Évoquer le combat comme le cœur du métier est trop simpliste pour rendre compte de la spécificité militaire. Plus que le combat, la finalité est d’abord la victoire, celle-ci le construisant en vue d’établir une paix durable, crédible et légitime.
Du fondement de la spécificité militaire
On the Foundation of Military Characteristics
To speak of combat as being at the heart of the profession is too simplistic when attempting to characterise what is particular to the military. Beyond combat, the desired end-state is, first of all, victory, then the construction of a long-lasting, credible and legitimate peace.
Plus de vingt ans après la décision de professionnaliser les armées françaises, il peut paraître cavalier et peu orthodoxe de s’attaquer de front à l’idée largement admise que le « cœur de métier » du militaire, ce qui en fait la spécificité ou la « singularité », est le combat : « le combat constitue la raison d’être de toute armée, celle vers laquelle doivent converger les efforts de tous » (1). Surtout si cela est vrai, et cela l’est.
Cette définition est néanmoins sujette à un biais cognitif selon lequel cette idée vraie – le militaire est fait pour se battre – entraîne sur la façon de s’en servir. Ce biais est particulièrement palpable dans la doctrine américaine, pour laquelle le soldat doit « détruire » l’ennemi des États-Unis (2), découlant d’une lecture littérale de Clausewitz : « ôter [à l’ennemi] tout moyen de se défendre est, par définition, le véritable objectif de l’action militaire. Il remplace la fin et l’écarte en quelque sorte comme n’appartenant pas à la guerre elle-même » (3). Il s’agit du biais connu sous le nom de loi de l’instrument, ou loi du marteau, tiré d’une citation d’Abraham Maslow, le père de la pyramide éponyme : « Je suppose qu’il est tentant, si le seul outil dont vous disposez est un marteau, de traiter tout comme si c’était un clou (4). » Cela conduit à considérer les forces armées comme des marteaux tout juste bons à enfoncer des clous, à la façon dont Clausewitz concevait leur rôle. Or, cette vision réductrice se heurte à une réalité plus profonde, précisément parce que les problèmes posés aux armées ne sont pas des clous.
La paix par la destruction et la mort
La racine première de la spécificité militaire réside non pas dans son cœur de métier – l’action – mais dans l’antinomie entre le produit de l’action et son sens : atteindre la paix par la destruction et la mort. Cette hétérogénèse des fins est ce qui distingue fondamentalement la chose militaire des autres métiers, dont le sens découle bien plus directement du produit de leur action.
Il reste 87 % de l'article à lire
Plan de l'article