Imaginaires nucléaires – Représentations de l’arme nucléaire dans l’art et la culture
Imaginaires nucléaires – Représentations de l’arme nucléaire dans l’art et la culture
« Ce livre est une autre façon de parler du nucléaire militaire. Aborder l’atome ainsi à travers le prisme des champs culturels est une source d’enrichissement pour la réflexion stratégique », tels sont les mots de Vincenzo Salvetti, directeur des applications militaires (DAM) au CEA pour soutenir, au Cercles des armées début septembre, le lancement de cet ouvrage. Imaginaires nucléaires est le fruit d’un projet éditorial voulu par deux universitaires habités par le sujet. Céline Jurgensen, alors directrice de la stratégie au CEA-DAM et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, actuel directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem).
Tranchant avec le terrain classiquement diplomatique ou militaire de l’édition de défense, ils ont rassemblé 35 auteurs sur un thème inédit en France : la culture populaire de l’atome. Le résultat donne une grande diversité de profils qui ont répondu avec enthousiasme à l’initiative. Au sommaire, des directeurs du CEA, des cinéastes, des universitaires, des philosophes, des historiens, des journalistes et des photographes. Cette « œuvre commune » restitue le colloque « Imaginaires nucléaires » organisé le 11 décembre 2019 à la bibliothèque François Mitterrand à Paris. Nous l’avions annoncé dans la RDN (mai 2020, n° 830).
Les actes de cette journée, disponible sur YouTube, ont été soigneusement réécrits pas les auteurs, ce qui donne un texte de haute tenue ; l’articulation des chapitres permettant d’aborder toutes les formes d’expression artistique, qu’il s’agisse de penser, de montrer, de promouvoir ou de contester. François Geleznikoff, ancien DAM, s’est intéressé au jeu des armes nucléaires dans les James Bond. Dominique Mongin, professeur à Normale Sup’, a voulu partager sa passion pour la BD franco-belge dès lors qu’elle aborde l’univers atomique. Mangas et super-héros viennent enrichir la thématique. On se régale avec Jean Plantu venu commenter pour nous ses dessins. On retient son message de générosité et son appel à la grande diplomatie. Côté cinéma, Antonin Baudry raconte Le Chant du Loup, une superproduction française qui met en scène les sous-marins de la Marine nationale. Enrichissant le programme, une bonne surprise nous attend : les représentations du nucléaire en Union soviétique au temps de la guerre froide, mais aussi en Iran, en Inde et en Corée du Nord. En filigrane, la diplomatie culturelle et le soft power, une thématique abordée par Audrey Guillebaud (prix Thérèse Delpech 2018-2019) dans Mona Lisa et la force de frappe nucléaire. On retrouve aussi la génération montante de la réflexion stratégique française. Citons, Emmanuelle Maitre, Thyphaine de Champchesnel et Olivier Zajec. Partant d’Hiroshima et de Nagasaki, épisode générique inédit, cet imaginaire a pour mérite de représenter une guerre interdite. Son inspiration eut recours aussi aux images des tirs expérimentaux, désormais interdits au titre du Traité d’interdiction complètes des essais.
Attention ! La culture populaire de l’atome n’est en rien frivolité, tant ce courant par ses représentations, est parvenu à toucher la zone émotion du citoyen ou du dirigeant, et au final à proposer un univers partagé. Cette approche est spécifique aux sociétés libres et démocratiques. Elle a renversé les tabous. Les animateurs du livre l’ont bien compris et ont démontré que l’on peut être sérieux sans être austère. Un tel dossier ne saurait être produit sans une solide pensée stratégique, un socle en France de huit décennies de réflexion et d’exercice de la dissuasion nucléaire. Sur cette thématique très sociétale, le travail des académiques français est largement devant, en qualité et quantité, en comparaison avec les tentatives anglo-saxonnes existantes.
Saluons donc les producteurs de ce livre. Ils ont su recréer une ambiance. Les 170 illustrations y sont pour quelque chose. Étudiant, on apprenait le jour la grammaire nucléaire avec Lucien Poirier ou Hervé Coutau-Bégarie, mais la nuit venue, 99 Luftballons avec son message humaniste enflammait les galas des grandes écoles. Voilà comment notre génération a vécu la guerre froide à l’ombre des Euromissiles. La préface est de Bruno Racine, président de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). On recommandera ce livre aux étudiants en sciences politiques, aux univers de la communication et du cinéma. Pour nous tous, de quoi enrichir par le biais culturel le rayon dissuasion de notre bibliothèque. ♦