Face à des difficultés internes ou à des blocages politiques, les régimes autocratiques ont eu tendance à tenter l’aventure extérieure, pensant fidéliser le sentiment nationaliste. Or, la fuite en avant aboutit généralement à un échec, préludant souvent à une faillite du régime.
Histoire militaire – La fuite en avant militaire, caractéristique des régimes autocratiques
Military History—Military Adventurism, a Characteristic of Autocratic Regimes
When faced with domestic difficulties or political obstacles autocratic regimes have tended to try their luck in external adventures, thinking they would boost nationalist feelings. Such headlong flights generally end in failure, often the prelude to collapse of the regime.
Lorsque, dans la nuit du 23 au 24 février dernier, Monsieur Poutine, président de la Fédération de Russie, lança son armée dans une agression stupéfiante contre la République d’Ukraine, État souverain, la surprise ainsi que la réprobation furent quasi générales dans le monde, même si les États-Unis avaient, depuis de nombreuses semaines, alerté de la réalité de cette occurrence. C’était oublier que la fuite en avant militaire constitue un marquant fort des États autoritaires autocratiques. Encore faut-il définir ces États, à ne pas confondre avec les États totalitaires, puisque soutenus par aucune idéologie : alors qu’un État démocratique se reconnaît au respect de la séparation des pouvoirs (théorisée par Montesquieu) et à l’exercice des règles de l’État de droit, un État autocrate se distingue par un exercice solitaire du pouvoir, souvent installé dans la durée, peu ou pas contrôlé, et par l’absence de tout contre-pouvoir effectif, dont le premier est l’opinion publique.
Bien qu’il s’agisse toujours d’époques, de situations et de personnalité fort différentes de caractère, il est néanmoins intéressant de mettre en perspective cette fuite en avant militaire de Vladimir Poutine avec la décision de Napoléon d’envahir la Russie en juin 1812 qui le conduira tout droit à l’abdication moins de deux ans plus tard, ou celle de Ludendorff, début 1918, de refuser de capitaliser les énormes gains territoriaux réalisés à Brest-Litovsk pour réfuter la solution du compromis à l’Ouest et se lancer dans la solution militaire, qui sera également fatale à l’Allemagne et à son régime, moins d’un an plus tard.
Le contrôleur général Cailleteau a exposé d’une manière lumineuse (1) comment, en 1812, le contentieux franco-russe entre Napoléon et Alexandre relevait beaucoup plus de la question polonaise que de l’alignement russe sur le blocus continental. Alors qu’au terme de trois partages successifs, entre Russie, Prusse et Autriche – Catherine II avait récupéré la majeure partie de la Pologne continentale depuis le Niémen jusqu’au-delà de la Vistule (incluant donc Varsovie), la Prusse assurant sa continuité territoriale le long de la Baltique entre le Magdebourg, la Poméranie et la Prusse-Orientale (Königsberg (2), berceau de la dynastie Hohenzollern) et l’Autriche récupérant la Galicie, avec Lemberg (3), à Tilsitt en 1807 – Napoléon impose à Alexandre vaincu à Friedland, la restauration de la Pologne, sous la forme d’un Grand-Duché de Varsovie. Pologne certes réduite à sa composante annexée par la Russie, mais Varsovie échappait de facto au tsar, qui n’eut de cesse que de tenter de la récupérer. C’est ainsi qu’alors que Napoléon était au sommet de son règne, en 1811, les signes tangibles d’une tension franco-russe commençaient à se faire jour. Ses généraux avaient convaincu Alexandre de la nécessité d’une nouvelle coalition contre la France pour récupérer les territoires perdus et revenir à un ordre européen plus équilibré. C’est dans ce sens que le tsar commença à concentrer des troupes à la frontière entre son Empire et le Grand-Duché. Autre facteur de mésentente entre Paris et Saint-Pétersbourg, l’année précédente, le « mariage autrichien » avec Marie-Louise avait été privilégié au détriment du « mariage russe » avec une sœur du tsar.
Il reste 71 % de l'article à lire