La France a-t-elle encore une « grande stratégie » ? Est-elle encore un acteur reconnu et crédible sur la scène internationale ou n’est-elle plus qu’une puissance largement déclassée, au grand dépit de ses dirigeants ? Autant d’interrogations essentielles aujourd’hui pour mieux affronter les défis de demain.
Y a-t-il une « grande stratégie » française ?
Is There a French Grand Strategy?
Does France still have a grand strategy? Is it still recognised as a credible actor on the international stage or is it, to the vexation of its leaders, no more than a largely downgraded power? Such questioning is needed today if we are to be better able to confront tomorrow’s challenges.
« Grande stratégie » est une expression autant appréciée des théoriciens qu’elle est méprisée par les praticiens. Sur le plan théorique il s’agit à la fois d’un héritage de l’Angleterre impériale et de la « guerre totale ». C’est au stratège britannique Basil Liddell Hart que l’on doit l’expression. Il s’agit pour lui « de coordonner et diriger toutes les ressources de la nation ou d’une coalition afin d’atteindre l’objet politique de la guerre, but défini par la politique fondamentale ». Le général Beaufre évoquera, lui, la nécessité d’une « stratégie totale » pour faire face à la guerre totale. Le général Poirier parlera de « stratégie intégrale » à la fois économique, culturelle et militaire. Cette définition devient tellement large qu’on peut la trouver peu féconde, si ce n’est que l’on retrouve dans l’organisation des pouvoirs publics, à ce moment, un écho de cette conception nouvelle avec la création du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN).
L’un des rares chercheurs français contemporains à avoir travaillé sur cette notion, Thierry Balzacq, la définit comme « l’articulation raisonnée et investie de sens des ressources de l’État en vue de réaliser ses intérêts supérieurs, dans le moyen et long termes », « la somme des politiques qui ont pour objectif la puissance et la sécurité nationale ».
Il me semble que la définition la plus utile est celle du « grand dessein » d’un État dans sa politique extérieure. La France en a-t-elle un ? Nos alliés le pensent. Mais la grande stratégie, on la voit toujours chez les autres. Dans les faits, les démocraties contemporaines ont rarement une grande stratégie explicite. « L’endiguement de l’Union soviétique » tenait lieu de grande stratégie américaine dans les deux premières décennies de la guerre froide, mais elle n’a jamais vraiment été remplacée par un slogan équivalent en dépit de quelques tentatives au début des années 1990. En revanche, nul doute que la Chine en a une.
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