La Force des racines kanak en Nouvelle-Calédonie
La Force des racines kanak en Nouvelle-Calédonie
Le préfet Christian Blanc s’est trouvé très directement impliqué dans les événements de Nouvelle-Calédonie, depuis le 1er décembre 1984 avec Edgard Pisani jusqu’à la conclusion des accords de Matignon en 1988 avec Michel Rocard.
Dans la perspective affichée de « rappeler un passé encore vivant que l’on a voulu oublier », l’auteur nous livre ici le récit détaillé et chronologique de cette période très mouvementée où s’est révélée aux yeux de tous les acteurs étonnés La Force des racines kanak en Nouvelle-Calédonie. Il a fallu ces périodes dramatiques d’affrontement violent entre deux communautés d’origine européenne et indigène, pour qu’émerge la conscience collective d’une culture kanak que l’on croyait définitivement éteinte et vouée à la préhistoire.
Au cours d’un récit factuel et tout à fait passionnant des péripéties de ce drame à rebondissements multiples, l’auteur nous fait surtout découvrir – en même temps que lui – les fortes personnalités en présence, notamment Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou sans qui tout ce processus collectif de reconnaissance et de réconciliation n’aurait pas pu prendre corps. « Nul ne peut se vanter de se passer des hommes » (Sully Prudhomme) comme Christian Blanc aime à le rappeler.
Le 29 juin 1988, Michel Rocard déclarait devant l’Assemblée nationale : « De ces heures intenses de discussion, j’ai retenu deux phrases. De M. Jacques Lafleur : “il est temps d’apprendre à donner, il est temps d’apprendre à pardonner.” De M. Jean-Marie Tjibaou : “La souveraineté, c’est la capacité de négocier les interdépendances.” Elles expriment à mes yeux la volonté de paix et de reconnaissance mutuelle des communautés dont le destin est bien de vivre ensemble et non de mourir l’une par l’autre ».
Fortement marqué par sa rencontre avec Jean-Marie Tjibaou, Christian Blanc le cite assez longuement au cours de leurs différents entretiens où il apprend à découvrir cette culture de tradition orale, fondée sur le rapport à la terre et exprimée par la coutume. « La coutume entretient le lien spirituel du groupe à son monde naturel ; c’est le tissu des liens sociaux qui sont tissés entre nous tous, ancêtres compris… La coutume est d’une expression diverse selon les territoires, elle s’adapte aux évolutions historiques d’autant plus facilement qu’elle n’est pas écrite. »
« L’important pour un homme, sa conception de la vie, c’est de toujours partager, de donner ce qu’il a et ce qu’il est. C’est parce que vous avez pu vivre ainsi qu’on viendra faire la coutume sur votre tombe le jour de votre mort : vous aurez été quelqu’un qui aura su donner. »
Après le drame de l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou et de son adjoint Yéiwéné, un éditorialiste exprimait ainsi le ressentiment général : « Les mots trop bien en ordre ne rendaient pas la magie de la parole mélanésienne, ne disaient pas cet infini du temps kanak qui lie les morts aux vivants, à travers les arbres, les rochers, les poissons, les sentiers de la brousse. »
De cette rencontre personnelle avec l’Autre, si différent mais tellement humain, Christian Blanc tire en fin d’ouvrage une réflexion plus générale, ouverte sur les enjeux du futur. Le rapport des Kanaks et des Océaniens avec la terre et l’océan, dont l’homme n’est jamais propriétaire, mais seulement usufruitier, lui paraît « unique au monde ». Il insiste sur la notion du temps « écologique » qui correspond dans la culture kanake au rythme de la nature et des saisons ; un temps qui n’est pas indéfiniment linéaire et scandé par des intervalles immuables et égaux, comme pour les Occidentaux avec leur « temps mécanique », mais se déroule de façon séquentielle et cyclique au rythme de la nature. « C’est l’unité et le rythme de la nature qui nous permettent de reconstruire la majeure partie de notre histoire » explique J.-M. Tjibaou.
Christian Blanc conclut ainsi sa réflexion : « Mon propos n’est pas de dire que l’avenir de l’homme est dans la culture kanak ! Mais la culture kanak et les cultures anciennes peuvent y contribuer. Notre chance, c’est que cette culture existe encore et qu’elle soit toujours vivante en Nouvelle-Calédonie. » ♦