Le Putsch d’Alger
Le Putsch d’Alger
Le professeur émérite Maurice Vaïsse a consacré ses recherches à l’histoire contemporaine et tout particulièrement à la France du XXe siècle. C’est dire que la guerre d’Algérie et ses conséquences ont été au cœur de ses travaux. De plus, Maurice Vaïsse est né à Alger en 1942 et a été jeune témoin des événements survenus dans ce qui était considéré comme une partie du territoire français. D’où l’intérêt majeur de cet ouvrage, fruit de la maturité de l’historien, avec l’utilisation de nouvelles archives, mais aussi de l’émotion d’un homme à qui la terre algérienne n’était pas étrangère.
Il ne s’agit pas d’une histoire de la guerre d’Algérie, mais des événements d’avril 1961 et d’en rapporter les faits eux-mêmes, leurs origines – multiples – et les conséquences du putsch . Avec le recul et la hauteur de vue nécessaires notamment dans l’analyse de la crise de la relation entre l’armée et la nation, dont certaines traces subsistent encore.
Ainsi, contrairement aux slogans utilisés principalement par certains partis de gauche qualifiant alors les putschistes de fascistes et de nostalgiques de Vichy, Maurice Vaïsse souligne le fait que la très grande, sinon la quasi-totalité des militaires impliqués, était attachée à la République et à la démocratie. Les généraux, les colonels, voire les capi taines les plus anciens, avaient combattu contre l’Allemagne nazie et aucun ne se réclamait d’une idéologie fascisante. Ce n’est qu’après et notamment avec l’OAS que l’extrême droite, discréditée depuis 1945, a pu revenir dans le jeu politique et bénéficier du soutien des partisans de l’Algérie française. C’est un point essentiel, car longtemps après 1962 une partie de la gauche française voyait en l’institution militaire une menace latente contre les institutions républicaines, prétextant le putsch d’Alger. Par contre, et cela est essentiel, la relation entre les armées et l’opinion publique était devenue chaotique et complexe depuis l’effondrement de mai-juin 1940. Ce divorce est un des facteurs expliquant les événements d’avril 1961 dont l’échec des putschistes, d’autant que la grande majorité des unités issues de la conscription n’a pas suivi le mouvement. De plus, la fracture était réelle entre les cadres, en particulier ceux qui avaient servi en Indochine puis en Algérie, donc loin de la métropole et qui n’avaient plus la connaissance d’une société civile française désireuse après 1945 d’oublier les affres de la guerre, puis qui, au fil des années, s’est désintéressée du devenir de l’Algérie, alors que la IV e République se révélait incapable de trouver une solution politique à ce qui était à ce moment dénommé pudiquement les « événements ».
Cette distanciation sociale a d’une part marginalisé les militaires de carrière dans le tissu social français et d’autre part les a positionnés sur une attitude ambiguë où l’anticommunisme généré par l’Indochine avec la lutte contre le Vietminh et la guerre froide ne leur permettait plus de comprendre lucidement la crise algérienne, notamment sur la relation entre les différentes populations et des souffrances respectives face à l’impossibilité de construire une réponse commune préparant l’avenir. Maurice Vaïsse évoque également le rôle central du général de Gaulle dont l’arrivée au pouvoir, suite au 13 mai 1958, introdu isit une ambiguïté supplémentaire tant dans la relation politico-militaire que dans le projet algérien porté par le général. Il apparaît clairement que sa vision et donc sa position sur le sujet ont considérablement évolué pour en arriver au choix d’une indépendance inéluctable. Charles de Gaulle a très vite compris que le maintien à tout prix d’une Algérie française serait un obstacle pour que la France puisse retrouver son rang, en s’appuyant notamment sur le développement simultané de l’arme nucléaire, avec une première explosion le 13 février 1960 dans le Sahara. Toutefois, dans la gestion de la crise puis du putsch , le chef de l’État n’a fait preuve d’aucune mansuétude, ni d’empathie, la raison d’État ayant prévalu sur toute autre considération, d’où l’incompréhension vis-à-vis des Pieds-noirs, mais aussi vis-à-vis d’une partie de l’encadrement militaire. Cependant, il faut souligner ici que la rupture « politique » entre le général de Gaulle et l’institution militaire était déjà ancienne et datait en réalité de juin 1940, malgré le fait que la quasi-totalité des officiers généraux et supérieurs de 1961 avaient combattu pour la libération de la France.
Maurice Vaïsse éclaire, dans cet ouvrage, les raisons de l’échec qui sont nombreuses : surestimation de leurs forces par les putschistes, préparation aléatoire, absence de soutien de la part de l’opinion publique et de la majorité des unités des forces armées dont la Marine et l’Armée de l’air – même si certains officiers en étaient de chauds partisans. Et à cela, il faut rajouter la détermination du général de Gaulle. Le rôle du contingent a été important, mais davantage par son inertie et pour les troupes stationnées en métropole par une indifférence au problème algérien.
L’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 1962, n’a pas abouti à un apaisement de la relation entre les deux rives de la Méditerranée. Soixante ans après, les cicatrices restent vives et l’on voit actuellement l’instrumentalisation par le pouvoir algérien à des fins de politique intérieure de la mémoire de la guerre d’Algérie. Si du côté français, la page a été définitivement tournée et notamment au sein de l’institution militaire, Alger ne semble pas prête à relire objectivement son passé. ♦