Monsieur le Maréchal – Le parcours militaire de Philippe Pétain (1878-1939)
Monsieur le Maréchal – Le parcours militaire de Philippe Pétain (1878-1939)
Cet ouvrage, qui relève plus de l’essai historique brillant, que de la biographie au sens strict du terme, trouve son origine dans les travaux de mémoire auxquels sont astreints les stagiaires de l’École de Guerre. Compte tenu de sa qualité, grâce à l’intervention de l’amiral Finaz, commandant l’École de Guerre, il a été demandé à l’auteur d’approfondir ses travaux initiaux pour déboucher sur cet essai.
Rédigé dans un style enlevé et élégant, mais toujours précis sans être fastidieux à lire, pour plagier quelqu’un de célèbre, il s’agit de l’ouvrage d’un « breveté sachant écrire ». Une remarque liminaire s’impose, le cadre temps fixé par l’auteur s’arrête en 1939, pour ne pas tomber dans la polémique toujours ouverte, même si l’Histoire a largement jugé, de l’action du maréchal Pétain comme chef de l’État à Vichy. En filigrane du livre, pour la période de l’entre-deux-guerres, la question demeure quand même posée : quelle est la part de responsabilité du « Maréchal » dans le désastre de 1940 ? L’auteur n’impose pas sa réponse, mais en fournit des éléments pour que le lecteur se fasse son opinion personnelle.
L’ouvrage est bâti sur un plan chronologique, l’avant-guerre (celle de 1914), la Grande Guerre et l’entre-deux-guerres, ce qui permet de bien suivre le cheminement intellectuel du maréchal Pétain ainsi que les diverses influences qui ont pu s’exercer sur lui. Dans son récit, toujours enlevé, l’auteur superpose les faits à une analyse psychologique de son personnage. Mais il ne donne jamais, contrairement à une biographie récente dans le voyeurisme facile de « Pétain, homme à femmes ».
S’agissant de l’avant-guerre, période pendant laquelle tout le monde sait que l’avancement de Pétain a été très lent, l’auteur fait litière de l’argument selon lequel il aurait eu à souffrir de préjugés cléricaux, portés à son égard. Pétain était agnostique affirmé, et si sa carrière n’a pas été brillante, c’est à son ironie cinglante qu’il le devait. En effet, si l’ironie vis-à-vis de ses pairs est courante dans l’Armée, il est beaucoup plus rare qu’elle soit pratiquée vis-à-vis de ses supérieurs, qui plus est, ouvertement et en leur présence. C’était le cas chez Pétain. En parallèle, l’auteur montre bien comment, souvent contre l’avis de ses chefs, l’opinion de Pétain s’avérait néanmoins pertinente et juste. Enfin, dans ce portrait d’avant-guerre, Louis Neute montre également comment, au cours de cette période, Pétain était un homme solitaire et sans véritables amis, ce qui, dans l’armée, est assez rare.
Le portrait que dresse l’auteur de Pétain dans la Grande Guerre est presque un morceau d’anthologie : il démontre réellement le côté quasiment schizophrène du personnage : d’une part, le chef qui avait raison avant tout le monde avant d’être le chef glorieux et, d’autre part, l’homme foncièrement pessimiste, à la limite de l’aigreur, et profondément invivable pour un entourage qui ne serait pas porté à l’adulation. En fin connaisseur des conceptions tactiques, le commandant Neute expose combien la perception qu’avait Pétain des opérations en cours, à des années-lumière des conceptions officielles ayant cours en 1914, correspondait à l’exacte réalité de la situation. C’est ce qui a fait de Pétain un excellent commandant de division, de corps d’armée et d’armée, parvenant à ce denier échelon du commandement quelques mois seulement après la mobilisation. Si l’auteur expose comment Pétain s’est opposé frontalement à Nivelle, alors commandant en chef en 1917, pas toujours de manière très élégante d’ailleurs, il explique aussi combien, à partir de cette époque, Pétain devient le produit du parti radical-socialiste, par Painlevé interposé, qui devient à compter de 1917 le mentor politique de l’étoile montante de l’armée française. La comparaison, très fine et surtout pas manichéenne, entre Pétain et Foch, fera certainement date, pour les historiens de la Grande Guerre. Toutefois, en miroir de cette image du grand chef, l’auteur sait rendre celle d’un homme d’une froideur implacable, d’un égocentrisme exacerbé et d’une ironie qui tourne souvent à l’insolence ouverte. Il rapporte une scène où Pétain reçoit à sa table Poincaré, président de la République, qui le pressant d’attaquer ; Pétain quitte la table, se saisit d’une baguette, se place face à une carte, suit la ligne de front dont il est responsable et, se tournant vers le Président, lui dit, « Attaquer ? Bien Monsieur le Président. Où ça ? Ici ? Ou là ? Ou bien encore par-là ? » Et, à chacune de ces questions, la main arrête la baguette sur la carte.
La période de l’entre-deux-guerres est aussi riche que celle de la Grande Guerre, car elle conduit directement à l’abîme de 1940. Louis Neute expose un aspect méconnu, et souvent réduit à un simple divorce entre Lyautey et Pétain, comme ce fut le cas entre Foch et lui durant la guerre, il s’agit de la guerre du Rif. Non seulement, Pétain a réellement conçu le plan d’opérations qui allait permettre à Nollet de vaincre Abd el-Krim sur son territoire, mais il lui a fourni les moyens et a négocié avec le général Primo de Rivera la coopération franco-espagnole. À noter que c’est le même Painlevé qui a envoyé Pétain au Maroc. C’est toujours le même Painlevé qui sera le ministre des grands textes législatifs de la fin des années 1920 sur l’organisation de l’armée, la réduction de la durée du service militaire et l’organisation des frontières (la ligne Maginot), tous débats dont l’auteur sait rendre les enjeux et les méandres des discussions qui vont les faire aboutir. C’est ici que la responsabilité de Pétain dans la suite des événements commence à se révéler flagrante. Lorsqu’il quitte le commandement effectif de l’armée en 1931 et qu’il cesse d’être le commandant en chef désigné, le maréchal Pétain ne cesse pas pour autant toute activité officielle. Non content d’être inspecteur de la défense antiaérienne, à chaque fois que se crée un nouvel organisme central visant à élever les questions de défense au niveau interministériel, Conseil supérieur de la défense nationale, Comité permanent de la défense nationale ou Haut comité militaire, Pétain en est membre de droit, tout en restant membre de droit du Conseil supérieur de la guerre. Ses états-majors successifs ayant créé une ambiance de cour, d’où avait disparu tout esprit critique, il ne faut pas s’étonner que le caractère de Pétain ait rapidement évolué vers un orgueil compulsif. Ses avis étant reçus sans discuter, Pétain s’est tout naturellement imposé comme recours, notamment en 1934, lorsqu’il a été appelé à 78 ans, comme ministre de la Guerre dans le gouvernement d’Union nationale de Gaston Doumergue, ce qu’analyse finement l’auteur. Louis Neute fait un sort – justifié – à la critique de la formule de Pétain en inspection dans les Ardennes : « On les repincera à la sortie », ce qui sous-entendait le déploiement à la sortie des dites Ardennes, de puissants moyens de contre-attaque (qui n’existaient pas en 1940, consommés par la manœuvre Dyle- Breda). Dans ses dernières pages, l’auteur montre bien comment l’aura du « Maréchal » associée à son extraordinaire vigueur physique pour son âge ont contribué à le transformer en icône. Pour achever la période d’avant-guerre, le commandant Neute explique comment le choix de sa personne comme ambassadeur de France dans l’Espagne franquiste, n’était peut-être pas une bonne idée, les défauts de la cuirasse révélés durant la période vichyssoise, apparaissant déjà au grand jour.
Après avoir refermé ce livre, le lecteur ne peut s’empêcher cette réflexion : finalement, le meilleur ennemi de Pétain, n’était-il pas Pétain lui-même ? On tient peut-être ici une des clés du « Maréchal » de Vichy.
Nul doute que cet ouvrage ne pourra être cité dans toute nouvelle étude sur le maréchal Pétain d’avant-guerre ou sur le système militaire français de l’entre-deux-guerres.
Un regret, que les Éditions de l’École de Guerre ne diffusent pas en librairie, les commandes devant être effectuées sur catalogue numérique. C’est dommage ! ♦