Editorial
Éditorial
Le tsunami diplomatique provoqué par l’annonce brutale de l’alliance AUKUS formée par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, outre la perte du contrat pour la conception et la construction de douze sous-marins par Naval Group, a démontré que l’Indo-Pacifique était devenu le nouveau centre de gravité des affaires du Monde, sous fond de rivalité stratégique entre Pékin et Washington. Il est vrai que, vu depuis l’Europe, cette région du globe est située aux antipodes et donc loin des préoccupations des Européens, qui se sont construits depuis des siècles comme le nombril de la planète. Or, l’Indo-Pacifique de par sa croissance démographique, économique et géopolitique focalise désormais toutes les attentions.
D’où ce dossier proposant des approches diverses, mais illustrant toute la richesse et la potentialité d’un espace où la France y est présente depuis près de trois siècles et où vivent environ 2 millions de nos concitoyens. Zone de fortes tensions militaires où la Chine affirme clairement des ambitions politiques, avec un objectif ouvertement affiché : être la première puissance mondiale en 2049, date du centenaire de la proclamation de la République populaire de Chine par Mao. Zone de rencontre de cultures et de civilisations millénaires où les échanges ont toujours existé par la voie maritime. Zone d’expansion économique imposant son rythme aux affaires du Monde.
D’où l’urgence d’une prise de conscience par les Européens que leur destin se joue en partie là-bas. Les conséquences de la crise sanitaire de la Covid-19 avec la dépendance du « Vieux Continent » aux importations asiatiques et la claque infligée par AUKUS commencent à réveiller les consciences et obligent Bruxelles à réagir. La France, puissance de l’Indo-Pacifique, s’efforce ainsi de développer une politique européenne tout en rappelant ses intérêts régionaux avec plus ou moins de succès.
Éclairant ce premier dossier, les onzièmes Conversations de Gouvieux, organisées début juillet par le CEPS, se sont interrogées sur le type de défense à l’avenir et présentent ici leurs conclusions. Car affronter les défis géostratégiques de demain oblige à penser notre défense dans le temps long. Il en ressort de ce fait l’importance croissante de la dimension maritime et pas exclusivement en Méditerranée, même si les tensions ne cessent d’y croître et du besoin de renforcer à la fois notre hard power – un des enjeux de la prochaine mandature présidentielle – mais aussi notre soft power, alors même que la France connaît une « archipellisation » de son opinion publique et une montée des individualismes qui s’exprime hélas au quotidien et que les forces de sécurité intérieure doivent prendre en compte.
Alors que les équipes de campagne s’engagent activement pour la présidentielle de 2022, il paraît clairement essentiel de sensibiliser l’opinion publique à ces enjeux stratégiques qui conditionnent notre vie quotidienne, notre sécurité et notre souveraineté. La tâche est difficile, tant l’Indo-Pacifique semble loin des préoccupations de l’électeur et que les questions de défense, avec des programmes s’inscrivant sur des décennies, sont loin de passionner les foules. Toutefois, cela reste indispensable et la RDN s’y emploiera dans les mois à venir. ♦