Pendant des décennies, la France n’a pas eu une politique globale pour l’Indo-Pacifique, par manque d’intérêt prioritaire et par des échecs comme le retrait d’Indochine. Il y a un vrai changement depuis les années 2010 et une prise de conscience de l’importance de la zone et du besoin d’une approche française globale.
Y a-t-il une tradition « indo-pacifique » française ?
Is there a French Indo-Pacific Tradition?
France has for decades lacked any overall policy for the Indo-Pacific as a result of the region’s low priority and of setbacks such as the retreat from Indochina. There has nevertheless been real change since 2010, with recognition of the importance of the region and the need for a global French approach.
Depuis les années 2010, l’expression « Indo-Pacifique » est de plus en plus utilisée. Elle a remplacé celle d’Asie-Pacifique, caractéristique des années 1990, qui était portée par les États-Unis et l’Australie, et aussi le Japon. Au-delà de la question de la paternité de ce nouveau découpage géographique, plutôt japonaise, son adoption dans les documents stratégiques et dans les discours officiels est désormais courante : précocement au Japon et en Australie, plus tardivement en France, en Inde et aux États-Unis, et plus encore pour certains pays de l’ANSEA, notamment l’Indonésie, pour le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Union européenne. Chaque État a ses propres qualificatifs (avec par exemple l’ajout ou non de « libre et ouverte »), sa propre définition géographique (l’aire présentée par la France étant la plus étendue) et ses propres justifications (pour la France notamment une présence humaine et des territoires), visions des objectifs et des partenariats. Selon la diplomatie chinoise, choisir ce terme signifie participer à la volonté d’encerclement de la Chine, même si ce terme est né en grande partie de la perception, dans les années 2000, que la Chine ne se contentait pas de marquer son territoire en mer de Chine du Sud, mais commençait à chercher des points d’appui dans l’océan Indien pour encercler son rival indien.
La question s’est très vite posée de l’historicité de l’Indo-Pacifique. Le plus évident a été de se tourner vers les stratégies de l’Empire britannique (1). En effet, la rivalité avec l’Empire russe l’a conduit à penser l’espace courant de la Méditerranée orientale au Pacifique. Les travaux récents montrent comment la présence britannique dans le Golfe et en Afrique de l’Est, puis au Moyen-Orient en général au lendemain de la Première Guerre mondiale, était liée à la protection de l’Empire des Indes, pièce maîtresse du dispositif impérial. Les stratèges qui veulent géopolitiser la politique internationale de l’Inde rappellent l’horizon stratégique du Raj, de l’Afrique jusqu’à la Chine : des Indiens ont combattu de l’Afrique à l’Asie du Sud-Est, les policiers « britanniques » à Shanghai et Hong Kong étaient des Sikhs, des Indiens se sont installés ou ont été transportés dans les possessions britanniques, dans tout l’espace de l’Afrique du Sud (et l’Ouganda) aux Fidji.
Le défi britannique des années 1930 était de faire face aux ambitions allemandes en Europe, italiennes en Méditerranée, dans la Corne de l’Afrique et au Proche-Orient, et japonaises en Asie, et donc de savoir où et comment positionner sa marine. On oublie trop qu’à l’été 1939, les Britanniques sont préoccupés par une crise avec le Japon à Tianjin, qui fait penser qu’une guerre avec le Japon est possible. L’Australie prêche l’appeasement à l’égard du Japon, car elle ne croit pas les Britanniques capables de mener une guerre à la fois en Europe et en Asie. Déjà une nouvelle posture maritime semble faire l’impasse sur les intérêts britanniques en Chine, favorisant l’axe océan Indien-Singapour-Australie qui assurera les succès futurs de la Royal Navy (2). Le tournant pour les Britanniques intervient à l’orée des années 1970, avec l’abandon de toute présence militaire à l’est de Suez.
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