Editorial
Éditorial
Le 24 février 2022, après des semaines de montée des tensions entre l’Ukraine et la Russie, les armes ont commencé à parler et la Russie a entamé une attaque de grande ampleur visant à envahir l’Ukraine, amener un changement de régime et obliger à revoir l’architecture de sécurité du continent européen. Les jours précédents, la diplomatie s’est efforcée de maintenir le dialogue avec Moscou pour essayer de désamorcer cette crise. Efforts malheureusement vains, mais qui étaient cependant nécessaires.
En quelques journées, l’histoire a basculé et nous sommes entrés dans une phase d’incertitude totale sans que chacun ne parvienne à voir vers où veut aller Vladimir Poutine. Ce dernier est au pouvoir depuis plus de deux décennies et a construit méthodiquement un projet géopolitique s’appuyant sur une profonde rénovation des forces armées russes, sorties éreintées de l’effondrement de l’URSS. Le temps de la guerre froide est revenu brutalement, mettant à bas toutes les certitudes quant à la sécurité européenne. Il faut ressortir les vieilles cartes remisées depuis 1990 et retrouver les mécanismes d’analyse du monde russe, mais aussi de comprendre ce conflit majeur du XXIe siècle. Cette guerre d’Ukraine est à la fois hybride et conventionnelle, tout en étant marquée par la question nucléaire au regard des déclarations ambiguës du dirigeant russe autour de la dissuasion. Il convient de se réapproprier au plus vite la grammaire de celle-ci, pour pouvoir réagir avec discernement alors que les risques de dérapage ne cessent de s’accroître.
Bien entendu, à l’heure où ces lignes sont écrites dans l’urgence, il est impossible de prévoir ce qui va arriver. Montée aux extrêmes, arrêt des hostilités, retour en arrière, négociations… Tout est possible ! Mais il a semblé nécessaire que la RDN propose un premier regard sur l’environnement de cette guerre, en dressant quelques pistes de réflexion permettant de comprendre les enjeux engagés par l’attaque russe. Paradoxe de l’histoire, cette région au cœur des empires puis rattachée en grande partie à l’URSS a déjà vécu les déchirements sanglants de la Seconde Guerre mondiale. Les cartes des combats d’aujourd’hui rappellent celles de la « grande guerre patriotique ». Les ressorts intimes des nations reviennent également avec force où le patriotisme est quasiment viscéral, avec le risque que les passions violentes empêchent désormais tout discours de raison et d’apaisement.
Les semaines à venir vont donc être décisives, que ce soit sur le terrain avec les opérations en cours et cette guerre de haute intensité en Europe, ou que ce soit demain avec la recomposition imposée des espaces de sécurité du « Vieux Continent ». Quel rôle pour l’Otan ? Quelle défense pour l’Union européenne ? Quelle souveraineté partagée ? Quelle place pour l’Ukraine ? Quel avenir pour une Russie qui s’est mise au ban des Nations ? Aujourd’hui, les questions sont ouvertes et il serait bien présomptueux de savoir où nous allons.
Si Moscou remet en cause le fonctionnement démocratique de l’Ukraine qui porte ombrage au régime de Vladimir Poutine, c’est bien que la notion et les principes de la démocratie gênent les pouvoirs autoritaires.
Or, ce mois de mars aurait dû voir pour notre pays l’expression du débat politique à la veille de l’élection présidentielle d’avril. La RDN avait prévu de publier les projets « défense » des candidats à ce rendez-vous majeur qui rythme la Ve République. Compte tenu de la guerre engagée le 24 février, il nous est apparu opportun de revoir notre programmation en donnant priorité à cette crise géopolitique majeure. Bien entendu, cela ne signifie pas que la question électorale devient secondaire. La RDN y reviendra, d’autant plus que paradoxalement par rapport aux campagnes électorales précédentes où la défense et les relations internationales ne constituaient pas des priorités majeures, cette fois-ci les enjeux sont beaucoup plus graves et les remises en question sûrement douloureuses quant à l’effort consacré à assurer la sécurité de notre pays.
Nous publions pour cela plusieurs articles permettant de mettre en perspective la défense et sa place dans les élections présidentielles. Bilans et place du débat permettant ainsi de mieux comprendre un des piliers essentiels du pouvoir du Président dont le rôle de chef des armées est au final l’un des plus structurants de ses multiples responsabilités.
Le 24 février, avec le retour de la guerre de haute intensité au cœur du continent européen, démontre dramatiquement combien la réflexion stratégique est, et reste, indispensable. Le temps long demeure notamment parce que la montée des tensions que nous observons résulte de longues évolutions puisant dans l’Histoire. Des nationalismes exacerbés, des projets politiques concurrents, des peurs ancestrales, des comportements de dirigeants incontrôlés…
L’histoire est tragique, hélas ! Le 24 février 2022 le démontre. ♦