La guerre contre l’Ukraine a d’ores et déjà donné plusieurs leçons pour l’Europe, dont sa relative faiblesse sur le plan militaire. Le constat est sévère, mais un premier résultat est une prise de conscience du besoin d’unité et de renforcement d’une défense plus que jamais nécessaire.
Leçons de la guerre pour les Européens vues par un Américain
Lessons in Warfare for Europeans—as Seen by an American
The war against Ukraine has already dealt a number of lessons for Europe, among which its relative military weakness. These lessons are hard to accept, but an initial result has been a recognition of the need for unity and for the strengthening of defence, now more than ever necessary.
La guerre entre la Russie et l’Ukraine n’est pas encore finie. Elle risque même de durer longtemps. Mais on peut déjà en discerner quelques leçons pour les Européens, au moins du point de vue d’un observateur américain à Washington.
La première leçon est évidente. Malgré tout le progrès de l’après-guerre et des années qui ont suivi la fin du mur de Berlin vers un monde – ou au moins une Europe – géré par la loi internationale, les organisations multinationales et, enfin, la raison, la force reste déterminante dans les affaires internationales, et les passions semblent régner. L’ancien dicton reste pertinent : les forts font ce qu’ils peuvent et les faibles endurent ce qu’ils doivent. Pour les Européens, si habitués au parapluie sécuritaire américain qu’ils n’en étaient plus conscients, et qui s’autorisaient à laisser dissiper leurs capacités militaires depuis la chute du Mur, le choc est rude. Ce qui compte n’est pas l’effort diplomatique, mais la dissuasion et la capacité de détourner les divisions adverses avec ses propres divisions.
La deuxième leçon est l’importance de l’unité. Remarquablement, les dirigeants occidentaux les plus importants, y compris les Présidents Joe Biden et Emmanuel Macron, ainsi que le Premier ministre britannique, Boris Johnson, et le Bundeskanzler Olaf Scholz, ont démontré une unité remarquable et une volonté de coordonner leurs efforts. Cette unicité est autant plus remarquable, compte tenu de leurs divisions politiques sur un grand nombre de questions et la tendance des prédécesseurs de Scholz de vouloir adoucir l’opposition occidentale aux Russes. Dans cette crise, Scholz est loin d’être un obstacle.
La troisième leçon est la valeur de l’Alliance atlantique qui, nonobstant les rêves des européanistes, reste le meilleur garant de la sécurité européenne. Cela ne veut absolument pas dire que l’Otan et l’UE sont incompatibles, ou qu’il faut choisir entre elles, mais tout rêve européen, pour être réaliste, doit reconnaître que l’Alliance est indispensable. Il s’agit alors de savoir établir entre les deux institutions une relation productive dans laquelle elles se renforcent. En suivant la presse anglo-saxonne au sujet des tentatives du Président Emmanuel Macron de promouvoir « l’Europe de la défense », on perçoit une incompréhension profonde des Anglo-Saxons à l’égard de l’agenda de Macron, compris comme une menace à l’Alliance. Ce malentendu est malheureux, mais je suis convaincu qu’il peut être comblé avec un travail persistant de communication destinée à expliquer la perspective française et rassurer les critiques d’outre-Atlantique de la compatibilité fondamentale du projet européen et l’Alliance.
Quatrième leçon : les armées « bonsaï » des pays européens ne servent ni à l’Otan ni à l’ambition européenne de pouvoir exercer un minimum d’autonomie vis-à-vis des États-Unis, qui seuls possèdent la masse nécessaire face à un adversaire sérieux. Pour exemple, d’après des sources variées, les Russes ont déjà perdu à peu près 200 chars. Le chiffre est important, mais les Russes sont loin d’avoir épuisé leur stock : l’Armée de terre française, avec environ 220 chars qui ne sont pas tous en condition opérationnelle, aurait du mal à poursuivre des opérations blindées pendant plusieurs jours de combat. Les Allemands et Britanniques se trouvent à peu près dans la même condition. Les Américains, au contraire, en possèdent plus de 5 000. Bref, il va falloir investir dans des forces plus importantes. Le volume, il faut le souligner, est nécessaire malgré l’existence des armes nucléaires. Ne pouvant détourner les forces adverses par les armes conventionnelles, on aura besoin de choisir entre l’inaction (soumission ?) et le recours aux armes nucléaires, un choix insoutenable. Les armées les mieux équipées offrent une liberté d’action plus importante. Elles proposent des solutions aux recours aux armes. D’ailleurs, selon la doctrine française, il faut des armées robustes pour révéler les intentions de l’adversaire, et savoir ainsi si le recours aux armes nucléaires est envisageable.
Cinquième leçon : la faible performance des armées russes en Ukraine trahit plusieurs défaillances significatives. Celles-ci concernent les aspects qualitatifs des armées, et non pas les aspects matériels. Les Russes ont mal calculé et mal planifié leur offensive avec une armée qui semble mal entraînée et sans motivation. En revanche, les armées ukrainiennes, bien qu’elles soient moins bien équipées, sont plus efficaces. La leçon à en tirer est que les Européens ne doivent pas se sentir obligés d’investir dans les équipements les plus performants et donc les plus chers. Ce qui compte le plus, est le qualitatif, la compétence des armées ainsi que le nombre. On ne peut pas manquer ainsi de reconnaître la valeur de l’Otan, qui tend à garantir un niveau de compétence élevé parmi tous ses membres, au moins en ce qui concerne la gestion des opérations interarmées complexes avec le travail des états-majors. Les soldats, aviateurs, marins… otaniens n’ont pas besoin de gadgets sophistiqués. Ils ont besoin d’être mieux entraînés et plus motivés. Dans l’état actuel des choses, il ne fait aucun doute qu’une coalition otanienne réduirait en miettes une unité russe de même taille. Le souci est le fait que les Russes continueraient à renforcer leur armée avec des divisions supplémentaires, tandis que les étagères des alliés seraient vides. S’il y a un bon côté à cette guerre, c’est la redécouverte de l’unité, de l’alliance et de certains fondamentaux de la guerre. Nous espérons que ce lien entre les pouvoirs occidentaux perdure et se renforce, et que nos alliés européens investissent plus dans la défense collective. ♦