Les services de renseignement ont longtemps marqué une défiance envers les « savoirs extérieurs » comme ceux venant du monde académique. Or, l’exploitation de sources ouvertes de plus en plus importantes nécessite des expertises différentes qui peuvent enrichir la culture du renseignement indispensable aujourd’hui.
Le recours aux « savoirs extérieurs » par les services de renseignement
Intelligence Services Turn to Outside Sources of Knowledge
Intelligence services have long distrusted outside sources of knowledge, such as those in the academic world. The exploitation of increasing amounts of open-source information calls for different skills to broaden today’s essential intelligence culture.
Ce n’est pas un moindre paradoxe d’observer que désormais l’une des questions importantes pour les services de renseignement est celle de leur « ouverture ». Ce phénomène est particulièrement visible à l’endroit des rapports entre les services et le monde universitaire.
Les services de renseignement se consacrent principalement à la recherche d’informations secrètes par des moyens dits classifiés. Mais ils traitent aussi de larges volumes d’informations ouvertes. Dans le langage des professionnels, on parle d’OSINT pour « Open Source Intelligence » ou de ROSO pour « renseignement d’origine sources ouvertes ». S’il n’est en rien une découverte récente, l’OSINT connaît depuis les années 1990 une profonde transformation liée au développement d’Internet et des technologies de l’information et de la communication. Dans ce contexte, la définition du renseignement à l’« âge de l’information » (1) connaît à la fois une extension interne, car la distinction entre l’information ouverte et fermée s’atténue. Elle connaît également un retour à son ambition initiale : quel que soit le volume d’informations, l’enjeu pour les services n’est pas tant d’y accéder que de produire la « connaissance utile à la décision ». Généralement, l’exploitation des sources ouvertes a été envisagée par les services de renseignement comme un défi sur trois dimensions : la reconnaissance de leur importance ; l’emploi de la technologie comme aide à l’analyse pour le traitement d’un volume de données croissant ; l’interaction avec le secteur privé. Cet article met l’accent sur un quatrième défi : l’institutionnalisation des liens entre les services de renseignement et le monde universitaire, notamment les sciences humaines et sociales. S’il n’est pas encore envisagé comme tel, le recours systématique à l’expertise extérieure et aux travaux universitaires pourrait être l’objet dans les années à venir d’un « renseignement d’origine académique » (ROA) (2).
De la périphérie théorique à la centralité pratique de l’OSINT
Durant la guerre froide, le recours aux savoirs extérieurs est peu institutionnalisé. Cette tendance est étroitement liée à la relégation de l’OSINT au rang de discipline marginale du renseignement (3). C’est au cours des années 1990 et plus encore après le 11 septembre 2001 que l’OSINT connaît une phase de réhabilitation théorique et pratique bien que ses usages ne fassent pas l’objet d’un consensus (4). Dans ce contexte, l’intégration de l’expertise extérieure au cycle du renseignement est devenue une préoccupation centrale des études spécialisées sur le renseignement (Intelligence Studies). Ces études développent la notion d’Intelligence-Academic Nexus qui interroge le lien entre les services et le monde universitaire. Elles soulignent l’existence d’une dynamique renouvelée selon deux modalités : les liens « bilatéraux » entre les services et les chercheurs ; l’institutionnalisation du recours à l’expertise extérieure par la structuration d’entités dédiées au sein des services à l’interface avec la recherche universitaire dans les domaines des technologies comme des sciences humaines et sociales (5).
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