Editorial
Éditorial
Alors que 2021 va bientôt s’achever, il est déjà nécessaire de faire un premier bilan géostratégique d’une année marquée – sur fond de pandémie de la Covid-19 – de plusieurs surprises stratégiques et de la confirmation de certitudes inquiétantes. Sans être exhaustif, les événements ont été brutaux et ont obligé certains États à revoir leur position. Il suffit de penser à la débâcle de cet été en Afghanistan et le départ précipité des Occidentaux de Kaboul, laissant un pays exsangue aux mains des taliban. Bien que la France ait quitté militairement ce territoire depuis 2014, la leçon reste cruelle et la déception immense, malgré les milliards déversés pour essayer de reconstruire un pays qui n’a jamais été ni un État, ni une nation.
L’autre grande surprise, et qui nous concerne encore plus directement, a été l’alliance AUKUS dont la première conséquence est l’annulation du contrat pour la construction de 12 sous-marins sous l’égide de Naval Group. Sans préavis et sans le moindre ménagement diplomatique, cette annonce a révélé le cynisme des uns, l’hypocrisie des autres et le mépris de partenaires historiques qui, après avoir eu le sentiment d’un bon coup contre les Frenchies, se sont rendu compte que notre pays était encore l’un des rares à accepter de payer le prix du sang pour sa défense. D’où les gestes de Washington pour essayer de compenser la maladresse initiale, en attendant de véritables actes.
Cela signifie qu’il est indispensable pour la France de réfléchir à sa stratégie de défense et de répondre à la question que posait le maréchal Foch : « De quoi s’agit-il ? » Aligner des équipements, écrire des doctrines d’emploi, recruter des soldats… Non, il s’agit bien de penser global et de savoir ce que nous voulons comme destin pour la nation. Le processus entamé en 1972 avec le premier Livre blanc et poursuivi jusqu’à présent est bien l’affirmation de cette nécessité stratégique et reste plus que jamais indispensable. Il est la résultante du traumatisme de la débâcle de 1940 et donc de la volonté du général de Gaulle – même s’il n’est pas le concepteur des Livres blancs – de doter la France de la défense dont elle a besoin. Et si la loi de programmation militaire 2017-2025 se déroule conformément, il semble clairement qu’il faudra pour la prochaine mandature à la fois renforcer les choix déjà faits, mais également remonter le niveau de nos ambitions face aux évolutions du monde qui vont vers un durcissement des relations et la recherche de la confrontation dans certaines régions de la planète, menaçant directement nos intérêts vitaux.
Accompagnant ainsi le dossier autour de notre stratégie de défense, un focus sur les relations transatlantiques s’impose au regard des surprises stratégiques évoquées plus haut. En attendant que l’Allemagne finisse d’achever sa coalition gouvernementale, tandis que les nuages noirs de la guerre hybride obscurcissent l’horizon à l’est de l’Europe et que le Royaume-Uni n’arrive pas à définir une ligne claire suite au Brexit, les interrogations s’accumulent sur le lien entre Washington et l’Europe, que ce soit au sein de l’Otan ou de l’UE. Les Européens découvrent – pour certains avec une ingénuité confondante – que le centre de gravité a basculé vers l’Indo-Pacifique et que le Vieux Continent est désormais marginalisé, incapable de penser stratégique. L’année 2022, avec un premier semestre marqué par la Présidence française de l’Union européenne (PFUE), sera dès lors une année décisive. ♦