La guerre est désormais hybride et vise à influer les citoyens par l’information ou la désinformation en vue de brouiller la perception de la réalité. Influer signifie manipuler, d’où le besoin de renforcer notre résilience collective face aux risques liés à la mondialisation de l’information.
Sensibiliser et armer les citoyens face à la guerre cognitive
Informing and Arming Citizens for Cognitive Warfare
War is now hybrid, and aims at influencing citizens through information or disinformation with a view to blurring the perception of reality. Influence, here, means manipulate—hence the need to strengthen our collective resilience in the face of risks linked to the globalisation of information.
La guerre se renouvelle sans cesse, alimentée par la créativité des belligérants potentiels, inventant des outils et des modes d’action pour garantir leur supériorité et surprendre l’adversaire. Ainsi, des stratagèmes anciens sont recyclés par l’apport d’innovations liées à l’évolution des sciences et des techniques dans tous les champs qui structurent la vie des hommes et le champ cognitif n’y échappe pas. Des spécialistes de la tromperie, à l’instar d’Ulysse durant la guerre de Troie, fondent leur stratégie en altérant, par la mise en scène, la perception de la réalité chez l’adversaire puis triomphent dans la bataille malgré des rapports de force initialement défavorables. Ces premiers adeptes de la manipulation de la pensée qui persuadent leurs ennemis de la pertinence d’une appréciation de situation, pourtant erronée, eurent dans l’histoire de nombreux disciples, spécialistes du faire-croire pour vaincre, en engageant d’abord l’ennemi dans le champ des perceptions et des émotions.
Cibler le cerveau pour occulter la raison
Aujourd’hui, au-delà des manœuvres de duperie ou de déception, utilisées durant les conflits du XXIe siècle, les technologies modernes de communication et de traitement de l’information ainsi que les découvertes récentes en neurosciences (1) se conjuguent pour offrir un nouveau champ d’action ciblant directement l’esprit humain. Ainsi, des applications concrètes permettent à des influenceurs aux talents d’illusionnistes de cibler le cerveau dans le cadre d’une guerre cognitive (ou cognitique) : ils développent des modes d’action susceptibles de déstabiliser des individus, des groupes sociaux, voire des masses, en recherchant des effets immédiats ou à plus long terme. Des campagnes de propagande, visant à influencer l’opinion publique, instrumentalisent tout autant des élections que la qualité du moral des populations en temps de crise ou de guerre. L’idée de cibler le cerveau dans une logique de combat est permise par une meilleure connaissance de sa structure et de son fonctionnement, grâce aux formidables progrès des trente dernières années. La neuroimagerie permet d’identifier avec précision les h ormones (ocytocine, adrénaline et dopamine…) libérées par les émotions, stimulantes ou inhibitrices, conditionnant nos pensées et nos actions. Ce ciblage du cer veau est facilité par l’usage excessif de certains réseaux sociaux, applications informatiques ou jeux vidéo pouvant occasionner une addiction ou une perte de contrôle, voire une dégradation des aires cérébrales impliquées dans l’autocontrôle. La plasticité et la malléabilité de l’esprit aux influences psychologiques sont connues depuis longtemps.
Elle est notamment exercée pour soigner des chocs et traumatismes émotionnels ainsi que les troubles du comportement afférents. Toutefois, l’esprit humain peut aussi être façonné aujourd’hui, pour induire des pensées, provoquer des pulsions et des agissements contraires aux intérêts vitaux individuels ou collectifs. En occultant la raison, on peut abuser de la crédulité de certains esprits par déploiement d’univers imaginaires, conduisant au-delà du vrai et du faux, à orienter des règles, des perceptions, des émotions, et dans les cas extrêmes, à précipiter des victimes dans des crises suicidaires et l’ennemi dans son autodestruction. Cette manipulation de la capacité à raisonner sainement peut être aggravée par la consommation de drogues. Des découvertes qui s’annoncent prometteuses, dans le champ par exemple de l’hypnose, pourraient être, pour partie détournées de leurs buts initiaux de prophylaxie, au mépris de considérations éthiques, à des fins de création d’armes nouvelles qu’il nous faudra savoir contrer.
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