L’heure est au retour de politiques de puissance assumées. Elles incluent la perspective d’un conflit de haute intensité, la mobilisation de technologies de rupture et l’utilisation de modes d’action multidomaines ou hybrides. Dans cette configuration inédite, la posture de défense française doit se réinventer. La guerre du Golfe de 1990-1991 met en scène certains des prolégomènes de cette conflictualité renouvelée et ce, au moment même où la France cherche à adapter son système de sécurité pour tenir compte de la fin de la guerre froide. Le conflit oppose l’Irak de Saddam Hussein qui s’est emparé de vive force du Koweït à une vaste coalition internationale emmenée par les États-Unis. S’il survient dans un contexte en partie différent, il n’en porte pas moins lui aussi le sceau d’une bascule en cours de l’équilibre des puissances et d’une mutation inachevée de la conflictualité. La guerre du Golfe voit en effet la mise en œuvre de moyens et de procédés hérités qui ne sont reconfigurés qu’en partie autour des concepts de guerre à distance, de guerre en réseau et de guerre informationnelle. De ce point de vue, les moments historiques sont comparables. Marquée également par une symétrie, certes très relative, mais restée inédite depuis 1991, elle demeure le principal engagement militaire depuis la fin de la guerre froide, que ce soit en termes de volume de forces engagées ou du nombre de pays parties prenantes. Il s’agit donc de revenir sur ce conflit charnière en faisant jouer la concordance des temps, chère à Jean-Noël Jeanneney.

Ce dossier, consacré aux leçons militaires de la guerre du Golfe de 1990-1991, vise en effet à mettre en perspective les enjeux actuels, mais sans chercher à plaquer les interrogations du moment sur le passé. Au-delà d’une vaste historiographie américaine, il peut s’appuyer sur les travaux pionniers conduits en France par Frédéric Guelton ⁽¹⁾, Louis Gautier ⁽²⁾ et Jérôme de Lespinois ⁽³⁾. Trente ans après les faits, tenant compte d’un accès encore très limité aux archives, il repose sur le croisement toujours fécond du regard des acteurs, des experts et des académiques. Nous sommes honorés d’accueillir dans ce dossier des acteurs dont le témoignage apporte un regard personnel fondé sur l’expérience de l’exercice de responsabilités de premier plan au cours de cette crise ⁽⁴⁾. L’analyse se concentre tout d’abord sur les enseignements stratégiques, politico-militaires et opérationnels tirés de ce conflit emblématique. Tout en intégrant à l’étude l’impact de la guerre sur les principales puissances, qu’elles soient américaine, russe ou chinoise, on se focalise ensuite sur les réformes mises en œuvre pour ajuster en conséquence le système de défense français. Toute la difficulté est alors de prendre la mesure des interactions des leçons tirées du conflit avec les effets concomitants de la fin de la guerre froide et des mutations déjà à l’œuvre du rapport des sociétés à la guerre alors même que le visage de celle-ci change.

Un conflit pour partie inédit sur le plan militaire

Un premier chantier consiste à analyser jusqu’à quel point ce conflit représente un tournant dans l’art de la guerre et, plus particulièrement, pour le cadre d’emploi de la puissance militaire française. En effet, au-delà de ses conséquences majeures sur les relations internationales et de son impact sur les peuples, le conflit revêt un tour pour partie inédit sur le plan militaire.