KGB-DGSE – 2 espions face à face
KGB-DGSE – 2 espions face à face
Loin de la sophistication du Bureau des Légendes, cet ouvrage, basé sur un échange très riche entre deux anciens agents, l’un russe et l’autre français, nous replonge au temps de la guerre froide puis des quelques années qui suivirent l’effondrement du bloc soviétique. D’où une certaine nostalgie d’une époque révolue. En effet, malgré le titre accrocheur, il s’agit davantage d’évoquer la période où les blocs s’opposaient que les enjeux d’aujourd’hui où, si le renseignement d’origine humaine reste essentiel, l’exploitation des données acquises par des moyens techniques et triées par l’intelligence artificielle a pris une part croissante.
Il n’en demeure pas moins que la lecture en est intéressante et rappelle certains fondamentaux, notamment sur la manipulation des sources, s’appuyant sur les faiblesses humaines, et le rôle des officiers traitants sur le terrain. L’agent français, François Waroux, est né en 1941 et intègre l’École spéciale militaire de Saint-Cyr avec la promotion Corse et Provence (1964-1966). Il choisit l’arme des transmissions et après avoir commandé une compagnie de transmissions au Camp des Loges à Saint-Germain-en-Laye, souhaitant réorienter sa carrière, il entame son parcours au Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) en 1977 avec la formation initiale puis les différentes affectations et missions dont un séjour en Éthiopie. Son homologue russe est plus jeune, né en 1961. À l’inverse du système français, c’est le KGB qui allait chercher ses futurs agents au sein d’une société soviétique sous contrôle et où la délation et le mensonge fonctionnaient à plein.
Loin des James Bond ou des Missions impossibles, le quotidien décrit par les deux anciens agents était loin d’être excitant, romantique, aventureux et exaltant ; d’autant plus que la période était marquée par une forme d’équilibre précaire sur fond d’un affrontement idéologique où le KGB était un acteur majeur visant à déstabiliser les opinions publiques de l’Europe de l’Ouest, utilisant tous les leviers de manipulation y compris avec les partis communistes comme le PCF et les intellectuels compagnons de route. Avec le paradoxe rapporté par Serguei Jirnov que le KGB – gardien bureaucratique du temple – ne croyait plus à la victoire du modèle soviétique. Autre point souligné par l’ex-agent russe : la relative faiblesse du SDECE, voire son infiltration par l’URSS et de la DGSE à ses débuts. Cet aspect a été une réalité et il a fallu du temps pour professionnaliser le service français, d’autant plus que les autorités politiques de la Ve République ont eu beaucoup de méfiance envers la fonction du renseignement, voire la dédaignant, utilisant le terme peu flatteur de « barbouzes » pour ses propres agents.
Autre élément à noter, une certaine amertume partagée par les deux intervenants avec le sentiment de ne pas avoir réellement réussi à influer sur les choix stratégiques de leurs pays respectifs. De fait, un agent reste un pion sur un gigantesque échiquier où les règles du jeu étaient à la fois complexes, mais aussi régulées de part et d’autre comme une forme de pièce de théâtre.
Facile à lire, ce dialogue contribue à mieux comprendre une certaine réalité de la guerre froide et des changements qui sont intervenus en Europe avec la chute du Mur. Une page d’histoire intéressante à ne pas oublier à l’heure où la Russie de Poutine est redevenue agressive et revancharde. ♦