Le rôle et la place de la France ont beaucoup évolué depuis le tournant des années 1990, avec une marginalisation réelle, malgré quelques succès d’estime dans la vente d’armes. Toutefois, les mutations actuelles avec le relatif retrait de Washington pourraient accélérer les transformations, obligeant Paris à de nouveaux choix.
L’impact de la seconde guerre du Golfe sur la présence française au Moyen-Orient
Impact of the Second Gulf War on French Presence in the Middle East
The role and place of France have greatly developed since the turning point of the nineteen-nineties, resulting in sidelining despite a number of notable successes in arms sales. That said, current changes, including the relative withdrawal of Washington, could accelerate further transformation and drive Paris towards making new choices.
Pour expliquer l’évolution de la posture française au Moyen-Orient au tournant des années 1990, il est nécessaire de brosser sommairement le panorama géopolitique qui prévalait à la veille de la guerre de libération du Koweït. Cette seconde guerre du Golfe – la première ayant opposé l’Irak à l’Iran de 1980 à 1988 – va provoquer le recul de l’influence française en Irak et au Liban, mais créer de nouvelles opportunités pour la France dans d’autres pays. En cet été 1990, le Moyen-Orient est disputé entre Américains, Soviétiques, Irakiens et Iraniens. Les Israéliens, très isolés sur la scène internationale, font face de leur côté à la première Intifada et doivent recoller les morceaux d’une relation très dégradée avec Washington. Les Égyptiens et les Syriens sont marginalisés, tandis que les Européens font de la figuration et que les Chinois consolident discrètement leurs gains positionnels acquis à l’occasion de la guerre Iran-Irak.
Un Moyen-Orient fragmenté et traumatisé par la guerre Iran-Irak
Le Moyen-Orient est alors impacté par les conséquences de la guerre Iran-Irak qui a marqué au fer rouge toute la région, influençant l’ethos des peuples comme des dirigeants. Saddam Hussein triomphe tout en comprenant que sa victoire face à l’Iran, deux ans plus tôt, est en réalité une victoire à la Pyrrhus, car elle a considérablement affaibli son pays et fragilisé son régime. Il fait face à un dilemme qui apparaît très clairement dans les bandes audios dont s’empareront les Américains en 2003 (1) : s’il démobilise son armée devenue pléthorique, il créera un chômage massif qui fragilisera un peu plus son économie ruinée et endettée ; tous ces inactifs, aguerris par de longues années de guerre, pourraient dès lors se retourner contre lui. Saddam, qui n’a jamais été militaire – même s’il paradait en uniforme – s’est toujours méfié de l’armée, raison pour laquelle il avait créé sa garde prétorienne. Mais s’il garde sous les drapeaux son armée de 850 000 hommes, il lui faut l’occuper et la payer. Féru d’histoire, il sait que les troupes qui s’ennuient et qui courent après leur solde sont les premières à renverser leur chef. Son cousin germain et ministre de la Défense Adnan Khairallah n’étant plus là pour le conseiller (2), Saddam Hussein opte pour la seconde solution.
Comme l’émir du Koweït a le mauvais goût de refuser d’éponger la dette irakienne contractée pendant la guerre Iran-Irak et qu’il s’est rallié de surcroît au camp saoudien au sein de l’Opep contre les intérêts de Bagdad, Saddam décide de tenter le hold-up du siècle : s’emparer du Koweït en un audacieux tour de main et de ses réserves d’or et de pétrodollars. Il est convaincu que les monarchies du Golfe, tétanisées, ne bougeront pas et que les Américains et les Soviétiques laisseront faire, Washington et Moscou étant selon lui englués dans la gestion compliquée de la fin de la guerre froide. Bien que les relations se soient fortement distendues avec Paris depuis la fin de la guerre Iran-Irak, le raïs irakien est persuadé de pouvoir compter sur le soutien diplomatique et militaire de la France. Une partie de la classe politique française ne le soutient-il pas ouvertement, tant à gauche qu’à droite ? L’Irak n’a-t-il pas représenté un Eldorado pour les industriels français, tout particulièrement pour ceux de l’armement qui ont vendu pour 22 milliards de dollars d’équipements (au taux de l’époque) entre 1975 et 1988, et constitué un allié de circonstance pour le Quai d’Orsay face au prosélytisme de la république des mollahs ?
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