George C. Marshall – Soldat-homme d’État du siècle américain
George C. Marshall – Soldat-homme d’État du siècle américain
Cet ouvrage, très intéressant et agréable à lire, est la traduction française (2021) du livre de Mark A. Stoler paru en 1989. Il ne reprend pas l’importante documentation bibliographique et les 369 notes de référence de l’édition originale.
Le général Marshall est l’une des grandes figures incontestables de l’histoire du XXe siècle. Au sommet de leur hiérarchie nationale, les Américains le comparent volontiers à George Washington, tous deux militaires et hommes d’État. La carrière extraordinaire de George C. Marshall est à mettre en parallèle direct avec la montée en puissance des États-Unis, devenus la nation le plus puissante et la plus influente du monde au cours de la première moitié du XXe siècle.
Depuis l’armée d’occupation coloniale aux Philippines en 1902 jusqu’au conflit coréen en 1951, il participe pendant cinquante ans à presque tous les événements qui ont marqué l’émergence de son pays en tant que superpuissance. Entre 1939 et 1951, Marshall a été l’un des principaux concepteurs de la politique américaine, d’abord comme chef d’état-major de l’Armée pendant toute la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), puis comme émissaire présidentiel spécial en Chine (1945-1947), ministre des Affaires étrangères au plus fort de la guerre froide (1947-1949) et ministre de la Défense pendant la guerre de Corée (1950-1951). La mise sur pied du « plan Marshall » constitue un point d’orgue à cette brillante trajectoire. Elle est couronnée par le Prix Nobel de la paix en 1953, pour « le travail le plus constructif et le plus pacifique que nous ayons vu au cours de ce siècle ». Jamais un militaire de carrière n’a reçu cette insigne distinction.
La personnalité de Marshall a eu une importance majeure pour sa carrière. Ses qualités de leader, sa maîtrise de soi, son sens de l’honneur et du devoir, ont largement contribué à façonner une vraie légende. Tout au long de sa carrière, il a été confronté aux multiples difficultés de l’exercice du pouvoir, mais il a toujours tenté de concilier ses propres principes démocratiques et moraux avec la nécessité d’adopter des stratégies réalistes et adaptées aux fins souhaitées. Il a toujours défendu le principe d’une armée-citoyenne, l’importance du contrôle civil sur l’armée, le lien étroit entre les questions économiques, militaires et diplomatiques, la primauté de l’Europe sur l’Asie dans la politique américaine.
De façon singulière, sa carrière commence assez lentement, au sein d’une armée à l’époque encore très modeste et archaïque. Le jeune Marshall se révèle comme un organisateur et un futur leader hors pair. Très vite, il devint l’assistant personnel de plusieurs autorités militaires influentes. Il fait partie du tout premier contingent débarqué en France, mais constate que tout reste à faire pour mettre sur pied puis préparer le Corps expéditionnaire américain (AEF). En 1918, le général Pershing le prend au GHQ (General Headquarters), d’où il planifie et pilote la grande offensive Meuse-Argonne mettant en œuvre 39 divisions américaines aux côtés des Alliés. Il suivra Pershing après la guerre.
L’entre-deux-guerres est une période difficile parce que le Congrès a réduit l’Armée de façon drastique : 123 000 hommes en 1923 et encore moins en 1932 ! De 1924 à 1927, Marshall séjourne en Chine. En 1934, il est colonel. En octobre 1938, il est appelé à Washington. Le 1er septembre 1939, il prend les fonctions de chef d’état-major de l’Armée ; il a 59 ans.
En 1939, l’Army ne compte que 175 000 hommes. Marshall se démena sans compter auprès d’un président Roosevelt imprévisible et d’un Congrès inévitable, pour augmenter ces effectifs et se préparer efficacement à la guerre. Il contribua également de façon décisive à imposer la ligne stratégique alliée, selon laquelle l’Europe serait le théâtre prioritaire de la guerre, avant l’Asie. À cet égard, l’attaque de Pearl Harbour, si elle a mis fin à l’incertitude, n’a pas modifié pour autant l’ordre de priorité fixé.
Les deux années qui suivirent furent essentiellement consacrées à la recherche, l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie mondiale unifiée pour les Alliés, grâce à un mécanisme de coordination dont Marshall fut le pivot au sein du CCS (Combined Chiefs of Staff). Il obtint que toutes les forces alliées d’un théâtre soient placées sous un commandant unique, ce qui imposa également un commandement interarmées au sein des forces américaines, au travers du JCS (Joint Chiefs of Staff).
Il fallut toute la force de persuasion de Marshall pour imposer finalement le principe d’un débarquement anglo-américain transmanche massif pour une attaque directe de l’Allemagne, contre l’avis de Churchill qui préconisait une stratégie périphérique par le Sud en privilégiant la marine et l’arme aérienne. Il fallut cependant s’adapter aux circonstances et intervenir en Méditerranée comme dans le Pacifique. La conférence de Téhéran en 1943 allait entériner Overlord. Roosevelt décida de garder l’indispensable Marshall à Washington et de confier le commandement d’Overlord à Eisenhower. Dans le Pacifique où régnait l’amiral Nimitz, Marshall réussit à faire nommer le général Douglas MacArthur commandant en chef du sud-ouest du théâtre.
Après la victoire en Europe, les questions politico-militaires telle que la politique d’occupation, devinrent prépondérantes. La conférence de Yalta ouvrit en quelque sorte cette période mouvementée d’après-guerre, d’où sortiraient l’Otan, l’ONU et le pacte de Varsovie. La capitulation du Japon après Hiroshima ne régla pas tous les problèmes en Extrême-Orient, et les Américains tardèrent à comprendre que la Chine n’entrerait pas dans leurs voies. Marshall y fut envoyé par le nouveau président Truman, mais ce serait pour constater finalement les limites de la puissance américaine.
De janvier 1947 à janvier 1949, Marshall est Secrétaire d’État (ministre des Affaires étrangères). Sous l’impact de leur conflit croissant avec l’Union soviétique, les États-Unis élaborent au cours de ces années une politique mondiale militante articulée autour de la doctrine Truman, le plan Marshall et le principe d’endiguement. Selon Marshall, la nouvelle génération d’Américains « devait développer un sens des responsabilités pour l’ordre et la sécurité du monde ». Devant la menace d’expansion de la mainmise soviétique en Europe, le « plan Marshall » est adopté pour relancer l’économie de l’Europe de l’Ouest. Le blocus de Staline est neutralisé par la mise en place du pont aérien pour ravitailler Berlin, par la création de la République en Allemagne de l’Ouest puis par celle de l’Otan en avril 1949.
En juin 1950, une violente crise se déclara en Corée. Truman rappela Marshall comme ministre de la Défense. Il dut gérer trois questions difficiles : la création d’une force armée pour combattre en Corée, l’élaboration d’une stratégie appropriée et le limogeage du général MacArthur. Le 12 septembre 1951, il quittait son poste ministériel pour une retraite tant attendue après cinquante années de service public.
Il mourut le 16 octobre 1959. Les présidents Truman et Eisenhower rendirent un dernier hommage à l’homme qui avait joué un rôle si important dans l’ascension de l’Amérique vers la puissance mondiale et dont le service désintéressé a inspiré la comparaison avec un seul autre soldat de l’histoire des États-Unis, George Washington. George C. Marshall a été le principal architecte du nouvel « Empire américain ».
Il restera aussi ce « héros idéal » incarnant les plus belles valeurs américaines. ♦