle qui convient.
Il me semble qu’en matière de défense, la réflexion doit s’appuyer sur trois grands principes.
Le premier est qu’il existe pour tous les peuples, et pour la France en particulier, un droit à la sécurité. La France, notre pays, vaut la peine d’être défendu. Nous avons donc un devoir, celui d’assurer la sécurité des Français et de protéger les intérêts vitaux de la République. Bien évidemment, ce devoir n’est aucunement contradictoire avec celui de travailler à la détente, de chercher à promouvoir un désarmement qui soit efficace, juste, c’est-à-dire qui ne soit pas seulement un exercice verbal. Car assurer la sécurité ne consiste pas uniquement à s’armer, même si ce moyen reste souvent indispensable, mais à mettre en œuvre tous les efforts qui contribuent à préserver la paix et à éloigner les risques de crises ou de conflits.
Le deuxième principe consiste dans le droit de décider librement des conditions de notre sécurité. Le président de la République a pu dire : « La sécurité de la France tient à sa capacité de se défendre elle-même ». Il s’agit là du principe fondamental d’indépendance, ou encore d’autonomie de décision, ce qui ne signifie pas que nous nous désintéressions des autres nations.
Car le troisième principe sur lequel repose notre politique de sécurité est bien celui de la fidélité à nos alliances et à nos amitiés. La France ne vit pas solitairement ; elle est insérée dans un réseau de relations et d’amitiés résultant de l’histoire et de la géographie. Le Premier ministre a déjà rappelé devant vous les deux plus importants de ces réseaux de solidarité auxquels nous appartenons, celui de l’Alliance Atlantique d’une part, celui des pays d’Afrique et du Proche-Orient d’autre part, dont le caractère essentiel a encore été récemment souligné par la réunion, à Paris, du sommet franco-africain. Le fait que nous soyons, non pas solitaires, mais solidaires, nous oblige à récuser toute idée de neutralisme, non que le neutralisme soit en lui-même quelque chose de mauvais ; nous connaissons tous des pays neutres, la Suisse, la Suède, qui ont en ce domaine des traditions respectables et efficaces et qui ne sont d’ailleurs pas suspects de pacifisme, mais, du fait de sa place dans le monde et dans l’histoire, le neutralisme n’est pas une solution pour la France. J’ajoute que « neutralisme » n’est pas toujours synonyme de « neutre ».
Tels sont les principes permanents dont découle la politique de sécurité de la France. Mais la sécurité de notre pays doit être assurée dans un cadre financier qui n’est pas extensible, qui dépend en particulier de l’état de notre économie. Il y a là une donnée, ou plus exactement une contrainte, qui a varié dans le passé, qui pourra varier demain, mais qui est sûrement de nature à limiter nos ambitions. Qu’il s’agisse du volume de nos forces nucléaires, de nos forces classiques et même du prêt du soldat…, elle s’impose et oblige à faire des choix. Et il serait erroné de penser que ces choix, qui seront en particulier mis en lumière lors de l’établissement de la future programmation militaire, ne seront pas difficiles.
Mais la dimension nationale du contexte dans lequel nous devons concevoir notre politique de défense ne se résume pas en une dimension financière. Il faut aussi tenir compte des hommes, de leur nombre qui n’est pas illimité, du fait que, de plus en plus, la société dans laquelle nous vivons devient mixte, que les individus prennent de plus en plus des postes de responsabilité ; il faut tenir compte de l’évolution des mentalités, des modes de vie… Autant d’éléments, autant de questions, dont souvent il reste encore à dégager l’impact exact sur notre politique de défense.
Mesdames et Messieurs, mon exposé a eu pour seule ambition de vous proposer des pistes de recherches. Vos travaux, puisque c’est le rôle de l’IHEDN, viendront j’en suis sûr, les défricher, contribuant ainsi à enrichir la réflexion sur la défense de notre pays, notre préoccupation à tous. ♦