Si l’Indopacifique peut sembler éloignée des préoccupations des Européens, il faut souligner le dilemme stratégique imposé désormais à l’Europe. Celle-ci y a des intérêts et ne peut se désintéresser de la compétition entre les États-Unis et la Chine. Cela signifie augmenter la présence européenne dans cette région.
Un monde, deux théâtres : dilemmes et ricochets entre Europe et Indopacifique
One World, Two Theatres: Dilemmas and Ricochets between Europe and the Indo-Pacific
Whilst the Indo-Pacific may appear far from European preoccupations, the strategic dilemma now imposed upon Europe needs to be emphasised. Because of their interests in the region, Europeans cannot isolate themselves from the competition between the United States and China, which means that Euopean presence there should be increased.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a largement concentré l’attention sur le théâtre européen, ce qui ne doit pas faire oublier la montée en puissance régulière du théâtre indopacifique dans les calculs stratégiques occidentaux. Non seulement la puissance chinoise est regardée par les États-Unis comme leur principal « concurrent stratégique », mais le « défi » chinois est également reconnu par l’Otan depuis 2019, tandis que l’Union européenne (UE) considère la Chine comme un « rival systémique ». Si les enjeux de sécurité propres aux deux théâtres font l’objet de réflexions foisonnantes, la tension et l’interdépendance entre les deux s’avèrent être une question moins approfondie. Ses implications sont pourtant cruciales pour l’avenir de la défense européenne.
Dilemmes géostratégiques
Parce que les capacités militaires ont un rayon d’action plus ou moins circonscrit dans l’espace et qu’il peut être plus ou moins long et coûteux d’en modifier la localisation, les politiques militaires sont sujettes à des contraintes géostratégiques. Lorsqu’un acteur fait face à des menaces ou à des risques stratégiques localisés dans des régions différentes, il peut se trouver confronté à un « dilemme géostratégique », c’est-à-dire à une tension entre priorités géostratégiques concurrentes (1). Un tel dilemme géostratégique a joué un rôle important dans l’histoire militaire de la France, régulièrement tiraillée entre ses positions continentales et son rôle mondial et colonial outre-mer. Ce tiraillement a d’ailleurs eu des répercussions européennes dans les années 1950. D’un côté, la menace russe en Europe et la perspective d’un réarmement ouest-allemand ont été à l’origine du projet porté par la France d’une Communauté européenne de défense (CED), visant à intégrer les capacités des États-membres dans une véritable armée commune. De l’autre, les conflits coloniaux, en Indochine d’abord, en Afrique du Nord ensuite, ont incité à l’inverse à maintenir les forces françaises sous commandement national, pour préserver leur flexibilité et leur disponibilité outre-mer. Cette concurrence entre théâtres ne joua pas un mince rôle dans le rejet de la CED par les chefs militaires et les députés français en 1954.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Étant donné la faible présence militaire européenne en Indopacifique, la question du dilemme géostratégique se pose a priori de façon plus directe pour les forces armées américaines. Dès la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide, l’Europe et l’Asie ont été deux régions stratégiques majeures pour les États-Unis, entre lesquelles il a fallu répartir efforts et investissements. Dans la période récente, la nécessité de privilégier une région sur une autre a longtemps été voilée par la doctrine dite des « deux guerres », selon laquelle les forces armées américaines sont dimensionnées pour être capables de conduire deux guerres simultanément dans deux régions différentes.
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