Sur fond de guerre d’Algérie, le 13 mai 1958 traduit l’agonie politique de la IVe République, incapable de résoudre l’instabilité gouvernementale. Le coup de force algérois, qui est loin d’être un coup d’État militaire mais l’expression du désarroi des Français d’Alger, entraîna le retour au pouvoir du général de Gaulle.
Histoire militaire - Le 13 mai 1958, coup de force militaire ?
Military History—13 May 1958: a Military Coup?
Against a background of the Algerian war, what began on 13 May 1958 echoed the political death throes of a Fourth Republic incapable of resolving governmental instability. The coup in Algiers, though far from a military coup, was an expression of the confusion of the French population there, and led to General de Gaulle’s return to power.
Le 13 mai 1958 correspond-il, réellement ou non, à un coup de force militaire, comme cela est encore parfois affirmé de nos jours ? Objectivement, il est difficile de répondre par l’affirmative à cette question.
Tout d’abord, dans le déclenchement même du 13 mai, il n’y eut aucune organisation, et encore moins préméditation, ni de la part de l’armée ni d’ailleurs du côté des activistes. Il s’est agi, au départ, d’une « journée algéroise », au cours de laquelle la population, qui avait l’habitude de s’échauffer facilement, donnait libre cours à son déchaînement pour exprimer son mécontentement. D’ailleurs, comme il n’y avait aucune autorité politique sur place à Alger, du fait du départ de Robert Lacoste, ministre-résident d’un gouvernement démissionnaire, le gouvernement, nouvellement investi, n’a pas hésité à confier les responsabilités politiques en Algérie au général Salan, dans la nuit même de ce 13 mai. On ne peut à la fois être qualifié de factieux et se trouver investi de responsabilités, déléguées le plus légalement du monde.
Demeure la question du plan « Résurrection ». Mais cette affaire n’a jamais donné lieu au moindre commencement d’exécution, et même de planification sérieuse. Il s’est agi d’une vague idée d’opération aéroportée depuis l’Algérie sur la métropole. Mais avec quels moyens ? Ils étaient dérisoires. Aucune étude sérieuse d’une telle opération n’a été effectuée, jamais l’Armée de l’air n’a été associée à une quelconque planification interarmées localement à Alger, alors que l’ampleur de toute opération aéroportée repose avant tout sur les capacités des moyens aériens engagés. Autre phénomène curieux, lorsqu’il s’est agi d’aller présenter l’affaire aux commandants de région en métropole, notamment aux généraux Miquel et Descours, à Toulouse et à Lyon, ce n’est ni le commandant de division concerné, ni son chef d’état-major, ni son chef de 3e bureau (1), mais le commandant de la compagnie de quartier général de la division, le chef d’escadron Vitasse qui, s’il bénéficiait de la confiance du général Massu, n’avait ni compétence ni connaissance pour traiter les aspects opérationnels de l’engagement de la division.
Il existe un plan « Résurrection », sous la forme d’un très bref ordre d’opérations, signé Massu, d’engagement de la division en métropole. Il met en œuvre des moyens absolument inadaptés pour l’ampleur des actions à réaliser visant à contrôler la capitale, à savoir deux régiments en provenance d’Algérie et un autre, formé en unité de marche, à partir des unités parachutistes d’instruction dans le Sud-Ouest. Phénomène pour le moins curieux, les deux tiers de la division se trouvaient alors engagés dans des opérations lourdes, à hauteur du Barrage, aux ordres de la zone Est-Constantinois sans avoir jamais reçu le moindre préavis d’ordre de désengagement (le chef de corps du 1er REP, le colonel Jeanpierre, prévu pour rejoindre l’École d’application de l’infanterie à Saint-Maixent au cours de l’été, son temps de commandement achevé, a été tué dans ces opérations le 29 mai). Or, désengager plusieurs régiments au contact est une opération aussi longue que délicate, et envisager une action sur la métropole avec une division aéroportée qui laisserait les deux tiers de ses moyens engagés en Algérie manque de la plus élémentaire des cohérences. Lucide, le général Salan ne s’y est pas trompé quand il juge très sévèrement cette prose dans ses Mémoires (2) :
« La lecture de ce document me laisse perplexe. Il me paraît insuffisant, car il n’y est nullement question du transport par air d’Alger sur Paris. Or, je ne dispose d’aucun avion, hormis ceux qui me servent ici sur le plan opérationnel et qui sont en nombre réduit. Je trouve ce projet un peu léger et incomplètement étudié. J’ai l’habitude de n’entreprendre une opération qu’après avoir bien pesé les avantages et mesuré les aléas. J’ai toujours mis le maximum d’atouts de mon côté afin de réussir et de limiter les dégâts. Nous ne pouvons envoyer sur Paris qu’environ deux mille hommes, qui, à leur descente d’avion, ne disposeront d’aucun moyen de transport, puisque je ne peux leur adjoindre leurs véhicules organiques. Je me pose alors la question, comment de Villacoublay et du Bourget, poursuivre et gagner les points qu’ils doivent occuper dans Paris.
Après en avoir pris connaissance, je range le plan dans mon coffre, n’ayant nullement envie de me livrer à une pareille aventure.
D’ailleurs, selon mes prévisions, confirmées par les informations reçues de France, nous n’aurions reçu aucune aide. Les tours de contrôle seraient restées muettes et n’auraient pas guidé le vol de nos avions si, groupant tout ce dont je disposais, j’y avais enfermé nos forces. Nous nous serions heurtés à une grève générale des transports. Sur place, hormis quelques groupes, les Parisiens seraient restés chez eux. »
« Un peu léger et incomplètement étudié », le général Salan est bien aimable dans son jugement de l’ordre de Massu. Il s’agit d’une improvisation complète, non réfléchie, totalement irréaliste et absolument inexécutable.
Bref, cette opération « Résurrection » n’était qu’un épouvantail à moineaux, destiné à faire pression sur les décideurs en métropole pour permettre au général de Gaulle de revenir au pouvoir de façon tout à fait légale, ce qui lui permettrait ensuite, chargé de pouvoirs constitutionnels, de donner de nouvelles institutions au pays.
In fine, il semble difficile d’affirmer que le 13 mai – et ses suites – relève du coup de force militaire. En permanence, le seul souci du général Salan, premier protagoniste de l’affaire, a été de tenir un rôle d’arbitre pour ne jamais déroger à la légalité, position extrêmement difficile à tenir. Il n’a néanmoins jamais franchi la ligne rouge de la légal ité. Même quand il a envoyé son chef d’état-major, le général Dulac, à la Boisserie, à la demande du général de Gaulle qui tenait à s’enquérir de la réalité de la situation en Algérie, et des dispositions d’esprit de l’institution militaire, le général Salan en a rendu compte au gouvernement. C’est vraiment faire preuve de beaucoup de mauvaise foi que de chercher à prétendre que le général Salan a manœuvré pour faire tomber le régime.
En revanche, le général de Gaulle a magistralement manœuvré en s’appuyant, il est vrai, sur la menace d’une intervention militaire, mais il a été exposé quelle était la réalité de cette menace. Il ne s’agissait que d’une gigantesque partie de bluff, le général de Gaulle dont l’appétence pour un retour au pouvoir était élevée, ne voulait absolument pas apparaître, comme y revenant dans les fourgons d’un coup de force militaire. Quant aux « Comités de salut public », il ne s’agissait que de coquilles vides, baudruches qui allaient rapidement se trouver dégonflées par le nouveau pouvoir.
Les institutions de la Ve République auraient-elles duré si longtemps – elles sont en passe de devenir les institutions les plus longues et les plus stables depuis 1789 (3) – si la légalité de leur assise avait pu être mise en doute ? Leur légitimité tient également à l’ampleur de leur approbation populaire lors du référendum du 28 septembre 1958 (4).
En fait, la IVe République était morte dès avant le 13 mai ; elle était entrée en agonie depuis l’année 1957 qui avait vu deux crises ministérielles – celles consécutives aux démissions de Guy Mollet et de Maurice Bourgès-Maunoury – ne se régler qu’au terme d’un ballet incessant de chefs du gouvernement pressentis qui chutaient les uns après les autres devant l’hostilité de la Chambre, ballet qui avait, dans les deux cas, duré plus de six semaines. Le régime s’y était totalement décrédibilisé. Lucide, le président René Coty était très conscient de cette crise dramatique des institutions. En janvier 1958, il écrivit au général de Gaulle pour s’enquérir des conditions dans lesquelles celui-ci serait disposé à exercer le pouvoir, le cas échéant. Usant de la désinvolture qu’il savait parfaitement manier en politique, de Gaulle fit parvenir sa réponse à Coty par un courrier de son directeur de cabinet, Olivier Guichard. La teneur de son message était simple, le général de Gaulle ne composerait jamais avec le « Système ». En fait, beaucoup plus que l’instabilité elle-même, c’est la durée de ces crises qui avait irrémédiablement miné le socle des institutions de 1946. Aussi, lorsqu’une nouvelle crise éclate à la chute de Félix Gaillard, sauf miracle, le sort du régime était scellé.
Dans cette logique, ce n’est pas du 13 mai et du mouvement algérois, canalisé par l’armée, qu’il conviendrait de dater la mort clinique de la IVe République, mais de l’échec de René Pleven, le 8 mai, à se faire investir par la Chambre pour résoudre la crise. Cet échec mettait à nu l’inanité des institutions. Le sort du régime était scellé. ♦
(1) À l’époque, il n’existait pas de bureau « Planification » au sein des états-majors de division.
(2) Raoul Salan : Mémoires, Tome III, Algérie française ; Paris, Presses de la Cité, 1972, p. 372.
(3) La IIIe République aura vécu soixante-cinq ans si on la fait partir de l’adoption par la Chambre des lois constitutionnelles de 1875, soixante-dix si on considère sa naissance à la proclamation de la République le 4 septembre 1870, à la chute du Second Empire.
(4) Comme dans toute consultation référendaire, la réponse formulée ne correspondait pas toujours à la question posée : si la métropole s’est exprimée massivement pour approuver les nouvelles institutions, en Algérie, la population européenne a cru voter pour ce qu’elle pensait être l’Algérie française et la population musulmane, n’ayant aucune idée sur les institutions de la République, a donné un blanc-seing au général de Gaulle pour que la France reconnaisse une identité algérienne, sans d’ailleurs qu’elle en soit forcément détachée.