Les guerres d’influence sont une réalité de la zone Indo-Pacifique avec la confrontation de modèles de natures distinctes et aux objectifs opposés. Une bipolarité régionale entre la Chine et les États-Unis se profile avec la question du rôle de la France. Celle-ci doit réaffirmer ses positions et revenir dans le jeu.
Guerres d’influence et Sharp Power en Indo-Pacifique
Wars of Influence and Sharp Power in the Indo-Pacific
The wars of influence taking place in the Indo-Pacific zone result from the confrontation of distinctly different societal models and opposing objectives. Growing regional bipolarity between China and the United States raises the question of the role of France. The latter must reaffirm its position and re-enter the game.
Quel nom donner à la région Asie-Pacifique, qui comprend l’océan Indien, l’océan Pacifique, et donc les États qui en sont riverains ? Les dynamiques économiques d’abord, militaires ensuite, ont fait de cette zone le nouveau centre de gravité des relations internationales. Le « pivot » vers l’Asie, annoncé par Barack Obama à partir de 2011, avait concrétisé cette nouvelle priorité stratégique américaine, reléguant ainsi la préoccupation transatlantique au second rang (c’était toutefois avant les événements ukrainiens de 2014 puis 2022). En parlant d’« Indo-Pacifique », on opte pour une terminologie plutôt occidentale : la France a des territoires en océan Indien comme en océan Pacifique ; l’Inde, membre du Quad (alliance avec les États-Unis, l’Australie et le Japon), se trouve mise à l’honneur. En revanche, le vocable « Asie » n’y figure pas, auquel la Chine tient particulièrement (notamment pour invoquer des « valeurs asiatiques », excluant de fait les Occidentaux). On le voit, la guerre d’influence, dans la région, commence par les mots.
Elle se poursuit sous de multiples formes, et des ressources importantes sont mobilisées par les puissances pour forger les outils de ce combat. À ce jeu, et compte tenu des moyens dont ils disposent, deux protagonistes se détachent du peloton : les États-Unis et la Chine, qui impriment à la région la marque locale indéniable d’une nouvelle bipolarité. Cela laisse peu d’espace aux puissances moyennes européennes, dont la France fait partie, lesquelles ne doivent pas pour autant renoncer à jouer leurs atouts.
Objectifs et moyens de l’influence
La définition de l’influence est complexe. Pour faire simple, néanmoins, retenons, avec Joseph Nye (1) qu’il s’agit, en relations internationales, de faire changer un acteur tiers de comportement. Cet acteur peut être un décideur, un chef d’entreprise, un gouvernement ou au sens large une opinion publique. L’important est de retenir cette idée de changement de comportement : il est attendu de l’influencé des actes concrets (autorisation d’une prise de participation, des conditions d’un prêt, d’une coopération, signature d’un accord…) et non seulement un a priori favorable, une attirance intellectuelle ou culturelle : là se situe la différence entre l’influence et son faux synonyme, le « rayonnement ». Pour obtenir ce changement de comportement, trois moyens possibles, nous dit encore Nye : la contrainte physique, la rémunération, le pouvoir de conviction ou de séduction. Le premier moyen ne saurait être considéré comme de l’influence : c’est un usage de la force, qui ressort donc de la violence. Le deuxième – la rémunération – est observé largement dans les mécanismes d’influence. Nye l’exclut du soft power, qu’il voit fondé uniquement sur la troisième voie, celle de la conviction/séduction. Ce qui différencie, cette fois, l’influence de soft power. Résumons : en Asie Pacifique comme ailleurs, des puissances se sont dotées de moyens importants de faire changer des acteurs de comportement, par la rémunération (donc grâce à leur force économique) et par la conviction/séduction de leur modèle, que l’on présente comme bénéfique pour tous, ce qui encourage à s’y rallier.
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