Paul Chack – Itinéraire d’un malentendu
Paul Chack – Itinéraire d’un malentendu
Dramatique destin que celui de Paul Chack, héros de la Grande Guerre, écrivain reconnu au patriotisme insoupçonnable, qui fût condamné puis exécuté en janvier 1945 pour faits de collaboration.
Né en 1867, enfant naturel d’un noble Irlandais qui ne le reconnaîtra pas et d’une cantatrice parisienne, il fait d’excellentes études au collège Sainte-Barbe puis au lycée Saint-Louis. En 1893, il rejoint le Borda en rade de Brest. Sa carrière opérationnelle commence sous de bons auspices. Il se révèle fin manœuvrier, consciencieux et de bonne compagnie. Parallèlement, il ne cessera pas de cultiver ses relations parisiennes, notamment avec la presse et le monde politique. Il doit à ses appuis une affectation au grand choix sur La Mouette, qui sert de yacht à notre ambassadeur à Constantinople. Il rejoint ensuite Toulon qu’il ne quitte que pour venir se marier à Paris en 1905, d’où une nouvelle faveur ministérielle lui permet de rallier le poste envié d’aide de camp du gouverneur général de l’Indochine. Il rentre ensuite à Toulon. La déclaration de guerre le trouve affecté sur le cuirassé Courbet. Il est nommé au commandement de la Massue en 1915 et se révèle comme un officier « brillant et énergique ». Il rejoint ensuite la première région maritime, à terre. En décembre 1920, il renonce à poursuivre une carrière opérationnelle et est détaché au Service historique de la marine (SHM).
C’est une nouvelle vie qui s’ouvre à lui, celle d’historien et d’écrivain. Sous l’impulsion de Castex puis de Millot (alias Gervèse), le SHM est en pleine refondation. Paul Chack se voit confier la Revue Maritime et coloniale, à laquelle il donne une large ouverture sur le monde maritime civil, avant de prendre la direction du Service. Il publie alors La Guerre des croiseurs préfacé par Raoul Castex, ouvrage technique dont le succès marque le début de sa carrière d’historien de marine. Il est élu, en 1922, membre associé de l’Académie de marine. Pour attirer le grand public, Paul Chack reprend l’ouvrage avec le concours bienvenu de son célèbre camarade Claude Farrère ; ils le font publier sous le titre de Combats et batailles sur mer, « passionnant comme un roman vécu ». En 1926, Paul Chack poursuit seul avec On se bat sur mer, suivi d’un nouveau volume par an à la gloire des marins français, illustrés par Léon Haffner et tirés à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires chacun. Ce succès est entretenu et favorisé par l’Institution, qui y voit le moyen de faire connaître la Marine de guerre au grand public. Il est consacré par le prix de la Renaissance. Paul Chack démultiplie son action inestimable comme héraut de la Marine grâce à de nombreuses conférences et le concours du cinéma. Vis-à-vis des écrivains célèbres comme Loti ou Farrère, il manœuvre habilement pour conserver sa spécificité de marin authentique. Il s’appuie aussi sur l’Association des écrivains combattants et sur la Société des gens de lettres.
Au début des années 1930, la critique historique et littéraire commence son œuvre insidieuse, et le capitaine de vaisseau Paul Chack sait que sa position au SHM touche à sa fin. Il essaie alors, sans réel succès, de sortir de la Grande Guerre, avec des récits biographiques plus ou moins nostalgiques et exaltés, mais aussi par le biais de la poésie. Tout cela ne donne rien.
Atteint par la limite d’âge en 1935, il anticipe de quelques mois sa mise à la retraite et s’engage alors résolument dans la carrière littéraire, avec pour ambition ultime de suivre l’exemple de Pierre Loti à l’Académie française. Mais la concurrence est rude, puisque son camarade Farrère y est élu en 1935 contre Claudel. Paul Chack se déploie sur tous les fronts : articles et livres, sans compter de multiples conférences en France et à l’étranger. Il rayonne depuis son poste de président de l’Association des écrivains combattants ; il se multiplie dans toutes les manifestations à caractère maritime. Malgré tout, l’inspiration faiblit et l’Académie s’éloigne ; une nouvelle orientation s’impose alors à son esprit vaniteux et opportuniste, toujours en quête de reconnaissance.
Il entre en politique par l’Association nationale des officiers combattants, dont il devient vice-président. Il intègre aussi les Camarades du feu, puis rejoint en 1937 le Parti populaire français. Il est désormais sur le devant de la scène dans toutes les manifestations des différents groupes de la droite radicale, avec un langage martial de plus en plus agressif qui fait mouche auprès des partisans. Ce nouveau genre de succès enivrant est probablement ce qui pousse Paul Chack à reprendre à son compte, avec la naïveté et l’ardeur du prosélyte, les mots d’ordre politiques de ceux qui lui ouvrent bien volontiers leurs salles de réunion et leurs tribunes.
Paul Chack se représente au service dès la déclaration de guerre, il est affecté à l’Information, puis sera démobilisé à Toulon où il passera six mois à l’hôpital. Il marque sa déférence pour le Maréchal. Il est présent à l’inauguration de l’Institut d’études des questions juives en 1941. Au mépris de toute prudence, il s’affiche au Cercle européen, au Cercle aryen, au Comité d’action antibolchevique. Il loue outrageusement l’action des marins et celle de l’amiral Darlan en particulier. Il dénonce sans relâche les « forces du mal », le bolchevisme et la « pourriture judéo-maçonnique », stigmatise « la masse hostile » du peuple et prône l’épuration pour retrouver une société saine. Sa collaboration se fait de plus en plus ostensible et sincère au fil des mois, dans l’utopie d’une « Europe régénérée ». En 1943, il encourage puis soutient la création de la Milice. Peu crédible et mal étayé, son discours ne cesse alors de se radicaliser, en contrepoint des défaites successives de l’Axe. Las, il prêche de plus en plus dans un désert : de tous côtés, on l’ignore !
Il est cependant arrêté le 23 août 1944. Accablé par ses écrits et par son appel retentissant à rejoindre la Milice, il essaie vainement de convaincre de son patriotisme et de sa sincérité. Il se défend maladroitement et paraît effondré. Le réquisitoire insiste sur la responsabilité de l’intellectuel : sa « trahison est plus lourde que celle du milicien ou du membre de la Légion des volontaires français (LVF), entraînés par [son] prestige » […] « je réclame contre vous la peine de mort, Paul Chack, malgré votre talent, malgré vos décorations, malgré vos cheveux blancs ; je dirai plus, je la réclame à cause de tout cela ». Il est reconnu coupable d’intelligence avec l’ennemi, ce qui exclut aux yeux du général de Gaulle tout recours à la grâce du chef de l’État. Il est fusillé le 9 janvier 1945.
Les cercles et les connaissances dont il se réclamait abandonnent sa mémoire ; ses rares « amis », comme Claude Farrère, se contentent au mieux d’un service minimum et posthume. La Marine reste prudemment en retrait, se souciant peu d’une publicité mal venue voire compromettante. Paul Chack a définitivement sombré dans l’oubli, désormais ignoré de tous, alors que toute sa vie il avait poursuivi la chimère d’une reconnaissance éternelle, qu’il croyait acquise après ses premiers succès de librairie.
Agréable à lire, l’ouvrage de Jean-Baptiste Bruneau apparaît bien étayé. En restaurant la mémoire de l’officier de Marine dont les livres à succès avaient enchanté tant de lecteurs, sans toutefois ignorer sa conduite indigne pendant la guerre, cette biographie bien venue a le mérite d’ouvrir à la réflexion sur l’engagement et la responsabilité des écrivains. ♦