L’annonce de l’alliance AUKUS a été présentée en France comme une surprise stratégique – sans oublier l’aspect humiliant – mais la question n’est-elle pas plutôt la révélation de la surestimation de la puissance française. Celle-ci doit désormais se réinventer dans la zone indopacifique pour redevenir crédible.
L’AUKUS, une surprise stratégique pour la France ?
AUKUS, a Strategic Surprise for France ?
The announcement of the AUKUS alliance was presented in France as a strategic surprise, not to mention the humiliation caused. And yet isn’t the question more one of over-estimation of French power? This power needs to be reinvented in the Indo-Pacific zone if it is once more to become credible.
En septembre 2021, la volte-face australienne relative au contrat de sous-marins passé en 2016 avec la France est vécue comme un véritable choc à Paris. Du moins, certains des acteurs les plus concernés par cette déflagration choisissent-ils d’en paraître étonnés. « C’est vraiment […] un coup dans le dos. Nous avions établi avec l’Australie une relation de confiance, cette confiance est trahie », déclare, exaspéré, le ministre des Affaires étrangères français. La « trahison » qui prend de court les responsables français aurait donc constitué une véritable « surprise stratégique », encore augmentée par l’annonce, le 15 septembre 2021, et au terme de dix-huit mois de pourparlers secrets, de l’alliance militaire AUKUS entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, ces derniers se substituant à la France pour la livraison de huit sous-marins d’attaque, cette fois-ci à propulsion nucléaire.
Qu’est-ce qu’une surprise stratégique ? Ce qui génère un « inattendu systémique ». Lorsque cet inattendu en arrive à causer une véritable paralysie, il débouche sur une « rupture » stratégique : quelque chose se rompt fondamentalement dans la manière dont nous étions habitués à considérer les acteurs comme les structures de la scène internationale. Cette brisure cognitive est d’autant plus douloureuse et difficile à accepter qu’elle mène inéluctablement à la remise en question de notre propre faculté de juger stratégiquement. « L’essence de la surprise [écrit ainsi Corentin Brustlein en 2014 dans un dossier de la revue Stratégique entièrement consacré à ce concept] est la révélation subite d’un décalage entre les attentes d’un acteur – individuel ou collectif – et la réalité de sa situation (1). »
Les relations internationales, pour ce qui est du transfert de responsabilité, fonctionnent de la même manière que les relations interpersonnelles. Face à l’échec de nos attentes, et passé la sidération initiale, le premier réflexe, le plus commun, est de s’en prendre à des acteurs tiers dont les défaillances ou la duplicité expliqueraient notre incapacité à prévoir les événements. La deuxième étape réflexive est la remise en cause de nos propres aveuglements concernant le ou les partenaires que nous nous étions choisis. Certains ne vont jamais jusqu’à un troisième niveau réflexif, qui consiste à revenir courageusement sur les défauts d’analyse et de prospective concernant non pas seulement lesdits partenaires, mais plus fondamentalement le « contexte géostratégique » qui conditionnait le comportement de ces derniers, et dont la prise en compte réaliste aurait dû nous conduire à envisager la probabilité d’un retournement de situation brutal dans la relation instrumentale que nous avions nouée avec eux.
Il reste 83 % de l'article à lire
Plan de l'article