La relation entre la France et l’Europe a été depuis les débuts de la Ve République complexe et ambivalente. La revendication d’une Europe puissance a été perçue comme une remise en cause de l’Otan. La crise de la Covid-19 a obligé les Européens à repenser leur souveraineté dont une approche plus globale est indispensable.
France-Europe : un projet toujours contrarié ?
France-Europe: a Project Forever Thwarted?
Since the very beginning of the Fifth Republic the relationship between France and Europe has been complex and ambivalent. The appeal for a powerful Europe has been seen as calling NATO into question. The Covid-19 crisis has forced Europeans to take a new look at their sovereignty, for which a more overall approach is essential.
Plus ça change, plus c’est la même chose : depuis soixante-dix ans, la France a pour objectif et ambition la création d’une Europe qui compte dans le monde, les Européens se satisfont d’une Europe absente. Quel que soit le nom dont on qualifie la vision française – Europe-puissance, Europe politique, Europe stratégique, Europe de la défense, etc. – quelles que soient les préférences politiques des différents présidents de la République qui se sont succédé depuis le général de Gaulle, la France mène le même combat et récolte, il faut bien le reconnaître, le même insuccès. Pourquoi un tel entêtement du côté français en faveur d’une Europe qui soit autre chose qu’un grand marché toujours plus étendu ? Pourquoi une telle obstination des partenaires européens à refuser l’hypothèse d’une Europe qui soit aussi un grand acteur politique sur la scène mondiale ? Telle est l’énigme de la relation France-Europe depuis l’origine. Et telles sont aussi les questions pour l’avenir de la construction européenne et du rôle qu’y jouera la France, après l’inimaginable bouleversement suscité par la pandémie de 2020-2021.
Réflexions sur la puissance à la française
Deux invariants : le nucléaire et l’Europe
Parmi les succès du général de Gaulle, le moindre n’est pas d’avoir réussi à rétablir chez les Français le sentiment et la fierté d’être une puissance mondiale. Dès son arrivée au pouvoir en 1958, le Général commence à construire, puis à mettre en œuvre, ce qui sera les deux invariants définitifs de la conception française de la puissance : la dissuasion nucléaire d’un côté, la construction européenne de l’autre. La première est conçue comme le grand égalisateur des puissances, la seconde comme le démultiplicateur naturel de la puissance française. L’arme atomique, développée dès 1958, permit très vite à la France de reconquérir un statut de puissance mondiale, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, tenant son « rang » désormais dans la cour des Grands. C’est le général Pierre Marie Gallois qui théorisa en France le concept du pouvoir égalisateur de l’atome : « Militairement, voici le faible équivalent au fort » (1). La France devait en faire la formule définitive de sa force de dissuasion jusqu’à ce jour.
La construction européenne de son côté ne bénéficiait pas d’un grand enthousiasme de la part du Général. Farouchement défenseur de l’indépendance nationale, de Gaulle ne voyait pas d’un bon œil toute cette aventure fondée sur de progressives intégrations de souveraineté. Toutefois, il en perçut aussi l’effet bénéfique pour la France, notamment dans ses relations avec les États-Unis. Comme le relève Alain Pierrefitte, l’Europe devint, aux yeux du Général, « le levier d’Archimède » de la puissance française : un acteur capable de démultiplier la puissance française et son influence dans les affaires du monde. Sous son impulsion, Paris imagina toutes les solutions possibles pour construire la CEE comme une Europe politique, dotée de sa politique étrangère et de défense propre : le cadre européen avec les plans Fouchet, le bilatéral franco-allemand avec le Traité de l’Élysée, le refus de la candidature britannique à la CEE. On se souvient de sa célèbre conférence de presse du 14 janvier 1963 lorsqu’il expliqua son véto à la candidature britannique : « En définitive, il apparaîtrait une communauté atlantique colossale, sous dépendance et direction américaines, et qui aurait tôt fait d’absorber la Communauté européenne. C’est une hypothèse qui peut parfaitement se justifier aux yeux de certains, mais ce n’est pas du tout ce qu’a voulu faire et ce que fait la France et qui est une construction proprement européenne. »
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